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légresse, et la confiance succède aux inquiétudes.

Mais plus les événemens du Nord captivent l'attention publique, plus l'étonnement est grand lorsqu'on s'aperçoit que des soucis d'une autre nature dominent la pensée de l'empereur. Tandis que tout Paris ne parle que de ce qui s'est passé en Russie, Napoléon semble n'être frappé que de ce qui vient de se passer à Paris. C'est à la tentative récente du général Malet qu'il donne cette importance. En descendant de voiture il était fortement préoccupé de cette affaire; son front soucieux en reste surchargé : elle est l'objet de ses premières informations et de ses premiers discours.

L'espace manque pour citer les adresses des autres peuples. Il y a, dans le Moniteur de cette époque, plus de cinquante pages de ce genre, signées par les hommes les plus marquans, et il nous semble du devoir de l'historien de faire mention de ces témoignages irrécusables de confiance dont tous les peuples de l'empire ne cessaient d'encourager Napoléon.

I Discours de M. le comte de Barbé-Marbois.

CHAPITRE II.

AFFAIRE MALET.

Un homme obscur, d'un esprit sombre, d'un caractère entreprenant, retenu depuis quatre ans dans une maison de détention au fond d'un faubourg de Paris, avait conçu, dans l'ennui de sa prison, le hardi dessein de tenter une révolution à lui seul, sans autre moyen qu'un cri funèbre dont il devait faire retentir tout Paris. Ce cri, c'était l'empereur est mort.

Le grand éloignement de Napoléon, son expédition aventureuse au fond de la Russie, l'irrégularité et l'interruption fréquente des courriers avaient préparé les esprits. De graves inquiétudes circulaient dans Paris, et le conspirateur savait que la crainte est crédule comme l'espérance. Il avait calculé toutes les chances qu'un premier moment de stupeur pourrait donner à qui saurait oser.

Sautant à pieds joints sur les confidences, sur les associations, sur les délibérations, les hési

tations et les lenteurs, qui sont l'écueil ordinaire des conjurés, il avait pourvu à lui seul aux préliminaires de l'action. Toute la conspiration était dans sa tête. Ce qu'un comité de conjurés aurait tenté de faire, il le supposait fait; ce que des intelligences dans les principaux corps de l'état auraient pu procurer, il le supposait obtenu. Les décrets qu'il aurait fallu arracher au sénat, il les avait dans son portefeuille. En vertu de ces décrets, le gouvernement impérial était aboli, un gouvernement provisoire le remplaçait; le général Malet, chargé du commandement militaire de Paris, l'était aussi de toutes les mesures d'exécution.

Ce général Malet, c'était le conspirateur luimême 1.

I

Dans la nuit du 22 au 23 octobre dernier,

Claude-François Malet était né le 28 juin 1754 à Dôle. Après avoir passé sa jeunesse au service, dans les mousquetaires, il reprit les armes à la révolution et commanda un des premiers bataillons du Jura.

Malet avait déjà ourdi une conspiration en 1808, pendant que l'empereur était en Espagne. Trahi par un de ses complices, il avait été arrêté. Mais, au lieu de lui infliger la peine capitale, on s'était contenté de le retenir dans une prison d'état ; et bientôt cette captivité avait été adoucie au point de n'être plus qu'une détention dans une maison de santé à la barrière du Trône.

échappant aux faibles consignes sous lesquelles il était détenu, muni d'avance de tous les ordres qu'il s'était arrogé le droit de donner, il avait risqué l'aventure. Cette nuit devait suffire pour lui procurer tout ce qui lui manquait encore, complices, troupes, argent et autorité.

Revêtu de son uniforme de général de brigade, il se présente d'abord à la prison de la Force, et, par de faux ordres, en fait sortir les généraux Lahorie et Guidal; il leur annonce que l'empereur est mort le 7 octobre devant Moscou; que le sénat a pris des mesures, et qu'il faut marcher. Lahorie et Guidal le suivent.

Ils se transportent devant une caserne; la troupe était plongée dans le plus profond sommeil. Malet parle en maître, fait battre le tambour, et réveille chefs et soldats avec sa nouvelle fatale, l'empereur est mort. Tenant à la main les prétendus décrets du sénat, il ordonne qu'on prenne les armes. Le soldat ne raisonne pas; il

:

obéit diverses colonnes sont aussitôt mises en mouvement, et le plan s'exécute.

Un détachement, commandé par Lahorie, se dirige sur l'hôtel du ministre de la police, en surprend l'entrée, enlève le ministre, et le conduit à la prison de la Force. Un autre détachement s'empare du préfet de police, et le met également en lieu de sûreté. Une troisième co

lonne marche sur l'Hôtel de Ville, et la troupe prend position sur la place de Grève, tandis que ses commandans se font remettre la clef du tocsin Saint-Jean, appellent le préfet Frochot, et font préparer par ses soins la salle que le gouvernement provisoire doit venir occuper 1. Le jour commençait à poindre, et déjà la nouvelle de la nuit avait produit son effet. Tout Paris s'est réveillé consterné; la mort de l'empereur n'a pas trouvé un incrédule; chacun se renferme dans sa maison, et ce n'est qu'à la dérobée qu'on ose jeter un coup d'oeil inquiet sur le parti révolutionnaire qui s'empare de la ville. Encore une heure de succès, et l'action du gouvernement allait être paralysée dans ses principaux ressorts 2.... Mais ce qu'un homme obscur a fait à force d'audace, un homme obscur va le déjouer avec un peu de bon sens et beaucoup d'énergie.

Malet n'avait rien eu de plus pressé que d'aller s'installer au quartier-général de la place Ven

1 Le gouvernement provisoire devait être composé de MM. Mathieu de Montmorency, Alexis de Noailles, du général Moreau, du comte Frochot, et d'un cinquième qu'on n'a pas nommé.

2

L'impératrice Marie-Louise était à Saint-Cloud; elle montra du sang-froid et du courage, et fit mettre sous les armes le peu de troupes qu'elle avait près de sa personne.

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