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(§ 7, 11, 13) se sont spécialement inspirés des mêmes principes.

Mais, à un autre point de vue encore, la doctrine de l'efficacité extraterritoriale des sentences pénales donne lieu à discussions. Toutes les législations, en effet, organisent un système d'incapacité et de décadences civiles qui résultent expressément de condamnations pénales ou peuvent y être ajoutées. Pour décider si, et dans quelle mesure, ces déchéances peuvent être reconnues à l'étranger, il faut, à notre avis, distinguer avec soin trois hypothèses distinctes.

1. La condamnation pénale, d'où dérive l'incapacité civile, a été prononcée par un tribunal national de l'inculpé. En ce cas, nous croyons que cette incapacité civile se confond avec le statut personnel, et doit être admise partout. En effet, étant admis qu'il appartient à cette loi de fixer l'état et la capacité de la personne, le juge doit reconnaître cet état et cette capacité, tels qu'ils sont déterminés par la loi étrangère, sans se préoccuper des raisons pour lesquelles ils ont été ainsi fixés.

Ce n'est pas la sentence pénale étrangère qui, de cette manière, est reconnue à l'étranger, mais un effet civil essentiellement personnel que cette condamnation produit alors dans l'autre Etat. Les droits de la souveraineté nationale sont suffisamment protégés par la règle générale, d'après laquelle on refuse de reconnaître l'existence d'un état ou d'une capacité qui sont en contradiction avec l'ordre public territorial.

2. Si la condamnation pénale a été prononcée par tout autre tribunal, sous aucun prétexte, évidemment, elle ne pourra être reconnne. Elle ne peut l'être, en effet, ni en tant que condamnation pénale qui, comme telle, n'a pas d'effets personnels hors du territoire où elle a été prononcée, ni comme décision modificative de la capacité civile de la personne, capacité que la loi étrangère n'est pas apte à régir. 3. Les lois attribuent généralement à certaines condamnations déterminées le pouvoir d'entraîner des déchéances civiles. Pourra-t-on et devra-t-on prendre en considération, à cet effet, la condamnation survenue à l'étranger? Ici (on peut bien le dire), il ne s'agit pas d'exécuter la sentence étrangère, mais seulement de reconnaître le fait par elle constaté, et de l'accepter comme constant. Ce qui reçoit véritablement son exécution, c'est la loi nationale, qui tire de ce fait une telle

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conséquence. Les raisons morales et juridiques qui ont conduit le législateur à ordonner cette déchéance ne perdent pas leur valeur parce que l'infraction a été commise et a été constatée à l'étranger. La solution contraire porterait atteinte au principe de la communauté juridique, qui est la grande et nouvelle base de tout le droit international.

Ces raisons nous paraissent irréfutables en droit abstrait; mais il y a lieu de douter que, dans le silence de la loi, elles puissent prévaloir en droit positif, alors qu'en matière pénale le principe de la territorialité du droit plus que celui de la communauté constitue la règle. En fait (pour ne parler que de la jurisprudence italienne) la Cour de Cassation de Rome, sous l'empire de l'ancien Code, muet sur ce point, dans sa sentence du 12 septembre 1885 (Corte suprema 1886, p. 921, avec une note favorable de nous-même. Voyez aussi Foro italiano 1886, I, 1217, avec note contraire de M. Fiore), décidait que le conseiller communal n'était pas déchu de sa charge, pour avoir été condamné pour vol par un jugement prononcé en un tribunal étranger.

Toutefois, si nous proposons, comme nous l'avons dit, en droit abstrait la solution contraire, nous ne voudrions pas voir attribuer sans condition cette efficacité aux jugements étrangers. Bien au contraire, il nous paraît qu'il faut se préoccuper de cette faculté indirectement concédée à un tribunal étranger (sans contrôle ou intervention de notre part) de modifier le statut personnel de nos citoyens et d'exercer une influence sur la composition de notre corps électoral; c'est pour cela que nous approuvons complètement la solution très prudente admise par le législateur italien dans l'article 7 précité.

A plus forte raison, pensons-nous que la sentence étrangère doit être prise en considération quant aux effets de la récidive. Mais ici encore la jurisprudence et la doctrine sont généralement contraires.

J'ajouterai, qu'en parlant de condamnation pénale, il est fait exclusivement allusion à celles qui prononcent une peine. Si, outre la sentence pénale, le Tribunal prononce une condamnation civile à des dommages-intérêts, les règles qui devront régir l'exécution de cette condamnation dans notre Etat sont celles relatives à l'exécution des jugements rendus en matière civile. En effet, comme le dit justement Ortolan, si

la communauté d'origine dans le même fait délictueux peut faire donner lieu, en même temps, pour des raisons d'utilité évidentes, à la réunion en une même action juridique, devant une même juridiction, de l'action publique pénale et de l'action privée civile, ces deux actions n'en restent pas moins pour cela distinctes dans leurs buts, dans leur nature; et dès que la sentence est prononcée, elles se séparent et reprennent chacune leur caractère propre et distinct.

Les dispositions de l'art. 9 précité du Code pénal italien pourraient donner lieu à bien d'autres développements, puisqu'il contient quelques principes fondamentaux relatifs à l'extradition; mais les traiter ici serait sortir du cadre et du but que nous nous sommes proposés en cette étude.

G. FUSINATO,

Professeur à l'Université de Turin.

Traduct. de M. A. CHRÉTIEN, agrégé à la Faculté de droit de Nancy, et P. Lesieur, avocat à la Cour de Paris.

De la nationalité de l'individu né en France d'une étrangère qui elle-même y est née.

La Cour de cassation a rendu, à la date du 7 décembre 1891, un arrêt en matière de nationalité appelé à un grand retentissement. Elle a déclaré, par application de la loi du 7 février 1851, que l'individu né en France d'une étrangère qui elle-même y est née, est Français de plein droit. Nous nous proposons d'examiner la doctrine qui a triomphé dans cette décision et d'en faire ressortir les conséquences pratiques qui sont de la plus haute importance. Mais l'instance dans laquelle elle est intervenue a présenté des vicissitudes telles, qu'il nous paraît intéressant de les exposer d'abord brièvement. Nous nous attacherons ensuite à l'étude de la question même qui a été tranchée par l'arrêt du 7 décembre

1891.

I

La loi du 26 juin 1889, qui a apporté dans la matière de la nationalité des modifications si importantes, a eu le très grand tort de ne point régler les questions transitoires que devait

nécessairement soulever l'introduction, dans le droit civil français, de dispositions nouvelles. Aussi des difficultés nombreuses se sont-elles produites en pratique, dès qu'il s'est agi d'appliquer à certains individus une législation qui avait pour effet de modifier leur état au point de vue de la nationalité. Le Journal a rapporté les principales espèces qui, dans cet ordre d'idées, ont été soumises aux tribunaux depuis deux années. On a dû notamment se demander s'il convenait ou non, dans le silence de la loi, d'attribuer la qualité de Français, par application de l'article 8, § 4, du Code civil modifié, aux individus nés en France d'un étranger et qui ayant atteint leur majorité avant la promulgation de la loi du 26 juin 1889 se trouvaient, à cette époque de leur majorité, domiciliés en France; la jurisprudence a refusé très nettement de leur étendre le bénéfice de la disposition dont il s'agit '.

De même on avait agité la question de savoir si l'article 8, §3 du Code civil modifié, aux termes duquel la qualité de Français est conférée de naissance et irrévocablement aux individus nés en France d'un étranger qui lui-même y est né, était applicable aux individus de cette catégorie qui n'avaient pas encore atteint l'âge de vingt-deux ans lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle législation; la doctrine enseignait à cet égard que ces individus ne pouvaient plus user de la faculté de répudiation instituée par les lois antérieures cette faculté a, en effet, été retirée à cette catégorie d'étrangers sans qu'il ait été fait de réserve pour aucun d'entre eux 2; mais la jurisprudence avait eu l'occasion de se prononcer en sens contraire 3.

:

L'espèce dans laquelle la Cour de cassation vient de statuer soulevait également des questions transitoires d'une importance très grande, auxquelles le législateur de 1889 n'a pas davantage donné de solution.

Le demandeur au procès était un sieur Hess, né à Paris, en 1857, d'un père étranger qui était lui-même né à l'étranger; mais sa mère, d'ailleurs d'origine française, était elle-même

1. V. notamment Tribunal civil de Lille, 6 mars et 11 juillet 1890 Clunet 1890, p. 490 et 924); Trib. civ. Cambrai, 29 mars 1890 (Clunet 1830. p. 933).

2. Guillot, Acquisition de la qualité de Français, p. 186; L. Le Sueur et Eug. Dreyfus, Nationalité, p. 40.

3. Trib. civ. Lille, 1er mai 1890.

née sur un territoire français. Le sieur Hess était enfant légitime. Depuis sa naissance, il avait toujours été domicilié en France; en 1877, il avait été compris sur les listes du recrutement. Loin d'opposer son extranéité pour se soustraire aux obligations militaires, le sieur Hess avait fait son service en qualité d'engagé conditionnel d'un an; en 1881, il passait dans la réserve de l'armée active et, en 1885, il entrait dans l'armée territoriale promu, en 1886, au grade de sous-lieutenant, il accomplissait les différents stages règlementaires. D'autre part, et dès 1879, il avait été porté sur les listes électorales et, à chaque élection, il avait exercé son droit de vote sans qu'aucune contestation se fût jamais élevée. Le sieur Hess avait donc toujours été traité comme Français, lorsque, le 23 juillet 1890, le ministre de la guerre l'informa que, par décision du président de la République en date du 15 juillet, sa nomination au grade de sous-lieutenant dans la cavalerie territoriale avait été annulée. L'administration s'était aperçue, en effet, que le sieur Hess, fils d'étranger, était étranger lui-même; s'il désirait conserver son grade dans l'armée, il devait ou bien demander la naturalisation, ou bien souscrire la déclaration de l'art. 10 du Code civil en invoquant sa qualité de fils d'une ex-Française.

Le sieur Hess se refusa à remplir toute formalité; il prétendit qu'il avait un droit acquis à la qualité de Français bien avant l'intervention de la loi nouvelle. Muni de consultations émanées de MM. Lisbonne, sénateur, Garraud, professeur à la Faculté de droit de Lyon, et Bourgeois, avoué près le Tribunal civil de la Seine, il soutint qu'il pouvait se prévaloir de la qualité de Français soit en vertu de la loi du 22 mars 1849, soit en vertu des art. 8, § 4 et 9, § 3 du Code civil modifié par la loi du 26 jnin 1889.

D'après l'article unique de la loi du 22 mars 1849, les étrangers nés en France et qui y avaient satisfait à la loi du recrutement étaient admis « même après l'année qui suivait l'époque de leur majorité, à faire la déclaration prescrite par l'article 9 du Code civil ». Cette déclaration ne peut plus être souscrite depuis le 26 juin 1889 : l'article 6 de cette loi contient, en effet, l'abrogation expresse et sans réserve de la loi du 22 mars 1849. Le législateur a bien songé aux étrangers nés en France qui, postérieurement au 26 juin 1889, auront satisfait au service militaire français il leur reconnait ipso

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