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mêmes choses; il trouve qu'elles étoient vraies (1).

Que Dumnorix étoit un homme fort hardi, et de grand crédit envers le peuple à cause de sa libéralité; qu'il étoit amateur des nouveautés; qu'il tenoit à vil prix et pour plusieurs années les péages et tous les autres revenus des Autunois (2), à cause que quand il y avoit mis le prix personne n'osoit enchérir sur lui; qu'il avoit par-là beaucoup augmenté son bien et acquis de grands moyens pour faire des libéralités; qu'il entretenoit à ses dépens et avoit à sa suite bon nombre de cavalerie, et qu'il ne pouvoit pas seulement beaucoup dans son pays, mais aussi chez les Etats voisins, et que par le moyen de cette puissance, il avoit marié sa mère en Berri à un Gentilhomme, lequel y avoit très-grand crédit ; qu'il avoit pris une femme en Suisse; qu'il avoit marié sa sœur de mère et ses autres parentes en divers lieux ; qu'il favorisoit et aimoit les Suisses à cause de cette alliance; qu'il haïssoit aussi particulièrement César et les Romains, d'autant que par

(1) Les Grands ne doivent jamais croire sur le premier rapport.

(2) Il est indigne d'un homme de condition et d'autorité d'être partisan et de tenir des fermes.

leur présence son pouvoir étoit diminué et son frère Divitiae rétabli dans son ancien rang de crédit et d'honneur; que s'il arrivoit quelque malheur aux Romains, il étoit en grande

espérance de se faire roi par le moyen des Suisses, au lieu que s'ils devenoient les maîtres non-seulement il perdoit l'espérance d'acquérir un royaume, mais encore de se conserver dans le crédit qu'il avoit.

César trouvoit aussi s'en enquérant davantage que le commencement de la fuite du combat de cavalerie, qui naguère lui avoit été désavantageux, étoit venu de Dumnorix et de sa cavalerie (car il commandoit celle que les Autunois avoient envoyée pour secours à César), et que par leur fuite tout le reste de la cavalerie avoit pris l'épouvante (1).

Lesquelles choses étant connues, d'autant qu'à ces soupçons se venoient joindre des faits tous manifestes (comme, que c'étoit lui qui avoit fait passer les Suisses par le pays des Francomtois; qu'il leur avoit fait donner des otages entre eux; qu'il avoit fait toutes ces choses non-seulement sans qu'il lui eût été commandé ni de César ni de son pays, mais

(1) Un officier mal intentionné dans une armée peut causer beaucoup de mal à son parti.

encore à leur insu: enfin qu'il étoit accusé du magistrat d'Autun), César croyoit qu'il avoit assez de droit de le punir, ou de commander à ceux du pays d'en faire eux-mêmes la justice. Une seule chose contredisoit à cela, qui est que César connoissoit la grande affection de Divitiac frère de Dumnorix envers le peuple Romain, l'extrême amour qu'il avoit pour luimême sa fidélité incomparable, sa justice, sa tempérance, et qu'il craignoit de l'offenser par le supplice de son frère.

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C'est pourquoi avant que de passer outre il l'envoya appeler et ayant fait sortir ses truchemens ordinaires, il s'entretint avec lui par le moyen de Valerius Procillus qui étoit le premier de la province de la Gaule, son intime ami et en qui il se confioit de toutes choses. Il le fait souvenir de ce qu'on avoit dit en sa présence touchant Dumnorix dans l'assemblée des Gaulois, et lui déclare ce qu'un chacun puis après lui en avoit dit en particulier. Il lui demande et le prie de trouver bon, la cause étant bien examinée, ou que lui, ou que la ville en ordonne.

Divitiac embrassant César avec larmes, commence à le prier de pardonner à son frère : il dit qu'il sait que ces choses-là sont vraies, et que personne n'en reçoit plus de douleur que

lui, parce que dans le temps qu'il avoit beaucoup de crédit en son pays et dans le reste de la Gaule, et que son frère n'y pouvoit rien à cause de sa jeunesse, il lui avoit fait sa fortune, et qu'il employoit maintenant tous ses biens et toutes ses forces, non-seulement pour diminuer son crédit, mais encore pour le perdre entièrement. Toutefois qu'il étoit touché et de l'amour fraternel et de l'opinion du peuple, d'autant que s'il arrivoit quelque mal à son frère de la part de César, il n'y avoit personne qui ne crût qu'il y auroit contribué, vu le rang qu'il tenoit en ses bonnes graces; d'où il arriveroit que les esprits de toute la Gaule s'aliéneroient de lui.

Comme il demandoit ces choses-là à César avec un peu plus de paroles et en pleurant, César lui prend la main et le consolant il le prie de ne lui en parler plus. Il dit qu'il fait tant d'état de son amitié (1), qu'il remet à son desir et à ses prières l'injure faite à la République et son propre ressentiment.

Sur cela il fait venir Dumnorix: il appelle aussi son frère et lui dit les choses qu'il blâmoit en lui; il lui fait voir ce qu'il en avoit

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(1) Il n'y a rien qu'un prince doive conserver plus chèrement que les amis.

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appris et quelles étoient les plaintes que ses propres concitoyens en faisoient; il l'avertit d'éviter tout soupçon à l'avenir, et l'assure qu'il lui pardonne le passé à la considération de son frère Divitiac. Cependant il lui donne des gardes afin qu'il puisse savoir ce qu'il fera et avec quelles personnes il communiquera.

CHAPITRE XI V.

César perd une belle occasion de défaire les Suisses, par la faute de Considius.

Le même jour César ayant eu avis par ses espions que les ennemis étoient campés au pied d'une montagne à huit mille pas de son camp (1), il envoya reconnoître quelle en étoit l'assiette et la montée tout autour, et on lui rapporta qu'elle étoit facile.

Sur la troisième veille (2) il commande à T. Labienus son lieutenant de s'aller promptement saisir du sommet de la montagne avee deux légions, lui donnant pour guides ceux qui avoient été reconnoître le chemin, et il lui découvre quel étoit son dessein.

(1) Ce sont deux lieues. (2) C'est vers minuit.

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