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sir et s'incliner devant le jugement étranger, c'est-à-dire que nous serons arrivés au splendide résultat d'avoir occasionné des frais, d'avoir mis la justice en mouvement sans qu'il en soit résulté la moindre utilité; n'aurait-il donc pas été beaucoup plus simple, plus logique et plus conforme aux principes économiques qui doivent inspirer toute bonne procédure d'accueillir l'exception de litispendance dès le début de l'action et d'empêcher ainsi toute cette perte de temps et d'argent en rehaussant en même temps le prestige de l'ordre judiciaire ? Evidemment, le résultat absurde auquel nous sommes arrivés est dû uniquement à la fausseté des principes sur lesquels nous avons basé notre hypothèse et qui sont ceux professés par la théorie adverse. Certes, lorsqu'on soulèvera l'exception de litispendance dans les circonstances que nous décrivions à l'instant, il y aura lieu pour le tribunal saisi de l'exception d'examiner si le tribunal étranger n'était pas compétent uniquement à raison de la nationalité du demandeur, si les droits de la défense ont été respectés, si, en un mot, le jugement à intervenir à l'étranger contient en puissance tous les éléments nécessaires pour qu'après sa prononciation il puisse être déclaré exécutoire en Belgique; mais si, à ce moment, il n'y a aucune circonstance qui puisse empêcher la régularisation future du jugement à venir et s'opposer à son acte de naturalisation en Belgique, s'il nous est permis de nous exprimer de telle façon, qu'on admette l'exception de litispendance et qu'on ne fasse pas, pour quelques insuffisants et puérils motifs, prévaloir l'intérêt national sur le droit étranger, que l'on ne fasse pas revivre ce principe de l'accaparement des causes qui avait inspiré le fameux art. 14 du Code Napoléon, aujourd'hui heureusement aboli', et que l'on n'élève pas de barrière entre les différents pays en créant dans un esprit mystique des prohibitions qui ne sont fondées sur aucun

texte.

1. En Belgique seulement. (N. DE LA R.)

Victor YSEUX,

Avocat à Anvers.

72.

QUESTIONS & SOLUTIONS PRATIQUES

Propriété littéraire et artistique. - Droits en France de la veuve d'un compositeur anglais. Décret de 1852 et traité d'Union de 1886.- Femme légataire universelle. Enfant commun naturalisé français. Réserve.

I. La veuve d'un compositeur anglais peut-elle réclamer en France, à raison du décret de 1852 et de la Convention de Berne de 1886, les droits particuliers qui y sont accordés à la veuve d'un compositeur? Cette veuve, d'origine française, mais devenue anglaise par son mariage, a-t-elle, sous ce rapport spécial, intérêt à recouvrer la nationalité française ?

II. Quid, lorsque le compositeur a, par testament, institué sa femme légataire universelle de ses biens, et ce en présence d'un fils légitime devenu français par naturalisation et qui, par conséquent, constituerait un héritier réservataire, s'il y avait à appliquer que la loi française?

I. D'après l'article 1er de la loi française du 14 juillet 1866, la durée des droits accordés aux héritiers, successeurs irréguliers, donataires ou légataires des auteurs, compositeurs ou artistes, est de 50 ans à partir du décès de l'auteur et, pendant cette période de cinquante ans, le conjoint survivant, quel que soit le régime matrimonial, a, indépendamment des droits qui peuvent résulter en sa faveur du régime de la communauté, la simple jouissance des droits dont l'auteur prédécédé n'a pas disposé par acte entre-vifs ou par testament.

On sait par suite de quelles circonstances les droits successoraux du conjoint survivant avaient, pour ainsi dire, été réduits à néant lors de la rédaction du Code civil; la loi de 1866, dans son article 1er, avait eu pour but de réparer en partie cette méprise de Treilhard. Après des vicissitudes diverses, un projet, déposé en 1872, par M. Delsol, en vue de régler, d'une manière plus équitable, les droits du conjoint survivant, a abouti au vote de la loi du 9 mars 1891; comme celle-ci est conçue dans les termes les plus généraux, on pourrait croire, à première vue, qu'elle a abrogé les

dispositions de la loi de 1866 concernant la même question et qu'ainsi se trouve simplifiée la solution que nous cherchons; il résulte cependant des travaux préparatoires de la loi nouvelle que celle-ci n'a porté aucune atteinte aux mesures contenues dans la loi de 1866. V. Ch. Lyon-Caen, Droit des 31 mars et 1er avril 1890; Bozérian, Sénat, séance du 2 décembre 1890; Renault, Gaz. trib., 5 mars 1891; Darras, Droit d'auteur, 1891, p. 39.

Le législateur ayant lui-même, par un texte général, obvié aux inconvénients de l'ancien système, la disposition spéciale manque désormais de raison d'être; elle aurait donc dû être elle-même abrogée; on aurait ainsi évité les nombreuses difficultés qu'entraîne nécessairement la conciliation entre ces deux lois et, notamment, les tribunaux n'auraient pas eu à se demander si un conjoint peut cumuler le bénéfice de ces deux dispositions ou si, au contraire, il doit imputer sur sa part héréditaire, déterminée par la loi de 1891, les biens qu'il recueille en vertu de la loi de 1866. Mais ce sont là des difficultés de pur droit interne qui ne doivent pas être élucidées ici; ce que nous avons à nous demander, c'est si une femme étrangère et, spécialement, une Anglaise, veuve d'un compositeur anglais, peut recueillir les droits particuliers que la loi de 1866 accorde au conjoint survivant.

Dans l'espèce examinée, la veuve a été instituée légataire universelle par son mari; la difficulté soulevée se trouve ainsi simplifiée ; sans cette circonstance, il aurait fallu, indépendamment des développements qui suivent, rechercher si la femme était appelée, en vertu de la loi anglaise, à recueillir le bénéfice des droits intellectuels auxquels son mari peut prétendre en France. Disons simplement à ce sujet que les lois anglaises, spéciales aux droits intellectuels, ne contiennent aucune indication à cet égard et qu'il faut par suite s'en rapporter sur ce point aux dispositions des lois générales. On pourra consulter à cet effet les lois 22 et 23. Car. II, chap. 10; 1 Jac. II, chap. 17, et une loi toute récente du 25 juillet 1890 (Ann. lég. Etr. 1891, p. 37, et la notice de M. Passez). Comme on le voit, nous pensons qu'il faut, en principe, pour régler la dévolution des droits intellectuels, s'attacher à la loi nationale du défunt; c'est le système universellement suivi à l'égard des meubles; on propose parfois de lui apporter exception à l'égard des immeubles, mais les motifs mis alors en avant n'ont aucune valeur à l'égard des droits intellectuels. V. Ch. Lyon-Caen, Rev. dr. intern., 1884, p. 446; Dambach, p. 9; Darras, n. 472 ; conv. franco-espagnole de 1880, art. 1er, § 1er.

aux

Au surplus, pour que la question principale que nous examinons, puisse naître, il faut supposer que le compositeur anglais a fait exécuter, pour la première fois, ses œuvres en dehors du territoire français; dans le cas contraire, l'œuvre serait véritablement française et jouirait de tous les avantages reconnus œuvres françaises. Comp. Cassation, 20 août 1852, [S. 53, 1, 234]. Mais, d'ailleurs, même si l'œuvre a été donnée, pour la première fois, sur des scènes anglaises, il faut décider que la veuve peut, en partie au moins, réclamer le bénéfice des dispositions de la loi de 1866.

Il paraît, au premier abord, que le décret de 1852 résout la difficulté; V. Darras, n. 201; on sait, en effet, qu'en vertu de ce texte, on doit considérer comme un délit « la contrefaçon sur le territoire français d'ouvrages publiés à l'étranger »; la protection est ainsi accordée à l'œuvre même, sans que le texte tienne compte ni de la nationalité, ni de la qualité du titulaire des droits intellectuels ; il semble donc que, dans notre hypothèse, la veuve pourrait se prévaloir utilement du décret de 1852; ceci n'est cependant pas exact; c'est qu'en effet, d'une part, on admet généralement que ce décret, s'il peut être invoqué par les compositeurs de musique étrangers et par leurs ayants-cause, pour faire respecter le droit de reproduction sur les œuvres, ne leur est d'aucun secours pour la protection du droit de représentation ou d'exécution. V. Cass. 14 décembre 1857; Ann. prop. ind. 1858, p. 100; Pouillet, n. 854 et s.; Demangeat, Rev. prat., t. II, p. 241 et s.; Lacan et Paulmier, t. II, p. 236; Worms, t. II, p. 418; Darras, n. 217 et s. et que, d'autre part, on doit penser que les auteurs d'un pays donné ne peuvent plus se prévaloir en France du décret de 1852, lorsque ce pays, l'Angleterre par exemple, a conclu avec la France un arrangement littéraire et artistique. Renault, Bull. lég. comp. 1881, p. 249; Darras, n. 196.

Il ne faudrait cependant pas conclure de ce qui précède que la veuve de ce compositeur anglais se trouve ainsi privée en France de toute protection, soit pour ce qui est du droit de reproduction, soit pour ce qui est des droits de représentation ou d'exécution; à défaut du décret de 1852, elle peut invoquer le bénéfice du traité d'Union de 1886 (V. texte, Clunet 1887, p. 780). La GrandeBretagne et la France ont adhéré à cette convention; or, d'après l'article 2 de cet accord international, les auteurs ressortissant à l'un des pays de l'Union ou leurs ayants-cause jouissent dans les autres pays des mêmes droits que leurs nationaux, et l'article 4,

ainsi que l'article 9, de ce même arrangement s'occupent expressément, l'un du droit de reproduction et, l'autre, du droit de représentation ou d'exécution; les veuves d'auteur sont certainement comprises parmi les ayant-cause, si l'on suppose qu'elles sont appelées à recueillir, ab intestat ou en vertu d'un testament, partie des biens laissés par le défunt, et, d'autre part, il résulte des travaux préparatoires que la nationalité de l'ayant cause est indifférente. Actes de la deuxième conférence internationale pour la protection des œuvres littéraires et artistiques réunie à Berne, 1885, P. 42.

Dans une espèce où le décret de 1852, et à plus forte raison le traité de 1886, n'étaient pas applicables, la jurisprudence a estimé que la veuve d'un auteur étranger jouissait en France des mêmes droits que ceux reconnus à celui-ci ; pour le décider ainsi, la Cour de cassation s'est appuyée sur la généralité des dispositions de l'article 39 du décret du 3 février 1810, Cassation 20 août 1852, [S. 53, 1, 234]; si pareille question leur était soumise de nouveau, nos tribunaux n'auraient aussi qu'à argumenter de la généralité des termes du traité de 1886.

Cependant il ne faut pas croire que la veuve de ce compositeur anglais soit absolument dans la même situation que si elle avait épousé un compositeur français dont les œuvres auraient été, pour la première fois, représentées en France; c'est qu'en effet, d'après l'article 2 du traité de 1886, les droits reconnus dans un pays de l'Union ne peuvent excéder en durée ceux accordés dans le pays d'origine de l'œuvre. Il en résulte que, dans l'espèce étudiée, les droits de la veuve sont appelés à disparaître lorsque sept ans se seront écoulés depuis la mort de l'auteur ou tout au moins lorsque l'œuvre aura été publiée depuis 42 ans. (Loi du 1er juillet 1842, 5 et 6, Vict., ch. 45, art. 3 et 20, Lyon-Caen, et Delalain, lois françaises et étrangères sur la propriété littéraire et artistique, t. 1er, p. 271 et p. 321). Il est manifeste que les droits de la veuve se trouvent ainsi restreints dans de notables proportions, puisque, si la loi de 1886 était seule applicable, ses droits auraient pu survivre pendant cinquante ans à la disparition de l'auteur.

En renonçant à la nationalité anglaise, pour recouvrer la nationalité française, cette veuve n'améliorerait pas sa condition; c'est qu'en effet, pour déterminer la nationalité de l'œuvre on s'attache, suivant les législations, soit à la nationalité de l'auteur, soit au lieu de la publication. Même, dans les lois appartenant à la première catégorie, le changement de nationalité de l'auteur ou de

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