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puis fixait sur son mari un regard scrutateur, et cherchait à lire dans ses yeux, dans ses gestes et dans ses moindres mouvements, s'il rendrait heureuse celle qui se donnait à lui pour la vie. Enfin, au moment où la jeune épouse prononça, d'une voix émue, ce oui si terrible ou si doux, Drymel tomba à genoux, et prononça pour elle une de ces prières qui montent jusqu'à Dieu, parce qu'elles sont désintéressées.

Après la messe, tandis que toute la noce s'était retirée dans la sacristie, et que les témoins et les parents étaient allés signer au registre, le frère resta confondu avec cette foule d'oisifs pour qui tout est spectacle, et qui, en attendant la sortie du cortége, allaient, venaient et causaient dans l'église comme sur une place publique. Enfin, le suisse ouvrit avec grand fracas les deux battants de la sacristie, et la noce traversa l'église entre deux haies de curieux. Drymel alla se mettre près de la porte, sur le passage du cortége. La jeune mariée distingua au milieu du peuple ce visage pâle et grave; elle s'arrêta, le regarda fixement, et passa. Drymel était sur le point de se précipiter au cou de sa sœur ; mais, retenu par une force qu'il avait puisée dans le temple, il eut le courage de se contenir, et s'éloigna rapidement pour n'avoir plus à lutter davantage.

Il partit le soir même pour Marseille. Il y trouva un ancien compagnon d'études, qui, pour avoir fait sa rhétorique et sa philosophie, n'avait point cru déroger en entrant dans le commerce. C'était un négociant intelligent et consciencieux; c'était aussi un homme aimable et un ami dévoué. On juge avec quelle joie il serra Drymel dans ses bras; il écouta le récit de sa conduite à Lyon avec un attendrissement mêlé de respect, lui promit un secret inviolable, et lui offrit ses services. Le plus grand désir de Drymel était de sortir de France, car il craignait à chaque instant d'être reconnu ; et d'ailleurs, à Marseille même, il ne se sentait pas trop rassuré contre la tentation d'aller embrasser sa sœeur. Son ami avait justement un navire en charge pour l'Amérique méridionale: il proposa à Drymel une place sur le bâtiment et un intérêt dans les marchandises. Celui-ci accepta cette offre avec empressement. Il partit ainsi de France quinze jours après y être rentré depuis on n'en a plus entendu parler. Amasse-t-il, dans un comptoir éloigné, une fortune dont il viendra jouir auprès de sa sœur? ou bien sa santé, déjà si faible quand il est parti, n'a-t-elle pu résister aux fatigues d'une si longue traversée? C'est ce qu'on ignore; mais, dans ce monde ou dans l'autre, il a reçu sa récompense.

VI. Exécution de Charles Ier.

Au même moment, après quatre heures d'un sommeil profond, Charles sortait de son lit: "J'ai une grande affaire à terminer, dit-il à Herbert,

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il faut que je me lève promptement;" et il se mit à sa toilette. Herbert troublé le peignait avec moins de soin: " "Prenez, je vous prie," lui dit le roi, "la même peine qu'à l'ordinaire; quoique ma tête ne doive pas rester longtemps sur mes épaules, je veux être paré aujourd'hui comme un marié." En s'habillant, il demanda une chemise de plus. "La saison est si froide," dit-il, "que je pourrais trembler; quelques personnes l'attribueraient peut-être à la peur; je ne veux pas qu'une telle supposition soit possible." Le jour à peine levé, l'évêque arriva et commença les exercices religieux. Comme il lisait dans le XXVII chapitre de l'Évangile selon saint Matthieu, le récit de la passion de Jésus-Christ: "Mylord," lui demanda le roi, "avez-vous choisi ce chapitre comme le plus applicable à ma situation ?"-" Je prie Votre Majesté de remarquer," répondit l'évêque, "que c'est l'évangile du jour, comme le prouve le calendrier." Le roi parut profondément touché, et continua ses prières avec un redoublement de ferveur. Vers dix heures, on frappa doucement à la porte de la chambre; Herbert demeurait immobile; un second coup se fit entendre un peu plus fort, quoique léger encore: "Allez voir qui est là," dit le roi; c'était le colonel Hacker. "Faites-le entrer," dit-il. Sire," dit le colonel à voix basse et à demi tremblant, "voici le moment d'aller à Whitehall; Votre Majesté aura encore plus d'une heure pour s'y reposer." "Je pars dans l'instant," répondit Charles, "laissez-moi." Hacker sortit: le roi se recueillit encore quelques minutes, puis, prenant l'évêque par la main: "Venez," dit-il, "partons: Herbert, ouvrez la porte; Hacker m'avertit pour la seconde fois." Et il descendit dans le parc qu'il devait traverser pour se rendre à Whitehall.

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Plusieurs compagnies d'infanterie l'y attendaient, formant une double haie sur son passage; un détachement de hallebardiers marchait en avant, enseignes déployées; les tambours battaient, le bruit couvrait toutes les voix. À la droit du roi était l'évêque; à gauche, tête nue, le colonel Tomlinson, commandant de la garde, et à qui Charles, touché de ses égards, avait demandé de ne le point quitter jusqu'au dernier moment. Il s'entretint avec lui pendant la route, lui parla de son enterrement, des personnes à qui il désirait que le soin en fût confié, l'air serein, le regard brillant, le pas ferme, marchant même plus vite que la troupe, et s'étonnant de sa lenteur. Un des officiers de service, se flattant sans doute de le troubler, lui demanda s'il n'avait pas concouru, avec le feu duc de Buckingham, à la mort du roi son père : "Mon ami," lui répondit Charles avec mépris et douceur, "si je n'avais d'autre péché qui celui-là, j'en prends Dieu à témoin, je t'assure que je n'aurais pas besoin de lui demander pardon." Arrivé à Whitehall, il monta légèrement l'escalier, traversa la grande galerie et gagna sa chambre à coucher, où on le laissa seul avec l'évêque, qui s'apprêtait à

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lui donner la communion. Quelques ministres indépendants, Nye et Goodwin entre autres, vinrent frapper à la porte, disant qu'ils voulaient offrir au roi leurs services. "Le roi est en prières," leur répondit Juxon. Ils insistèrent. "Eh bien," dit Charles à l'évêque, “remerciezles en mon nom de leur offre; mais dites-leur qu'après avoir si souvent prié contre moi, et sans aucun sujet, ils ne prieront jamais avec moi pendant mon agonie. Ils peuvent, s'ils veulent, prier pour moi ; j'en serai reconnaissant." Ils se retirèrent. Le roi s'agenouilla, reçut la communion des mains de l'évêque, et se relevant avec vivacité: "Maintenant," dit-il, "que ces drôles-là viennent; je leur ai pardonné du fond du cœur; je suis prêt à tout ce qui va m'arriver." On avait préparé son dîner; il n'en voulait rien prendre. Sire," lui dit Juxon, "Votre Majesté est à jeûn depuis longtemps; il fait froid; peut-être, sur l'échafaud, quelque faiblesse. 'Vous avez raison," dit le roi, et il mangea un morceau de pain et but un verre de vin. Il était une heure. Hacker frappa à la porte; Juxon et Herbert tombèrent à genoux. "Relevez-vous, mon vieil ami," dit le roi à l'évêque en lui tendant la main. Hacker frappa de nouveau; Charles fit ouvrir la porte. "Marchez," dit-il au colonel, "je vous suis." Il s'avança de long de la salle des banquets, toujours entre deux haies de troupes. Une foule d'hommes et de femmes s'y étaient précipités au péril de leur vie, immobiles derrière la garde et priant pour le roi, à mesure qu'il passait; les soldats, silencieux eux-mêmes, ne les rudoyaient point. À l'extrémité de la salle, une ouverture, pratiquée la veille dans le mur, conduisait de plain pied à l'échafaud tendu de noir; deux hommes étaient debout auprès de la hache, tous deux en habits de matelot et masqués. Le roi arriva, la tête haute, promenant de tous côtés ses regards, et cherchant le peuple pour lui parler; mais les troupes couvraient seules la place, nul ne pouvait approcher. Il se tourna vers Juxon et Tomlinson: ne puis guère être entendu que de vous," leur dit-il; "ce sera donc à vous que j'adresserai quelques paroles;" et il leur adressa en effet un petit discours qu'il avait préparé, grave et calme jusqu'à la froideur, uniquement appliqué à soutenir qu'il avait eu raison; que le mépris des droits du souverain était la vraie cause des malheurs du peuple; que le peuple ne devait avoir aucune part dans le gouvernement; qu'à cette seule condition le royaume retrouverait la paix et ses libertés. Pendant qu'il parlait, quelqu'un toucha à la hache, il se retourna précipitamment, disant: "Ne gâtez pas la hache, elle me ferait plus de mal;" et, son discours terminé, quelqu'un s'en approchant encore: "Prenez garde à la hache, prenez garde à la hache," répéta-t-il d'un ton d'effroi. Le plus profond silence régnait; il mit sur sa tête un bonnet de soie, et, s'adressant à l'exécuteur: "Mes cheveux vous gênent-ils ?"—"Je prie Votre Majesté de les ranger sous son bonnet," répondit l'homme en s'inclinant. Le roi les

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rangea avec l'aide de l'évêque. ... "J'ai pour moi," lui dit-il, en prenant ce soin, "une bonne cause et un Dieu clément."-JuXON. "Qui, sire,

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il n'y a plus qu'un pas à franchir; il est plein de trouble et d'angoisse, mais de peu de durée; et songez qu'il vous fait faire un grand trajet: il vous transporte de la terre au ciel."-LE ROI. "Je passe d'une couronne corruptible à une couronne incorruptible, où je n'aurai à craindre aucun trouble, aucune espèce de trouble." Et, se tournant vers l'exécuteur : "Mes cheveux sont-ils bien ?" Il ôta son manteau et son SaintGeorge, donna le Saint-George à l'évêque en lui disant: Souvenez-vous ; ôta son habit, remit son manteau, et, regardant le billot: "Placez-le de manière à ce qu'il soit bien ferme," dit-il à l'exécuteur.-"Il est ferme, sire."-LE ROI. "Je ferai une courte prière, et, quand j'étendrai les mains, alors. Il se recueillit, se dit à lui-même quelques mots à voix basse, leva les yeux au ciel, s'agenouilla, posa sa tête sur le billot. L'exécuteur toucha ses cheveux pour les ranger encore sous son bonnet; le roi crut qu'il allait frapper: "Attendez le signe," lui dit-il.—“ Je l'attendrai, sire, avec le bon plaisir de Votre Majesté." Au bout d'un instant, le roi tendit les mains; l'exécuteur frappa; la tête tomba au premier coup: "Voilà la tête d'un traître !" dit-il en la montrant au peuple. Un long et sourd gémissement s'éleva autour de Whitehall. Beaucoup de gens se précipitaient au pied de l'échafaud pour tremper leur mouchoir dans le sang du roi. Deux corps de cavalerie, s'avançant dans deux directions différentes, dispersèrent lentement la foule. L'échafaud demeuré solitaire, on enleva le corps: il était déjà enfermé dans le cercueil; Cromwell voulut le voir, le considéra attentivement, et, soulevant de ses mains la tête comme pour s'assurer qu'elle était bien séparée du tronc: "C'était là un corps bien constitué," dit-il, "et qui promettait une longue vie."-GUIZOT, Histoire de la Révolution d'Angleterre.

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Je parcourais le nord de la Russie au cœur de l'hiver; grâce à une épaisse couche de neige et à une bonne gelée, les grandes routes de la Courlande, plus difficiles, au rapport des voyageurs, que le chemin du Temple de la Vertu, étaient devenues praticables. Je voyageais à cheval, ce qui est la meilleure manière de voyager, pourvu que le cheval et le cavalier se portent bien.

Or imaginez-vous, messieurs, qu'un jour, ou plutôt une nuit, je m'égarai dans une espèce de désert, au milieu de l'obscurité la plus complète. Il soufflait une bise à me geler le cœur dans la poitrine. J'avais beau regarder autour de moi, j'avais beau écouter de toutes mes oreilles; pas un village, pas un hameau, pas une maison, ni de près ni

de loin. Le pays tout entier était couvert de neige, et je ne savais ni route ni chemin. Que faire ? me demandai-je.

Ma résolution fut bientôt prise. Harassé de fatigue, je descendis des étriers et attachai mon cheval à une espèce de tronc d'arbre dont la pointe sortait de la neige. Pour plus de sûreté, je pris mes pistolets sous mon bras, je m'enveloppai soigneusement dans mon manteau et me couchai non loin de là sur la neige, où je m'endormis d'un si doux sommeil, que le jour était entièrement levé quand je rouvris les yeux. Mais quel fut mon étonnement en me trouvant, à mon réveil, au milieu d'un village et couché dans un cimetière ! Je regardai d'abord autour de moi, cherchant des yeux mon cheval sans le trouver. Ma surprise fut extrême, comme vous pouvez bien penser. Mais, presque au même instant, j'entendis au-dessus de moi des gémissements sourds et prolongés. Je levai la tête et j'aperçus mon pauvre compagnon attaché à la pointe du clocher, où il se trouvait suspendu par la bride. Diable ! m'écriai-je.

Et, de la main, je me frappai le front; j'avais compris la cause de ce singulier événement. Car, sachez, messieurs, que le village avait été entièrement couvert de neige la veille, et que, pendant la nuit, le dégel était subitement survenu, de sorte que, durant mon sommeil, j'étais descendu tout doucement, tout doucement, à mesure que la neige s'était fondue. Ce que, dans l'obscurité, j'avais pris pour une tige d'arbre qui pointait au-dessus de la neige et à laquelle j'avais attaché mon cheval, était tout bonnement la croix du clocher de l'église.

Sans me perdre en longs expédients, je pris un de mes pistolets, visai droit à la bride du cheval et lâchai la détente. De cette manière, je revins heureusement en possession de ma monture et me remis immédiatement en route, laissant suspendu derrière moi un témoin oculaire de cette miraculeuse aventure.

Je continuais joyeusement ma route quand j'aperçus, au détour d'une forêt, un admirable renard noir. En vérité, c'eût été un péché de trouer d'une balle cette magnifique fourrure. J'avisai donc au moyen de m'en emparer d'une autre façon: messire renard se trouvait alors près du tronc d'un gros arbre; cette position, comme vous allez voir, favorisait merveilleusement mon projet. Je laissai glisser dans mon fusil un gros clou en guise de balle: je fis feu, et j'eus la satisfaction de voir le projectile frapper la queue de l'animal et la clouer fortement contre l'arbre. Alors j'avançai vers mon prisonnier, je tirai mon couteau de chasse, et, après lui avoir fait au front une entaille en forme de croix, je me mis à le fouetter impitoyablement de toutes mes forces. J'y allai de si beau jeu et d'un main si ferme, que, chose merveilleuse et plaisante à voir! il se dégagea entièrement de sa peau, et me laissa en fuyant la plus belle fourrure que j'aie vue de ma vie.-GEOFFREY.

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