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Cette doctrine, a-t-on dit encore, conduit à des résultats inacceptables. « Il serait absurde que la Belgique pût acquérir une province par un traité et que l'Etat belge ne pût acquérir à Paris un hôtel pour son ambassade. » (Laurent, Droit civil international, t. IV, no 126). Cela n'est pas absurde. Qu'est-ce que le traité d'annexion donne à l'Etat annexant? La souveraineté, la propriété sui generis du droit international public, cela est conforme à la fin de l'Etat ; et le mode d'acquisition est aussi un contrat sui generis du droit international public, un traité. La question qui nous occupe soulève une question de droit civil, de propriété au sens strict, de testament et de legs. Le traité d'annexion constitue l'Etat annexant maître chez lui; on se demande s'il peut être propriétaire chez autrui. Les questions sont essentiellement différentes; on peut, sans absurdité, les résoudre dif- . féremment.

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Le même auteur ajoute que le droit politique domine le droit civil. En quel sens doit-on entendre cette proposition? Si elle signifie que le droit politique pose des principes dont quelques-uns sont acceptés, développés et détaillés par le droit civil, j'y consens; si elle signifie que le droit politique impose tyranniquement ses solutions au droit civil, nul ne l'admettra; si elle signifie que les personnes reconnues au point de vue politique existent nécessairement aux yeux du droit civil, c'est une pure affirmation déjà démontrée fausse. Aussi accepte-t-on assez facilement la règle qui exige une reconnaissance certaine par la loi civile. Au moins, ajoutet-on, cette reconnaissance n'a pas besoin d'être expresse, elle peut être implicite, résulter de l'ensemble des faits. J'accorde cette concession, à regret il est vrai et pour ne pas allonger une discussion qui a trop duré. Je ne sais quels faits seront suffisants pour constituer une reconnaissance tacite. Les traités, les contrats internationaux qu'on invoque souvent ne sont que des actes du droit international, sans rapport avec le droit civil, que le pouvoir législatif est souvent appelé à ratifier à cause des atteintes qu'ils peuvent porter à la loi. Restent les précédents, les cas dans lesquels un Etat a été ou est encore de fait propriétaire sur le territoire d'un autre

un hôtel pour son ambassadeur. Encore n'est-ce pas une raison décisive pour permettre qu'il l'acquière par legs.

Etat. Examinés avec attention, ils ne fournissent aucun argu

ment.

Je ne donne pas le détail de ces faits pour la plupart trop connus pour qu'il soit nécessaire de les rappeler.

Ils montrent la France en pays étranger, les Etats étrangers en France, acquérant et possédant des biens, passant des contrats « nos magasins leur sont ouverts,» a-t-on pu dire.Je crains qu'on n'ait ici confondu le fait avec le droit. Il arrive tous les jours que des incapables passent des contrats, passent des actes d'acquisition; à eux aussi les magasins sont ouverts et aussi les officines d'usuriers. Conclura-t-on de ces faits que ces incapables sont réellement capables? Non sans doute s'il s'agit d'un mineur, d'un interdit, d'une association coopérative, d'une congrégation non reconnue; donc la même conclusion sera inadmissible en ce qui concerne un Etat étranger. La force des choses, la coutume, la pratique obligent à traiter avec des incapables, à les considérer comme légitimement investis de droits que la loi leur refuse. Ce sont des faits, de purs faits qui n'autorisent aucune conclusion juridique. La bonne foi seule des contractants fait leur validité. Ils sont en général complètement exécutés par les parties contractantes et ne suscitent aucune difficulté ; mais dès qu'il y a contestation, dès que l'incapacité est invoquée, celle-ci est reconnue et sanctionnée. Au surplus, le contrat met aux prises les divers intérêts qu'il engage; les parties discutent ; celui qui traite avec un incapable sait ce qu'il fait, prend ses précautions ou calcule ses chances. Le testament dépouille les héritiers naturels sans qu'ils l'aient discuté ni même connu; il ne comporte de leur part aucune appréciation, aucune précaution, aucun calcul; ils n'ont qu'une ressource, l'action en nullité, et on ne saurait la leur enlever, alors même qu'on la refuserait à l'égard d'un contrat.

Un exemple achèvera de réduire la valeur des précédents invoqués. Un testateur institue une congrégation religieuse non reconnue; les héritiers naturels n'attaquent pas cette institution certainement nulle; la congrégation entre en possession, jouit paisiblement des biens légués; plus tard un second testateur institue la même congrégation; cette fois, les héritiers naturels invoquent la nullité de l'institution; leur succès n'est pas douteux, malgré l'effet reçu par le premier testament et la jouissance paisible qui a suivi; vainement leur

objecterait-on ces derniers faits qui n'ont pu créer une capacité que la loi ne reconnaît pas. Dans l'exemple qui précède, remplaçons congrégation religieuse par Etat étranger; il n'y a aucune raison de droit pour que la décision ne soit pas là même. La loi confère des droits à tous; les uns en usent, les autres les négligent; la négligence de ces derniers ne saurait constituer à l'encontre des autres ni un argument de fait, ni surtout un argument de droit.

L'Etat français a toléré chez lui des situations analogues et il jouit d'équivalentes à l'étranger! Cela est vrai; mais cette tolérance réciproque ne peut nuire aux droits des particuliers; les actes par lesquels le Gouvernement français acquiert des biens en Italie ou en Grèce n'effacent aucun article du Code civil, ne portent aucune atteinte à la loi civile qui, au dessus du Gouvernement, ne peuvent priver aucun citoyen des droits que la loi lui confère. La tolérance réciproque des Etats prouve que, dans les cas cités, chacun d'eux n'a discerné aucune atteinte à la souveraineté, aucune menace pour ses droits; elle ne prouve pas que les droits des particuliers n'aient pas été violės.

Mais M. Spuller, ministre des affaires étrangères, a écrit le 27 août 1890 une dépêche qui reconnaît à chaque ligue la capacité des Etats étrangers! M. Spuller écrivait sans doute comme ministre des affaires étrangères, après examen des droits et intérêts de l'Etat français; il ne songeait pas à discuter et à compromettre les intérêts particuliers que le testament lésait; il ne pensait pas à se poser en jurisconsulte interprétant la loi. Sa pensée eût-elle été différente, son autorité, pour respectable et respectée qu'elle soit, devrait céder devant la loi.

Résumons cette discussion.

III

1o Le Saint-Siège ne constitue pas un Etat au sens juridique du mot. Il n'est pas l'organe d'une nation, il ne possède ni sujets, ni territoire, ni les droits régaliens. Il représente un intérêt spirituel commun à des populations réparties sur la totalité du monde connu, mais non groupé en une nation. Si l'on veut absolument qu'il soit un Etat, il faut reconnaître que c'est un Etat sui generis. Donc, à supposer que les Etats

étrangers fussent capables de recevoir en France, il ne serait pas certain dès lors que le Saint-Siège fût capable.

2o La personnalité morale ne donne pas nécessairement tous les droits civils à l'être fictif qui en est revêtu; elle lui donne seulement ceux qui sont conformes à sa destination; or, l'Etat étranger, en admettant qu'il soit aux yeux de la loi civile française une personne morale, n'a pas besoin pour sa destination de la capacité d'être institué; donc il ne l'a pas.

3o L'Etat étranger n'a, en vertu de la reconnaissance diplomatique, d'existence qu'au point de vue du droit public. La loi civile française ne connaît que les personnes morales qu'elle crée ou permet de créer; or, elle ne mentionne pas parmi celles-ci l'Etat étranger; donc elle ne le considère pas comme une personne morale.

Ces trois propositions concourent à la même solution : la nullité du legs adressé au Saint-Siège. Chacune des trois suffit à la justifier.

Félix MOREAU,

Agrégé à la Faculté de droit d'Aix.

Questions de droit relatives à l'Exposition internationale universelle de Chicago (mai-octobre 1893').

L'Exposition de 1893 sera ouverte sous les auspices du Gouvernement des Etats-Unis, de l'Etat d'Illinois et de la cité de Chicago qui, tous, contribueront pécuniairement aux frais de construction et d'entretien de l'Exposition. Les affaires de l'Exposition seront gérées par une société, créée conformément aux lois de l'Illinois, dénommée « the Columbian Exposition Company », et soumise au contrôle d'une commission nommée par le gouvernement des Etats-Unis. La Compagnie est une société anonyme, dirigée par un conseil d'administrateurs. Le conseil d'administrateurs, d'accord avec la com

1. Cf. Droits et garanties des commerçants étrangers à l'Exposition internationale de Philadelphie en 1876, Clunet 1875, p. 324. Coudert, consultation pour les exposants étrangers à Philadelphie en 1876, ibid, 1876, p. 94. · Questions de droit relatives à l'Exposition universelle de Paris de 1878, MM. Lyon-Caen et Bozerian, ibid. 1878, p. 11 et 20; Clunet ibid. 1878, p. 80.

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mission nommée par les Etats-Unis, nomme tous les principaux fonctionnaires de l'Exposition.

Le capital de la Société est fixé à 5 millions de dollars qui ont été entièrement souscrits au pair. La ville de Chicago a fait à la Société une avance de 5 millions de dollars, et le gouvernement des Etats-Unis votera sans doute avec cette affectation un crédit de 3 à 5 millions de dollars. Avec ces fonds et ceux provenant des recettes ordinaires, l'Exposition sera menée à bien.

Outre cela, on a gratuitement concédé à la Société de l'Exposition l'usage d'un grand parc dans lequel seront érigées par la Société les constructions destinées à recevoir les objets à exposer. Certaines parties du parc ont été réservées aux différents Etats de l'Union américaine et aux nations étrangères, et plusieurs de ces Etats ou nations y érigeront des constructions à leurs frais. La Société de l'Exposition sera propriétaire de toutes ces constructions, sauf de celles qui auront été érigées pour l'exhibition de leurs propres produits par des Etats particuliers ou par des puissances étrangères. On espère que les recettes de la Société de l'Exposition seront suffisantes pour lui permettre de rembourser à la ville de Chicago la somme de 5 millions de dollars prêtée par elle, de rembourser le Gouvernement fédéral et probablement aussi pour payer ses propres actionnaires après avoir soldé toutes les dépenses de l'Exposition.

L'Exposition et tous ses alentours seront placés sous la protection directe et sous la juridiction du gouvernement de l'Illinois, et la police en sera confiée à l'Etat ou à la ville de Chicago. Tous les droits de propriété se rattachant à l'Exposition et tous les droits des exposants seront déterminés par les cours de l'Illinois, et, dans quelques cas, par les cours des Etats-Unis siégeant à Chicago, spécialement quand il s'agira de questions à trancher par la législation fédérale, comme, par exemple, par les lois fiscales ou par les traités étrangers.

Conformément aux lois de l'Illinois et aux lois applicables à l'Exposition de Chicago, la Société ne pourra acquérir aucun droit de propriété dans aucun des objets exposés. Il y a simple baillement au profit de la Société (that company will be only bailee) et les biens, dans les mains d'un sem

1. « Les Anglais réunissent sous le nom générique de bailment, baillement, du verbe bailler ou livrer, tous les contrats par lesquels le proprié

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