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sa cause? oui; et pour le prouver, examinons séparément les priviléges indiqués dans l'art. 2101, et ceux désignés dans les articles suivans. Les premiers, d'une nature très favorable, puisqu'ils sont attachés à des créances souscrites dans l'intérêt de tous les créanciers, doivent nécessairement passer avant tous autres droits: les seconds, moins favorables peut-être, primeront cependant les hypothèques antérieures, par cela seul que la loi leur donne la qualification de priviléges. En effet, il est de la nature d'un privilége de ne jamais concourir qu'avec un autre privilége, d'exclure les hypothèques, el de faire juger de son rang, non par sa date comme l'hypothèque, mais par la qualité de la créance à laquelle il est attaché. Ainsi, supposons qu'un créancier ait une hypothèque acquise sur une maison avant que les architectes qui l'ont réparée aient fait inscrire le premier procès-verbal dont parlent les art. 2103, n° 4. et 2110, la préférence devra être accordée aux architectes, malgré l'antériorité de date, parce qu'ils ont un privilége, et que d'ailleurs le créancier n'aura pas à se plaindre, puisque son gage sera augmenté par les réparations, d'une somme égale à celle pour laquelle on lui préférera les architectes.

C'est donc avec raison que notre article donne la préférence aux priviléges sur les hypothèques, sans distinguer celles antérieures aux priviléges d'avec celles qui ne sont nées que postérieurement. Si cette distinction eût pu être admise, on aurait, par cela même, anéanti les priviléges.

ART. 2096. Entre les créanciers privilégiés, la préférence se règle par les différentes qualités des priviléges.

I. Si, pour juger de la préférence entre deux créanciers hypothécaires, il est besoin de connaître la date de leurs inscriptions, il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de prononcer entre deux créanciers privilégiés. La date de leur privilége est toujours indifférente à connaître, et on ne les distingue que par la qualité de la créance, et par la nature de leur privi

1ége. Privilegia non tempore æstimantur, sed ex causa et si ejusdem tituli fuerunt, concurrunt, licet diversitates temporis in his fuerint. Ainsi, une créance qui présente un grand degré de faveur, prime toujours celle qui n'a qu'une cause moins favorable : quand la faveur est la même, il doit y avoir concurrence. C'est en vertu de ce principe que la cour de cassation a, le 4 août 1817, cassé un arrêt de la cour de Rouen qui avait, contre le texte de la loi, accordé la préférence à un cessionnaire de parties d'une créance privilégiée, parce que la cession à lui faite était antérieure à celle de son concessionnaire, quoique d'ailleurs les actes de cession ne continssent aucune stipulation particulière. Mais comme c'est le degré de faveur qui décide de la préférence, on pourrait se demander, qui a caractère pour juger si telle créance est plus ou moins favorable que telle autre? Le silence que garde notre article aurait peut-être pu faire croire que la décision de ce point important était laissée à l'arbitraire du juge, si le législateur, en désignant dans les articles suivans les créances privilégiées, n'eût montré que c'était lui-même, qui avait seul caractère pour établir les causes de préférence. Si donc l'art. 2095 consacre le principe que le privilége tire son origine de la qualité de la créance, les articles 2101 et suivans déterminent bientôt quelles sont les créances qui ont les qualités réquises pour jouir d'un privilége, et quelles sont celles qui, plus favorables, doivent passer avant les autres.

Cependant il est indispensable de remarquer ici que ce principe, que c'est la qualité de la créance qui détermine la préférence entre les créanciers privilégiés, s'applique à toutes sortes de priviléges, soit qu'ils aient pour objet les meubles ou les immeubles seulement, soit qu'ils frappent les uns et les autres. A la vérité, l'article 2106 semblerait dire que le privilége sur les immeubles se règle par la date de l'inscription; mais nous verrons, en expliL. 32, ff. de Reb. auct. jud. possid.

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Sirey, 17, 1, 373; Dalloz, Vo Hypothèques, 17, p. 85, édit. Tarlier.

quant cet article, que sa disposition peut bien s'appliquer à l'effet du privilége, à l'époque où il commence d'exister, mais jamais au rang qu'il doit occuper, lequel se règle toujours par la faveur de la créance à laquelle la loi l'a attaché 1.

ART. 2097. Les créanciers privilégiés qui sont dans le même rang, sont payés par concur

rence.

Lorsque deux créanciers ont chacun une créance tout aussi favorable, ils ne peuvent user l'un envers l'autre de leurs priviléges; et on doit appliquer cette règle, qui, quoique faite pour les priviléges personnels, n'en est pas moins applicable à l'hypothèque : Privilegiatus contra æquè privilegiatum, non utitur privilegio. Leurs priviléges, en effet, se détruisent mutuellement; et voilà pourquoi l'on décide qu'ils doivent être payés dans le même ordre et en concurrence, quoique leurs priviléges remontent à des époques différentes et si ejusdem tituli fuerunt, concurrunt, licet diversitates temporis in his fuerint 2.

C'est conformément à ces principes, que l'article 2101 établit que ceux qui ont fourni aux frais de la dernière maladie concourent entre eux, encore que les fournitures aient été faites à diverses époques. C'est encore, suivant la même règle, qu'après avoir énuméré les divers priviléges dont les navires peuvent être frappés, l'article 191 du code de commerce ajoute que les créanciers compris dans chacun des numéros viennent en concurrence, et au marcle franc, en cas d'insuffisance du prix.

ART. 2098. Le privilége à raison des droits du trésor public et l'ordre dans lequel il s'exerce, sont réylés par les lois qui les concernent.

Le trésor public ne peut cependant obtenir de

privilége au préjudice des droits antérieurement acquis à des tiers.

I. Sous l'ancien régime, diverses lois avaient fixé les droits du trésor public, déterminé les causes qui lui donnaient quel

V. l'art. 2106.

2 L. 32, ff. de Reb, auct, jud. possid.

ques priviléges, et arrêté l'ordre dans lequel il devait les exercer. D'abord la loi romaine 3, lui avait donné un droit d'hypothèque sur les biens des officiers comptables, acquis depuis leur gestion, et un privilége qui le faisait préférer à tous les autres créanciers, même privilégiés, tels que le vendeur, celui qui avait réparé la chose, etc. 4. Ensuite l'édit d'août 1669, dont les dispositions furent renouvelées par les lois des 24 novembre 1790, 19 juillet et 11 août 1792, restreignit les prérogatives du fisc, en ne lui donnant sur les meubles qu'un privilége après les créances que nous venons d'indiquer, et sur les immeubles une hypothèque privilégiée, qui ne grevait, à la vérité, que ceux acquis pendant la gestion des comptables, mais qui donnait au trésor le droit d'être préféré à tous les autres créanciers, même antérieurs. Depuis la loi du 11 brumaire an VII, les droits du trésor avaient été restreints: cette loi ne lui accordait qu'une simple hypothèque, sujette, comme les autres, à l'inscription, et qui ne devait prendre rang que du jour de l'accomplissement de cette formalité ; elle lui refusait aussi un privilége sur les meubles : par où l'on voit qu'on était tombé dans l'excès contraire à celui qu'on reprochait avec raison à la législation romaine. De là des pertes considérables pour le trésor public; pertes dont il était urgent d'arrêter le cours. Aussi, lors de la discussion du nouveau système hypothécaire, le principe, que le trésor public devait jouir de quelques priviléges, ne trouva-t-il pas de contradicteur, et notre article fut unanimement adopté.

II. Mais quels sont les priviléges que la loi accorde au trésor public? Dans quel rang

dit pas notre article. Il se contente de les exerce-t-il? C'est ce que ne nous sanctionner le principe du privilége; et, pour le déterminer, il nous renvoie à des dispositions particulières qu'il est nécessaire d'examiner, et que, pour cela, nous allons transcrire.

3 L. 46, 53, ff. de Jur. fisc., L. 28, ff. cod. sit. 4 L. 34, ff. de Reb, auct, jud, possid.

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7. « A compter de la publication de la présente loi, tous receveurs généraux « de département, tous receveurs parti«< culiers d'arrondissement, tous payeurs « généraux et divisionnaires, ainsi que les « payeurs de département, des ports et « des armées, seront tenus d'énoncer leurs << titres et qualités dans les actes de vente, d'acquisition, de partage, d'échange et << autres, translatifs de propriété, qu'ils « passeront, et ce à peine de destitution; << en cas d'insolvabilité envers le trésor «public, d'être poursuivis comme ban« queroutiers frauduleux.

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« Les receveurs de l'enregistrement et « les conservateurs des hypothèques se«<ront tenus, aussi à peine de destitution, « et en outre de tous dommages et inté« rêts, de requérir ou de faire, au vu des<< dits actes, l'inscription'au nom du trésor « public pour la conservation de ses droits, « et d'envoyer, tant au procureur du roi << du tribunal de première instance de l'ar« rondissement des biens, qu'à l'agent du « trésor public à Paris, le bordereau pres<< crit par les articles 2148 et suivans du << code civil.

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« Demeurent néanmoins exceptés, les «< cas où, lorsqu'il s'agira d'une aliénation « à faire, le comptable aura obtenu un «< certificat du trésor public portant que «< cette aliénation n'est pas sujette à l'in

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«scription de la part du trésor. Ce cer- de sa propriété? Le même article 2, après

alificat sera énoncé et daté dans l'acte « d'aliénation.

8. «En cas d'aliénation, par tout comp« table, de biens affectés aux droits du « trésor public par privilége ou par hy« pothèque, les agens du gouvernement « poursuivront, par voie de droit, le re« couvrement des sommes dont le comp« table aura été constitué redevable.

9. « Dans le cas où le comptable ne se« rait pas actuellement constitué redeva« ble, le trésor public sera tenu, dans trois << mois, à compter de la notification qui << lui sera faite, aux termes de l'article 2183 « du code civil, de fournir et de déposer, << au greffe du tribunal de l'arrondissement « des biens vendus, un certificat constatant « la situation du comptable; à défaut de « quoi, ledit délai expiré, la main-levée « de l'inscription aura lieu de droit, et sans qu'il soit besoin de jugement.

« La main-levée aura également lieu de droit, dans le cas où le certificat consta<< tera que le comptable n'est pas débiteur « envers le trésor pubic.

10. " La prescription des droits du tré« sor public, établie par l'article 2227 du « code civil, court au profit des compta«bles, du jour où leur gestion a cessé. 11. « Toutes dispositions contraires à « la présente loi sont abrogées. »

III. Cette loi, juste dans ses motifs, facile dans l'application, ne nous laisse que peu de choses à dire sur la nature et l'étendue du privilége du trésor. Aussi nous bornerons-nous à quelques observations sur les dispositions sur lesquelles il serait possible qu'il s'élevât du doute.

L'article 2 accorde au trésor public un privilége sur tous les biens meubles trouvés dans les maisons d'habitation des comp tables, et n'en excepte que ceux que les femmes séparées de biens justifieraient légalement leur appartenir: ce qui prouve que la présomption de droit est qu'ils appartiennent au mari; et l'on sait que cette présomption ne cède qu'à la preuve con

traire.

Mais comment doit se faire cette preuve? comment la femme pourra-t-elle justifier

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avoir établi la présomption que les biens meubles appartenaient au mari, ajoute : à moins qu'elles (les femmes) ne justifient légalement que lesdits meubles leur sont échus, etc.; or, elles justifieront que les meubles leur appartiennent, en prouvant par inventaire authentique qu'ils leur sont échus par succession, ou qu'elles les ont reçus à titre de donation, ou qu'elles les ont apportés en mariage, ou bien, comme le dit l'article, en démontrant qu'ils ont été acquis de leurs deniers; preuve qui serait d'autant plus difficile à rapporter, que, si ces meubles ont été acquis postérieurement à la nomination des comptables, on pourrait penser, avec quelque fondement, qu'ils l'ont été avec ceux du trésor. Cependant il est à présumer qu'il se rencontrera des cas où la femme pourra prouver l'emploi de ses deniers à l'acquisition des meubles. Mais j'observe que cette preuve ne détruira la présomption de la loi qu'autant qu'elle résultera d'actes authentiques. Jamais une preuve testimoniale, fût-elle même fondée sur un commencement de preuve par écrit, ne saurait être admise.

IV. Le même article 2, après avoir parlé de la femme séparée de biens, ne dit pas un mot de celle qui ne l'est pas : comme son silence pourrait être mal interprété, je crois devoir en donner la cause, et par suite indiquer les principes à suivre en cette matière.

Lorsque la femme est séparée de biens, soit contractuellement, soit par suite d'un jugement, ses droits sont définitivement fixés elle jouit seule de ses biens; elle est à même, lorsqu'on discute ceux de son mari, d'établir sa propriété, tant sur les meubles que sur les immeubles. Au contraire, lorsque l'union conjugale n'a souffert aucune atteinte; que pour sa personne comme pour ses biens, la femme est sous la puissance maritale, il lui est presque impossible d'indiquer une propriété mobilière; ou, si elle le peut, cette propriété est tellement confondue avec celle de son mari, que celui-ci est censé en avoir acquis la propriété par le fait

seul du mariage. Pourtant de cette difficulté pour la femme à établir cette propriété mobilière, il ne faudrait pas conclure, comme l'obscurité de notre première édition pourrait le faire supposer, qu'il y a impossibilité légale pour elle de démontrer son droit de propriété sur les meubles saisis par le trésor public. Si, par un moyen légal quelconque, elle démontrait irrefragablement son droit, le trésor serait bien obligé de le subir, comme si elle avait été séparée de biens.

Le principe consacré par cet article 2 devrait recevoir son application, encore que la maison fût louée au nom et pour le compte de la femme. Comme c'est ordinairement le mari qui loge sa femme, on doit présumer que le loyer n'aurait été mis au nom de celle-ci que pour frauder les tiers. C'est, au surplus, ce que décide l'article 2, en établissant le privilége sur les meubles trouvés aux maisons d'habitation du mari.

V. L'article 4 donne un privilége sur les immeubles des comptables, mais seulement sur ceux acquis à titre onéreux depuis leur nomination; il établit ensuite la même présomption contre les femmes, c'est-à-dire, qu'il suppose que ces acquisitions ont été payées des deniers du trésor; encore qu'elles soient faites au nom de leurs femmes, et qu'on ait stipulé que c'était de leur argent; mais aussi il trace la même règle que pour les meubles, et donne aux femmes le droit de prouver que les deniers employés à l'acquisition leur appartenaient. Remarquens, en outre, que la disposition atteint la femme séparée comme celle qui ne l'est pas, et que par-là le législateur obvie à toutes les fraudes que commettaient trop souvent les femmes des comptables, ou plutôt ceux-ci sous le nom de leurs femmes.

VI. Cet article ne parle que des acquisitions faites par les femmes des comptables; d'où l'on doit inférer que celles faites par d'autres personnes qui leur seraient également attachées, ne pourraient jamais être atteintes. Cependant, que déciderait-on à l'égard des immeubles acquis par le fils du comptable? Ne pouraient

ils pas être atteints par le privilége du trésor? Non, parce que la présomption de la loi ne doit pas s'étendre d'un cas à un autre, et que d'ailleurs se serait en quelque sorte frapper d'incapacité tous ceux qui seraient liés avec le comptable. Il suffit que la loi ne parle que de la femme, pour qu'on ne puisse pas appliquer ses dispositions aux enfans ou aux autres parens. Néanmoins s'il y avait fraude, s'il était prouvé que l'acquéreur ne fût que le prète-nom du comptable, le trésor pourrait exercer son privilége. Il en serait de même si, dans l'acte d'acquisition, fait par le fils, on avait déclaré qu'elle avait eu lieu des deniers fournis ou prêtés par le comptable. C'est ce que la Cour de Limoges a jugé, le 22 juin 1808, en accordant au trésor public son privilége sur un héritage acheté par le fils avec les deniers de son père '.

VII. L'article 5, en consacrant le principe du privilége, et en prescrivant son mode de publicité, laisse peut-être quelque incertitude sur l'époque où il peut être exercé. Suivant ses propres expressions, il a lieu conformément aux articles 2106 et 2113 du code civil, à la charge d'une inscription qui doit être faite dans les deux mois de l'enregistrement de l'acte translatif de propriété. D'après cela, c'est, ce semble, les articles 2106 et 2113 qui doivent organiser ce privilége et fixer l'époque de son exercice; or, ces articles portent article 2106. « Entre les créan

ciers, les priviléges ne produisent d'ef« fet, à l'égard des immeubles, qu'autant « qu'ils sont rendus publics par inscrip«tion sur les registres du conservateur « des hypothèques, de la manière déter«< minée par la loi, et à compter de la date « de cette inscription.....» Article 2113. << Toutes créances privilégiées soumises « à la formalité de l'inscription, à l'égard

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desquelles les conditions ci-dessus pres«< crites pour conserver le privilége n'ont « pas été accomplies, ne cessent pas néan« moins d'être hypothécaires; mais l'hy« pothèque ne date, à l'égard des tiers,

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