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miné, mais à toute autorité judiciaire française compétente : cette délégation permet assurément, par la généralité de ses termes, de choisir celle de ces autorités qui paraît la plus propre à assurer, avec le moins de frais et dans le plus bref délai possible, l'accomplissement du mandat décerné par le tribunal étranger.

Un grand nombre de nos juridictions ont déjà adopté ces modes de procéder plus simples et plus économiques. Je ne puis, à cet égard, donner à vos substituts, qui d'ailleurs n'ont pas partout sous leurs ordres les mêmes auxiliaires, des instructions que la variété des espèces empêche de rendre très précises; c'est à eux d'opter entre les divers modes possibles de réalisation du mandat judiciaire étranger, en s'inspirant des nécessités qui viennent d'être rappelées et auxquelles il importe de donner satisfaction. Mais il est une règle générale dont vous leur prescrirez de ne point se départir toute convocation adressée à des particuliers en vue de l'exécution d'une commission rogatoire étrangère transmise par la voie diplomatique, en quelque matière et à propos de quelque opération que ce soit, doit se faire par la voie administrative ou par simple billet d'avertissement. L'intermédiaire de l'huissier ne doit jamais être employé, à moins d'instructions spéciales contraires. Au cas où le particulier ne se rend pas à la convocation, il doit simplement être dressé un procès-verbal de non comparution qui me sera transmis.

Vous adresserez également aux parquets de votre ressort une autre observation générale la commission rogatoire une fois exécutée, les pièces constatant cette exécution doivent être envoyées à ma chancellerie dans les délais les plus brefs.

Depuis un certain nombre d'années, l'usage a prévalu dans la plupart des tribunaux d'y joindre le texte des réquisitions du tribunal étranger et leur traduction. J'estime que cette pratique est mauvaise; il me paraît plus conforme aux principes d'en revenir aux anciennes traditions et de conserver les documents en dépôt au greffe, annexés à l'acte qui constate l'exécution de la commission rogatoire. Telles étaient autrefois les instructions de mon département, rappelées par Fœlix (Droit international, t. Ier, no 243). II conviendra de les observer d'une manière stricte à l'avenir. Le texte de ces réquisitions, qui ne peut être d'aucune utilité pour la juridiction étrangère, constitue en effet le titre en vertu duquel nos magistrats ont procédé aux opérations d'instruction sollicitées ; le tribunal français n'a point à s'en dessaisir.

Vos substituts ne manqueront pas de joindre aux pièces consta

tant l'exécution de la commission rogatoire un état détaillé des frais exposés, afin que mon département (Direction des affaires civiles) puisse vérifier, dans chaque affaire, si la voie la plus économique a bien été suivie. Cet envoi me sera fait sans préjudice de l'état qui doit m'être adressé (Direction des affaires criminelles, Bureau des frais de justice) à une époque ultérieure. Je tiens essentiellement à ce que cette prescription soit scrupuleusement

observée désormais.

Assez souvent, en conformité d'un désir exprimé par le tribunal étranger, les parquets doivent faire connaître le jour auquel il sera procédé à l'opération d'instruction réclamée par la commission rogatoire; les magistrats doivent alors faire reporter la date de cette opération à une époque au moins éloignée d'un mois, afin que les parties intéressées, prévenues à temps, puissent prendre telle mesure qu'il appartiendra.

Le Gouvernement français a dù se refuser souvent à déférer aux réquisitions émanées de tribunaux étrangers, et dont l'objet ne rentre pas dans la fonction du juge; c'est ainsi que certains tribunaux demandent, par voie de commissions rogatoires, qu'il soit procédé à des appositions d'affiches ou à des insertions dans les journaux, à des collationnements de pièces ou de signatures, dûment légalisées d'ailleurs, en dehors de toute contestation sur leur sincérité; c'est ainsi qu'ils sollicitent encore la délivrance de copies ou expéditions d'actes authentiques, d'états d'inscriptions hypothécaires ou de certificats d'indigence et non imposition. Ce sont là des diligences que les parties intéressées peuvent accomplir par elles-mêmes et sans l'intervention du juge; la voie des commissions rogatoires ne semble prise que pour épargner à ces parties des frais faits dans leur intérêt et les laisser ainsi à la charge du Trésor français. Le Gouvernement français ne peut prêter la main à une pratique contraire à nos traditions et dangereuse pour les intérêts du Trésor, lors même qu'elle pourrait paraître justifiée par la procédure en usage dans les autres Etats. Toutefois, lorsque les tribunaux étrangers demandent par voie de commission rogatoire qu'il soit adressé certaines notifications ou significations, bien que les parties intéressées soient à même de prendre les mesures propres à donner satisfaction au tribunal étranger, le Gouvernement ne croit pas devoir s'opposer d'une manière absolue à l'exécution de ces mandats il ne s'agit, en effet, sous une forme un peu différente, que de la remise d'un acte judiciaire. Mais ici surtout les parquets devront s'abstenir de recourir au ministère de

l'huissier; ils feront simplement faire la notification par la voie administrative, en me renvoyant un récépissé, dûment signé par le destinataire de l'acte.

Telles sont, Monsieur le Procureur général, les règles auxquelles il conviendra de s'attacher à l'avenir dans l'exécution des commissions rogatoires provenant de l'étranger. Vous trouverez ci-joints des exemplaires de la présente instruction en nombre égal à celui des parquets et des tribunaux de votre ressort.

Vous inviterez vos substituts à se bien pénétrer des recommandations qui y sont contenues et à s'y reporter toutes les fois que l'occasion s'en offrira pour chacun d'eux.

Recevez, Monsieur le Procureur général, l'assurance de ma considération très distinguée. Le Garde des sceaux, Ministre de la justice et des cultes, A. Fallières. Le Conseiller d'État, Directeur des affaires civiles et du sceau, Bard.

BIBLIOGRAPHIE

Des franchises diplomatiques et spécialement de l'exterritorialité, étude de droit international et de législation comparée, par EM. VERCAMER. 1 vol. in-8°, Paris, Chevalier-Marescq; Bruxelles, J. Lebègue et Cie. L'œuvre de M. V. se divise en deux parties; la première qui débute par des indications historiques très intéressantes, est consacrée à la recherche des fondements rationnels à donner aux franchises diplomatiques; la nécessité de l'indépendance réciproque des Etats paraît à notre auteur de nature à légitimer la pratique généralement suivie; néanmoins, dans sa seconde partie, où il étudie une à une les diverses immunités qui, aux différentes époques, ont été accordées aux agents diplomatiques ou consulaires, il arrive à cette conclusion que ces avantages sont parfois trop considérables et hors de proportion avec le motif qui, en thèse générale, sert à les justifier.

Introduction au droit international privé, contenant une étude historique et critique de la théorie des statuts et des rapports de cette théorie avec le Code civil, t. 2, par M. ARMAND LAINÉ, 1 vol. in-8°. Paris, Pichon, 1892.

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Le 2o volume de ce remarquable ouvrage, fruit comme le précédent de recherches minutieuses et savantes, se compose de deux parties distinctes; dans la première, notre éminent collaborateur nous donne la fin de l'étude générale qu'il a consacrée à l'origine, à l'empire, à la marche et aux formes successives de la théorie des statuts; il est ainsi amené à nous faire connaitre dans leurs lignes générales le système de Bouhier, de Froland et de Boullenois, et celui des statutaires hollandais. Ceci fait, il reprend la théorie des statuts suivant un plan nouveau et il expose, dans tous leurs détails, les conflits des lois concernant l'état et la capacité des personnes, le régime des biens, les successions et la forme des actes juridiques. Ces études constituent ainsi la contre-épreuve du tableau d'ensemble précédemment dressé; et, comme elles en reproduisent fidèlement les traits, elles montrent que ce tableau était exact, — ce que nous garantissaient d'ailleurs la haute science et l'esprit critique du professeur de la Faculté de Paris.

Les Éditeurs-Gérants: MARCHAL ET BILLARD.

MACON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS

De la faillite et de la liquidation judiciaire des sociétés commerciales en droit international privé.

Le développement des sociétés de capitaux dans la seconde moitié du siècle, et le caractère cosmopolite des entreprises organisées par les sociétés les plus importantes de France ou de l'étranger, ont puissamment contribué à accroître le nombre et la gravité des conflits de législation en matière de faillite. Or, la solution des conflits nés de la faillite d'une société soulève, en dehors des problèmes inhérents à la matière de la faillite en général, envisagée au point de vue international, des difficultés spéciales, dérivant de la nécessité de combiner les principes du droit des sociétés avec ceux de la faillite ce sont ces difficultés que nous nous proposons d'étudier ici brièvement.

Une société étrangère crée en France un établissement industriel ou commercial, y établit une succursale, y acquiert des biens ou y contracte des engagements: pourra-t-elle, en cas de cessation de paiements, être déclarée en faillite par un Tribunal français, ou solliciter le bénéfice de la liquidation judiciaire? Si cette société vient à être déclarée en faillite par un tribunal étranger, le jugement déclaratif étranger aura-t-il force de chose jugée en France, ou les créanciers français auront-ils au contraire le droit, sans tenir compte du jugement étranger, de pratiquer des saisies individuelles sur les valeurs françaises appartenant à la société, ou même de faire déclarer à nouveau la faillite de ladite société par un tribunal français? A supposer que le jugement déclaratif étranger n'ait pas autorité de chose jugée en France, n'est-il pas du moins susceptible de produire certains effets, et le Tribunal français, au lieu de déclarer une nouvelle faillite, ne peut-il pas se borner à revêtir ce jugement de l'exequatur? - Telles sont les principales questions que nous devons successivement examiner, non sans avoir résolu au préalable la question, très obscure et complexe, du criterium de la nationalité des sociétés. Il nous paraît en effet indispensable, avant d'aborder le problème du statut de la faillite des sociétés, de bien délimiter le champ de la discussion, en déterminant avec précision le criterium qui doit permettre de distinguer les sociétés étrangères des sociétés françaises.

JOURNAL DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ, T. 19. Nos V-VI 1892.

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§ 1er. DE LA NATIONALITÉ DES SOCIÉTÉS '.

Si la constitution des sociétés commerciales était subordonnée, comme celle des établissements publics ou d'utilité publique, à la condition préalable d'une autorisation gouvernementale, rien ne serait plus simple que de déterminer la nationalité d'une société les sociétés autorisées par le gouvernement français seraient françaises, celles autorisées par les gouvernements étrangers seraient étrangères, en quelque pays que pût se trouver leur centre d'exploitation. Mais le système de l'autorisation gouvernementale, qui n'a jamais été en vigueur pour les sociétés par intérêts, a fait place aujourd'hui dans la plupart des législations, même en ce qui concerne les sociétés par actions, au système de la règlementation (loi anglaise du 17 juillet 1856, loi française du 24 juillet 1867, loi espagnole du 19 octobre 1869, loi allemande du 11 juin 1870, loi belge du 18 mai 1873, Code hongrois de 1876, Code fédéral suisse de 1883, Code de commerce italien du 31 octobre 1883, etc.).

Les sociétés n'ayant plus, à leur origine, une sorte d'acte de naissance délivré par l'Etat sous la législation duquel leurs fondateurs ont entendu se placer, quel sera le criterium qui permettra de déterminer la nationalité de chacune d'elles? A quel signe distinctif convient-il de s'attacher? Est-ce au lieu où l'acte constitutif de la société a été dressé, ou à la nationalité des fondateurs ou des principaux associés, ou au domicile de la société ? Les trois opinions ont été défendues; et nous verrons bientôt que les partisans du troisième système se divisent eux-mêmes lorsqu'il s'agit de définir le domicile social.

1. Consulter notamment sur cette question: Vavasseur, Clunet 1875 345; Lyon-Caen, Journal des soc. civ et commerc., 1880, 32, et Clunet, 1885, 265; Thaller. Rev. crit., 1883, 340; Chervet, Des sociétés commerc. en droit int. privé, th. 1886; Chavegrin, note sous Paris, 4 nov. 1886, S. 88. 2.89; Arthuys, Rev. crit., 1889, 582; Cohendy, note sous Paris, 23 janv. 1889, D. P. 90.2.1; Thaller, De la nationalité des soc. par actions (Annales de dr. commerc. 1890, 2.257 et suiv.). V. aussi les traités génér. de dr. commerc. ou de dr. int. privé: Lyon-Caen et Renault, Précis de droit commerc., I, no 546; Boistel, Précis, no 396 ter.; Weiss, Traité élém. de dr. int. pr., I, p. 438; Surville et Arthuys, Cours. élém. de dr. int., no 456; Brocher, Traité de dr. int. pr., I, 193 et suiv.; Pasquale Fiore, Traité de dr. int. priv. (Trad. Pradier-Fodéré), p. 668 et suiv.; Asser et Rivier, Elém. de dr. int. pr., no 100. Adde : Congrès international des sociétés par actions, 1889 (A. Rousseau, éd.), pp. 197 et 316.

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