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Enfin, tout étant préparé le 23, elle se rendit sur les midi en la vigne du pape Jule, accompagnée des deux légats, d'où étant partis sur les midi avec tous les cortèges, elle fut rencontrée hors la porte del Populo, du sacré collége en corps, et étant à cheval au milieu des deux plus anciens cardinaux-diacres Ursini et Costaguti, auxquels les légats cédèrent pour lors leur place, elle fut menée comme en triomphe au son des trompettes, tambours et timbales, et des décharges de tout le canon du château Saint-Ange jusqu'à Saint-Pierre, dont le chapitre en corps, accompagnant le doyen revêtu pontificalement, s'avança jusque dans la place pour la re

cevoir.

L'on eût desiré un peu plus de modestie et de retenue de la part de la reine, en une action qui devoit être plus de pénitence que d'éclat, et que le pape l'ayant voulu retenir par la splendeur de la magnificence du siècle, elle au moins se fût souvenue qu'elle étoit encore comme catéchumène, qu'elle alloit ad limina apostolorum comme pénitente, et qu'à la vue de toutes les nations, elle alloit abjurer entre les mains du vicaire de Jésus-Christ les erreurs qu'elle avoit professées; mais à ne rien dissimuler, elle ne prévint pas en cette action le jugement et l'opinion publics aussi favorablement qu'il eût été à desirer, et elle ne donna que trop de lieu à la censure.

L'on la vit ensuite aller négligemment et avec peu de piété à l'adoration du saint sacrement, qu'on avoit exposé à Saint-Pierre, devant lequel s'étant mise à genoux, et fait son oraison fort courte, elle se leva pour se rendre en la salle royale du Vatican, où le pape, en l'attendant, tenoit le consistoire public; s'approchant de

son trône, elle se mit à genoux, et lui ayant baisé les pieds et les mains, dans le moment qu'elle se fut relevée, sa sainteté en descendit, et se retira pour laisser encore indécis de quelle manière, en ces sortes d'occasions, les têtes couronnées doivent être traitées, quel rang, quelle place, quel siége l'on leur doit donner, et si l'exemple de Charles VIII doit être tiré à conséquence, qu'on prend ici diversement, et qui ne fait point encore de règle dans le cérémonial.

Le 25, jour de Noël, auquel le pape a accoutumé de dire la messe publiquement dans Saint-Pierre, sa sainteté lui voulut donner la confirmation lui-même et la communion.

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A main droite de l'autel l'on avoit dressé un marchepied relevé de deux degrés, couvert et entouré de velours à grand passement d'or, sur lequel l'on avoit mis une chaise à bras pour la reine, et trois carreaux pour mettre sous ses pieds ou pour s'agenouiller; le pape étant venu à l'autel, et assis en sa chaise sur le marche-pied, les cardinaux de Médicis et Sforza l'allèrent prendre pour la conduire à sa sainteté, devant laquelle s'étant mise à genoux, elle reçut le chrême et le nom de ChristineMarie-Alexandrine; ayant été reconduite dans sa place par les mêmes cardinaux, l'on commença la messe, pendant laquelle ous a trop grande curiosité de voir et remarquer ce qui se passoit, ou la naturelle inquiétude de son esprit, lui ôtèrent l'attention, l'application, et toute la dévotion qu'on espéroit de sa première ferveur.

A la consécration, les deux mêmes cardinaux la vinrent querir pour la conduire au trône du pape, qui la communia, et ensuite, lorsqu'elle fut en sa place, tous les cardinaux-diacres, l'ambassadeur de Venise, et les

quatre conservateurs du peuple romain, reçurent de sa même main 'le saint sacrement. Je remarque qu'elle fit cette action avec assez de recueillement d'esprit, pour excuser en quelque sorte la distraction qu'elle avoit auparavant fait paroître, qu'on pouvoit imputer à la liberté de son naturel, moins contraire à la dévotion et à la piété qu'à la décence.

Le 26, le pape lui donna un superbe dîner. La table de sa sainteté étoit sur un marche-pied élevé de cinq ou six doigts de haut, couvert d'un grand tapis, et sous un dais; celle de la reine étoit plus basse de quatre ou cinq doigts, éloignée environ d'un pied de la première, et posée de sorte qu'une partie d'icelle demeurant couverte d'un baldaquin, la reine, qui étoit au milieu, se trouvoit moitié dessous, moitié dehors: le pape avoit une chaise à bras, la reine une à dossier; sa sainteté lava seule, et pendant qu'on lui versoit de l'eau, sa majesté s'inclina, et tout le monde se mit à genoux, puis elle lava, et trouvant déjà le pape à table, elle s'y mit, puis après, à toutes les fois que sa sainteté but, elle se leva, et tout le monde se mit à genoux; à la seconde fois ce fut à sa santé. Cependant le père Oliva, jésuite, fit un discours d'éloquence, qui fut suivi d'une excellente musique qui dura pendant le festin, après lequel la reine, ayant accompagné sa sainteté dans son appartement, et l'ayant entretenue quelque temps, elle se retira dans le sien, pour se préparer à une nouvelle cavalcade qu'on lui fit allant au palais Farnèse.

L'on ne s'est pas contenté de sa magnificence ordinaire, l'on en a peint le frontispice à fresque, on l'a orné de riches emblêmes, et enrichi des armes de la reine et du royaume de Suède, au milieu desquelles pa

roissent celles du pape; toutes les fenêtres de la place étoient éclairées d'un nombre infini de lumières, et celles du palais chacune de deux flambeaux de cire blanche.

L'on parle diversement de la libéralité du pape envers la reine; les uns disent qu'il lui a fait un fonds de quatrevingt-dix mille écus pour trois mois, à raison de mille écus par jour; les autres, qu'après l'avoir régalée dans le Vatican aussi superbement qu'il se peut, il se contente de faire distribuer tous les jours à son maître- d'hôtel pour sa table et sa maison, le pain, le vin, les fruits, les épiceries, et le foin et l'avoine pour ses chevaux, et cent écus d'argent pour servir aux autres dépenses; je crois plutôt le dernier, et que la plupart de ceux qui exagèrent sa magnificence, ne le font que pour exposer davantage l'innocence de ses actions à la censure publique, et don ner lieu de crier contre cette vaine profusion, qu'on devroit ménager à un meilleur usage pour le secours de la chrétienté.

Les actions de la reine seront ici mises à la rigueur d'un examen bien sévère, tous les particuliers qui ont fait dépense, croyant au moins s'être acquis la liberté d'en juger; sa constance, sa persévérance et sa piété en relèveront autant l'éclat, qu'une contraire conduite serviroit à la faire blâmer et à l'accuser de la dernière imprudence.

No. 2.

AVERTISSEMENT

SUR LE TESTAMENT DU CARDINAL

DE MAZARINI

LE passage des Mémoires de Choisi, que nous allons transcrire, fait connoître les circonstances qui donnèrent lieu au cardinal de laisser ces singulières dispositions.

« Le cardinal ne passoit pas pour avoir la conscience fort timorée. Néanmoins les scrupules augmentoient à mesure que la mort approchoit. Un bon Théatin, son confesseur, lui dit net qu'il seroit damné, s'il ne restituoit le bien qu'il avoit mal acquis: Hélas! dit-il, je n'ai rien que des bienfaits du roi. Mais, reprit le Théatin, il faut bien distinguer ce que le roi vous a donné, d'avec ce que vous vous êtes donné vous-même. - Ah! si cela est, dit le cardinal, il faut tout RESTITUER. Colbert vint là-dessus, et étant consulté, conseilla au cardinal de faire une donation testamentaire de tous ses biens en faveur du roi; qu'il ne manqueroit pas, vu son bon cœur, de les lui redonner sur-le-champ. L'expédient plut à

QUV. DE LOUIS XIV. TOME VI,

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