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l'édit de Nantes, comme s'il ne restoit que cet unique dessein à exécuter pour achever de pacifier l'Eglise. On y propose de gagner une cinquantaine de ministres, de les assembler en synode, d'ouvrir une conférence avec des docteurs catholiques, dans laquelle les pasteurs gagnés d'avance se réuniront à l'Eglise, de révoquer ensuite l'édit de Nantes, comme devenu inutile, et d'obtenir du pape une dispense de quelques pratiques catholiques, en faveur des calvinistes scrupuleux ». Ce projet étoit fort ancien, et a été souvent pris et repris: l'Editeur des Euvres de Louis XIV, a publié un Essai d'Histoire de ces tentatives (1), et se propose de traiter avec plus d'étendue ce sujet curieux. Il seroit superflu de rapporter ici comment Bossuet composa et publia un célèbre ouvrage, et comment le synode formé à Charenton, dans le même objet, se sépara fort effrayé, mais point du tout ramené à l'Eglise. Il suffit d'avoir indiqué ce plan comme l'un de ceux qui étoient dans la pensée de Louis XIV, au moment où il rédigeoit ses Mémoires; ce que M. de Rhulières auroit affirmé plus expressé– ment, s'il avoit connu la pièce que nous publions ciaprès.

Mais il est un autre projet qu'il pouvoit bien méditer dès ce moment, quoiqu'il ne l'ait mis en œuvre que quelque temps après : ce qui est d'autant plus vraisemblable, qu'il eut pour principal agent celui

(1) Voyez Archives de l'Europe littéraire, n° xv ; 31 mars 1805:

même qu'il avoit choisi pour rédacteur. M. de Rhulières nous servira encore à le faire connoître.

Après avoir expliqué ce qui est si bien raconté dans les Souvenirs de madame de Caylus, comment, vers 1676, des scrupules de conscience avoient séparé le roi de madame de Montespan, qui tarda peu à reprendre ses droits et sa faveur, il ajoute : « Le roi, dans ce nouvel accès de dévotion, ou peut-être pour expier cette rechûte, consacra le tiers des Economats à la conversion des hérétiques. Cette destination fut assez long-temps secrète, soit parce qu'on eût craint de jeter du décri sur les conversions, et de rendre suspecte la sincérité de ceux à qui l'intérêt alloit tenir lieu de conviction, soit plutôt par ce sentiment de bienséance qui dominoit dans toutes les actions de Louis XIV, et qui ne lui permettoit pas de montrer ce zèle d'apôtre, quand toute sa conduite y répondoit si mal. Pellisson, célèbre converti, et que ses talens avoient fait admettre à l'intime confiance de ce prince, eut l'administration de cette caisse ; il dressa les réglemens pour ceux qui travailleroient sous lui. Il avertit les évêques qu'un moyen sûr de plaire au roi, étoit d'envoyer de nombreuses listes de convertis, et d'observer les instructions contenues dans un écrit qu'il leur adressa; il ne se chargeoit que des conversions à faire, et déclaroit qu'il s'étoit engagé à ne point parler au roi de celles qui étoient faites avant cette singulière époque de 1676. Les évêques, après avoir reçu les fonds qu'il leur faisoit passer, lui renvoyoient les listes avec le prix des conversions en marge et toutes

les pièces justificatives; c'est-à-dire, les abjurations et les quittances. Le prix courant des conversions dans les pays éloignés, étoit à six livres (environ quinze francs de notre monnoie) par tête de converti. Il y en avoit à plus bas prix. La plus chère que j'aie trouvée, pour une famille nombreuse, est à quarantedeux livres (environ quatre-vingt-quinze francs ). Des commis examinoient ensuite si chaque quittance étoit accompagnée d'une abjuration en forme. D'abord chaque province ne fournissoit par an que trois ou quatre cents convertis. Dans les entreprises ordinaires, plus la somme demandée est considérable, plus le succès semble difficile. Mais les choses étant montées de cette manière, et la somme se distribuant par tête et à si bas prix, plus un évêque demandoit d'argent, plus il montroit de ferveur. Bientôt on s'entretint à la cour des succès qu'opéroit Pellisson. Les dévots eux-mêmes eurent peine à s'empêcher de plaisanter de cette éloquence dorée, « moins savante (disoient-ils) que » celle de Bossuet, mais bien plus persuasive ». D'année en année, on augmenta les fonds destinés à cette corruption religieuse... Pellisson réussit à en faire une sorte de ministère. Il est fâcheux que du moment où il fut parvenu à ce point, ses comptes aient cessé d'être en bon ordre.... De cette caisse, comparée par les huguenots à la boîte de Pandore, sortirent en effet presque tous les maux dont ils ont à se plaindre. Il est aisé de sentir que l'achat de ces prétendues conversions. dans la lie des calvinistes, les surprises, les fraudes pieuses qui s'y mêlèrent, et tous ces comptes exagérés

rendus par des commis infidèles, persuadèrent fausse¬ ment au roi, que les réformés n'étoient plus attachés à leur religion, et que le moindre intérêt suffiroit pour les engager à la sacrifier. Ce préjuge dicta presque seul les lois que nous allons voir successivement paраroître......».

On voit que ces détails forment un utile commen¬ taire, ou plutôt un complément réel de cette partie des Mémoires de Louis XIV. La pièce que nous y ajoutons, ne paroîtra pas moins intéressante. Elle prouve que le projet de travailler à la réunion des deux croyances chrétiennes, qui divisoient l'Eglise en France, étoit bien antérieur à l'époque que M. de Rhulières lui assigne, ainsi que nous l'avons démontré dans le morceau ci-dessus cité; il avoit été originairement conçu par la politique du cardinal de Richelieu; mais dès l'année 1666, le conseil intime de Louis XIV s'en occupoit de nouveau. Il est singulier que M. de Rhulières ait ignoré ce fait, que sa matière et son systême lui rendoient si essentiel. Le style em¬ barrassé et négligé qui se trouve ici comme dans les autres écrits de Turenne, n'empêchera pas les lecteurs attentifs d'y reconnoître les vues d'un esprit juste et pénétrant, fortifié par une longue expérience.

AVIS

DU VICOMTE DE TURENNE,

Sur ce qui regarde la religion prétendue réformée (1).

ANNÉE 1666.

LA La pensée du roi étant que l'on sût le sentiment des ministres de la religion prétendue réformée, je ne parlerai pas du fond des dogmes dont il faut traiter, n'étant pas assez savant, et d'habiles gens devant y mettre la main, mais seulement des égards que je crois nécessaire d'avoir dans une chose, où souvent la forme fait plus d'impression que la matière: ce n'est pas que dans celle-ci il ne soit besoin de beaucoup de modération et de jugement, dans les points controversés que l'on exposera; mais c'est une chose à part, qu'il faudra discuter avec les docteurs qui les mettront par écrit.

Ainsi, pour revenir à la forme dont je crois qu'il faudroit user, je pense qu'il est bon de se proposer હૈ l'entrée les inconvéniens qu'il y a à appréhender, afin

(1) Ce mémoire, tiré des collections de M. le général Grimoard, paroît avoir précédé la déclaration rendue à SaintGermain, le 2 d'avril..

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