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de quatre cent soixante hommes bien montés, bien équipés et exercés, commandés par un très-bon officier qui s'est distingué avec son régiment dans toutes les occasions, et particulièrement à l'enlèvement du camp retranché de Glatz. Je vais en même temps rassembler, à Breslau, quatre à cinq mille hommes d'infanterie, un régiment de cavalerie et six cents lanciers polonais, afin d'être prêt à marcher où Votre Majesté le jugera nécessaire. Cela n'empêchera pas que Glatz, Silbelberg et Kosel ne soient bloqués. J'attends les ordres de Votre Majesté. »

Ce même jour, 7 juillet, l'Empereur écrivait de Tilsitt à son frère la lettre suivante :

« Mon frère, je viens de conclure la paix avec la Russie et la Prusse. Vous avez été reconnu comme roi de Westphalie. Ce royaume comprend tous les États dont vous trouverez ci-joint l'énumération. J'irai passer quelques jours à Koenigsberg, et de là je me rendrai à Dresde. Je vous préviendrai à temps, pour que vous puissiez arriver avec moi à Dresde; et nous nous concerterons là pour l'organisation à donner à votre royaume. Il est inutile que vous ébruitiez cette nouvelle. Il faudrait vous procurer un secrétaire qui sût très-bien l'allemand, et vous occuper déjà de me proposer quelques Alsaciens d'un mérite distingué, propres à vous aider dans votre administration. Mon intention d'ailleurs, en vous établissant dans votre royaume, est de vous donner une constitution régulière qui efface dans toutes les

classes de vos peuples, ces vaines et ridicules distinctions. Envoyez du côté de Glogau de la cavalerie, afin que j'aie partout de très-fortes escortes. « Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

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Le 7 juillet était le jour même de la signature du traité de Tilsitt. Ainsi, la première pensée de l'Empereur, immédiatement après cet acte mémorable, est d'annoncer à son frère le nouveau remaniement territorial qu'il vient de faire subir à l'Allemagne en sa faveur. Il le fait en des termes qui peignent à la fois et cette époque extraordinaire où les événements politiques de l'ordre le plus élevé revêtaient souvent les formes de simples actes administratifs, et l'activité prodigieuse de l'esprit de l'Empereur comprenant, pour ainsi dire, dans une même phrase, le résumé de toute son œuvre révolutionnaire, et l'infime détail de ses escortes. Cette préoccupation de Napoléon au sujet de ces vaines et ridicules distinctions, est particulièrement remarquable dans ce billet rapide uniquement destiné à donner le premier avis d'un grand événement. Comme beaucoup de passages de sa correspondance, la phrase est incomplète; il est visible que sa pensée du moment, celle qui le dominait lorsqu'il venait de renverser encore une fois l'équilibre européen, s'échappait, malgré lui, en quelques mots qu'il ne prenait pas la peine de développer, mais qui jettent un jour singulier sur la nature de ses premiers mouvements et de ses intimes conceptions.

L'Empereur, parti de Tilsitt le 9 juillet et de Konigsberg le 13, arriva le 16 à Dresde. Il y resta six jours, pour donner les derniers soins à l'organisation et à la répartition des troupes qu'il laissait derrière lui, en Pologne, en Prusse, en Poméranie, en Silésie, et pour s'entendre avec le roi de Saxe, créé GrandDuc de Varsovie, sur l'importante et inespérée position que le traité de Tilsitt venait de créer à sa maison. Le prince Jérôme rejoignit l'Empereur à Dresde, et en repartit le 22 juillet, accompagnant son frère à son retour en France. Ce même jour, le Prince, en transmettant au général Hédouville les ordres de l'Empereur, fit le dernier acte de son commandement, comme général en chef de l'armée de Silésie. Voici la lettre où l'Empereur lui donnait ses instructions:

< Mon frère, envoyez un courrier au général Hédouville pour lui donner les ordres suivants : 1° Faire faire les états de la contribution ordinaire qui a été imposée sur la Haute et la Basse-Silésie, des impositions ordinaires, et de ce qui a été fourni en denrées pour être envoyé à la Grande Armée, imputable sur les contributions, en conséquence de décrets spéciaux; 2o Avoir soin de bien vérifier la comptabilité en matières, et de faire les diminutions convenables. Prévenir l'ordonnateur Boerio, qu'il sera porté la plus sévère attention sur cet objet, et qu'il serait responsable s'il ordonnait des fournitures qui ne seraient pas régulières; 3° Faire faire l'état de toutes les contributions ordinaires, soit domaines, soit reyenus de pays, qui doivent m'être payées depuis un

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an. Ce qui a été fourni aux Bavarois et pour les siéges, et qui n'est point déclaré par mes décrets imputable sur les contributions, ne doit point entrer en compte. Enfin, vous ordonnerez au général Hédouville de faire suspendre sur-le-champ toutes les réquisitions d'habits, de chevaux, et en général de tout ce qui doit être payé sur la contribution. »

L'Empereur, arrivé le 27 juillet à Paris, fit loger Jérôme au pavillon de Flore, et constitua au nouveau Roi sa Maison civile et militaire. Lecamus, ce jeune créole que nous avons vu auprès de Jérôme, aux Antilles, en Amérique, en qualité de secrétaire, et qui, depuis cette époque, ne l'avait pas quitté, fut nommé chambellan. Les officiers qui avaient servi auprès du Prince, en qualité d'aides de camp, tels que de Salha et Meyronnet, pendant la campagne de Silésie, furent provisoirement maintenus dans leur position auprès de sa personne, mais l'Empereur leur donna un an pour opter entre le service français et le service du royaume de Westphalie.

En général, pendant les trois mois que Jérôme passa en France, depuis son retour de l'armée jusqu'à son départ pour l'Allemagne, il fut de la part de Napoléon l'objet d'une faveur et d'une préférence marquées. Pendant la campagne de Silésie, le jeune Prince avait eu l'occasion de montrer la seule qualité dont son passé eût pu faire douter, l'esprit d'obéissance modeste, de soumission aux devoirs importants, quoique secondaires, du commandement militaire. Sans murmurer, sans tourmenter son frère

d'aucune exigence, Jérôme avait accompli så mission en Silésie comme aurait pu le faire le général le moins ambitieux, l'administrateur le plus expérimenté. Loin du théâtre des exploits retentissants et de la présence du héros qui donnait la gloire à tout ce qui l'entourait, privé de l'honneur de commander à des troupes françaises, le jeune Prince avait déployé une bonne volonté incessante, un zèle qui ne s'était jamais démenti. C'est à peine si, dans sa correspondance, on trouve la trace d'une plainte au sujet de ces nombreux froissements d'amour-propre que la jalousie de l'état-major général de la Grande Armée et l'orgueil de Vandamme ne lui épargnaient pas, sous le prétexte de son inexpérience et de sa jeunesse, froissements dont Napoléon lui-même s'était souvent fait le complice involontaire. Rien ne l'avait rébuté. Avec une mesure et une dignité parfaites, il avait arrêté les concussions de ceux qui croyaient avoir à lui donner des leçons, et l'avait fait de manière à ne pas rendre impossibles la continuation de leurs services et le contact de leurs personnes avec la sienne.

Général actif et brave, il avait, avec des ressources d'une insuffisance évidente, conquis sans démonstration bruyante, une grande province, la seule où, après la bataille d'téna, la monarchie prussienne eût concentré sa résistance, et il ne crut jamais que sa qualité de Prince l'autorisat à attirer à lui tout l'honneur du succès et à dépouiller de leur part légitime de gloire ceux qui l'avaient aidé dans sa mission. Ce que l'Empereur, pendant lé séjour de

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