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assurément moindre que celui de l'Etat sur le territoire duquel le délit a été perpétré. A la répression que celui-ci a organisée, celui-là a le droit et le devoir de se soumettre.

Mais si nous nous refusons, en principe, à admettre que l'on puisse trouver dans le seul élément de la nationalité du coupable un criterium nouveau et particulier, permettant d'attribuer à l'Etat national la compétence criminelle, cela n'empêche pas cependant que cet élément puisse exercer et exerce habituellement, en fait, une influence sur la quotité de la peine, et sur les conditions généralement acceptées de la mise en mouvement de la juridiction territoriale, lorsqu'il s'agit de délits commis à l'étranger. Nous y reviendrons tout à l'heure. Nous pouvons, par suite, conclure que les deux cas normaux de punissabilité du délit commis à l'étranger doivent être les suivants :

1. Quand il s'agit de délits dirigés contre la sécurité ou le crédit de l'Etat.

2. Quand l'auteur du délit commis impunément à l'étranger se trouve sur le territoire.

Dans le premier cas, l'action pénale de l'Etat, à raison de la nature même des motifs qui la légitiment, s'exerce, régulièrement, dans toute sa plénitude et sans aucune limite. Dans le second, au contraire, on a coutume d'apporter opportunément des limites et des conditions à son exercice. Parmi ces conditions figure, comme particulièrement importante et essentielle, celle aux termes de laquelle, en pareil cas, la répression des délits commis à l'étranger ne doit être exercée qu'autant que l'extradition du coupable ne peut avoir lieu au profit de l'Etat sur le territoire duquel le délit a été commis. En effet, si grâce au système que je viens d'exposer, aucun coupable ne pourra bénéficier de l'impunité dans la société juridique des Etats, il n'en suit pas qu'on arrive à appliquer au délit lui-même le mode de répression le plus efficace. Certainement, ainsi que nous l'avons démontré, quand un individu commet un délit sur le territoire d'un Etat et puis se réfugie dans celui d'un autre, l'ordre juridique se trouve troublé à la fois dans l'un et l'autre Etat; de là naît une concurrence de juridiction dans les deux Etats. Mais les mêmes raisons qui déterminent tout législateur dans son pays à préférer à tout autre la compétence du juge du lieu où a été commis le délit, s'invoquent aisément de la même manière, et avec encore plus

de force, en faveur du forum delicti commissi dans le cas de concurrence internationale.

En réalité, c'est l'ordre juridique de l'Etat dans lequel le délit a été consommé qui, même chronologiquement, a été le premier troublé. La violation de l'ordre juridique de l'Etat de refuge est d'un caractère tout secondaire et d'une intensité bien différente. Elle provient seulement de ce que le délit n'a pas été puni là où il aurait dû l'être. Il en résulte qu'à cet égard l'Etat de refuge protège de la manière la plus efficace possible son propre ordre juridique, en faisant en sorte que cette punition ait lieu. Que l'on songe, en outre, que le sentiment de l'infraction juridique survenue s'affaiblit et s'atténue en raison directe de la distance du lieu où elle a été commise. C'est en ee lieu que la peine exerce le mieux son influence exemplaire, calme et satisfait la conscience publique, qui reste plus inditferente dans le lieu où le coupable s'est purement et simplement réfugié. Que dire encore des arguments tirés des considérations de procédure? C'est sur le lieu du délit que l'on instruit la cause avec le plus de facilité, de soins et de sûreté, que l'on y entend les témoins, et on y rassemble en somme toutes les preuves. Transmises d'un Etat à l'autre, souvent elles perdent ou changent leur signification et leur valeur; toujours leur importance est considérablement amoindrie.

Si tout ce que nous avons dit est vrai, si, de ce fait que tout Etat constitue non seulement une individualité isolée, mais aussi un membre de la communauté universelle, découle pour lui le droit de coopérer à ce que, même dans les rapports internationaux, on maintienne aussi efficacement que possible dans l'intérêt commun, l'autorité du droit, si celle-ci doit poursuivre partout le coupable et prendre un caractère international quand le délit lui-même est devenu extraterritorial dans ses effets et dans son développement; si, d'autre part, l'intérêt commun n'exige pas seulement que tout délit, en quelque lieu qu'il ait été commis, soit puni, mais encore qu'il soit puni là où le châtiment sera le plus efficace, le plus juste, et la découverte de la vérité la plus facile — l'institution de l'extradition est pleinement justifiée ; et elle se montre ainsi dans son plein jour, dans sa juste valeur et dans son entière justification morale et juridique. Elle apparaît comme une concession et une délimitation que les Etats volontairement s'imposent en faveur du principe de la communauté juridique

internationale dans l'exercice exclusif de leur souveraineté interne. L'Etat, en effet, renonce à l'exercice de sa propre juridiction internationale, et remet le délinquant qui se réfugie sur son territoire, à un autre Etat qui se montre comme plus directement intéressé et comme plus apte à la répression de ce délit.

L'institution de l'extradition ainsi justifiée, la compétence territoriale fondée exclusivement sur la présence du coupable, se détermine d'une façon plus précise.

Elle garde son caractère de compétence principale toutes les fois que l'extradition est interdite, soit en raison de la personne qui a commis le délit (particulièrement quand il s'agit d'un citoyen de l'Etat qui devrait accorder l'extradition), soit en raison de quelques circonstances particulières qui accompagnent le délit lui-même. Dans les autres cas, cette compétence n'a qu'un caractère secondaire et subsidiaire, comme l'intérêt même de l'Etat à la répression du délit; elle s'exerce seulement quand l'extradition, tout en étant en elle-même licite, ne peut avoir lieu pour une raison quelconque spéciale et extrinsèque. Pareille hypothèse se vérifiera souvent. Il se peut qu'il n'existe aucun traité avec l'Etat auquel l'extradition devrait être accordée. Dans ce cas, rien ne fait obstacle à ce que l'extradition soit accordée; néanmoins, d'habitude, dans la pratique des Etats, elle n'a pas lieu. Et elle n'aura absolument jamais lieu, s'il s'agit d'un Etat avec lequel intentionnellement aucun traité n'a été conclu, soit à raison de l'état rudimentaire de son organisation judiciaire, soit à cause de la cruauté de ses pénalités, soit pour tout autre motif. Indépendamment de cela, les considérations du grand éloignement des deux pays, les dépenses lourdes qu'elle entraînerait et que la gravité du délit ne justifie pas peuvent exercer aussi leur influence. Puis, l'extradition offerte peut être refusée; bien qu'un traité existe, les relations juridiques entre les Etats peuvent être momentanément rompues; ou, bien encore, le lieu où le délit a été commis peut être incertain; ou l'acte peut avoir été perpétré dans un endroit où, pour une raison quelconque, l'autorité d'aucun Etat ne commande. Dans tous ces cas et dans tous autres possibles, la compétence de l'Etat où le délinquant se trouve est invoquée utilement; et c'est seulement notre système qui, garantissant alors et toujours la punition du coupable, satisfait par cela même complètement les exigences de la justice internationale.

C'est pour cette raison, qu'en principe nous approuvons complètement les dispositions du Code pénal italien, qui fait en général l'application de ces conceptions juridiques.

On sait que se séparant du droit anglo-américain, encore tout imprégné (sauf quelques légères exceptions) des principes les plus rigoureux de la territorialité, les législations continentales (parmi lesquelles la loi française se rapproche le plus du système anglais) s'accordent généralement à reconnaître les principe que le châtiment du délit commis à l'étranger doit avoir lieu: 1. Quand le coupable est un national; 2. Quand, bien que commis par un étranger, le délit est dirigé contre l'Etat ou bien (moins généralement toutefois) contre ses nationaux.

Les considérations précédentes renferment déjà l'appréciation de ces dispositions. Le mérite d'avoir donné le premier exemple législatif de la sanction du délit commis à l'étranger en s'inspirant des idées larges que nous venons de défendre, appartient au Code pénal autrichien (§ 39-40). Le Code hongrois le suivit (§ 9); puis le Code pénal bosniaque et herzégovien (§ 76), et enfin particulièrement le Code pénal italien. Après avoir généralement affirmé le droit de punir en Italie un délit quelconque, d'une certaine gravité, commis à Tetranger soit par des nationaux soit par des étrangers, le législateur italien ajoute que, quand le délit a été commis par un étranger contre un étranger, la poursuite en Italie n'aura lieu que s'il n'existe pas de traité d'extradition, ou si cette extradition n'est pas acceptée par le gouvernement du lieu où le coupable a commis le délit, ou par celui de sa patrie.

Au surplus, voici, sans autre commentaire, les textes mêmes du Code pénal italien :

ART. 3. Quiconque commet un délit sur le territoire du royaume est puni d'après la loi italienne.

<< Le citoyen est jugé dans le royaume, encore bien qu'il ait été jugé à l'étranger.

« L'etranger, qui a été jugé à l'étranger, est jugé dans le royaume, si le ministre de la justice en fait la demande.

« ART. 4. — Le citoyen ou l'étranger qui commet en territoire étranger un délit contre la sûreté de l'Etat, ou de contrefaçon du sceau de l'Etat, ou de falsification de monnaies ayant cours légal dans le royaume ou de papiers de crédit public italiens, délit pour lequel la loi italienne édicte une peine entrai

nant privation de la liberté personnelle non inférieure au maximum à cinq années, est passible des peines édictées par ladite loi.

<< Il est jugé dans le royaume, encore bien qu'il ait été jugé à l'extérieur, si le ministre de la justice en fait la

demande.

« Les précédentes dispositions s'appliqueront, alors même qu'il s'agit d'un délit pour lequel est édictée une peine entraînant privation de la liberté personnelle de moindre durée, toutes les fois que le coupable national ou l'étranger sera trouvé sur le territoire du royaume.

« ART. 5. Le citoyen qui, en dehors des cas indiqués dans l'article précédent, commet en territoire étranger un délit pour lequel la loi pénale italienne édicte une peine restrictive de la liberté personnelle non inférieure au minimum à trois années, sera poursuivi au nom de ladite loi, lors qu'il réside sur le territoire du royaume; mais la peine est diminuée d'un sixième, et à l'ergastulum est substituée la réclusion pour une durée de 25 à 30 années.

<< S'il s'agit des délits pour lesquels est édictée une peine restrictive de la liberté personnelle de moindre durée, on ne procèdera que sur la demande de la partie lésée ou à la requête du gouvernement étranger.

« ART. 6. L'étranger qui, en dehors des cas indiqués dans l'art. 4, commet sur le territoire étranger, au préjudice de l'Etat ou d'un citoyen, un délit pour lequel la loi italienne édicte une peine restrictive de la liberté non inférieure au minimum d'une année, est puni d'après la même loi, s'il se trouve sur le territoire du royaume; mais la peine est diminuée d'un tiers et l'ergastulum est remplacé par la réclusion qui ne peut être moindre de vingt années.

« Il ne sera procédé qu'à la requête du ministre de la justice ou sur la poursuite de la partie lésée.

« Si le délit a été commis au préjudice d'un autre étranger, le coupable, à la requête du ministre de la justice, sera puni d'après les dispositions de la première partie du présent article, pourvu que :

« 1. Il s'agisse d'un délit puni par une peine restrictive de

1. Naturellement de la même nature que ceux énoncés dans le premier de cet article.

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