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gouvernement prit-il de grandes mesures de précaution : elles furent heureusement inutiles, et quoiqu'une foule immense se fût jointe au cortége, il n'en résulta aucun trouble. (Voyez la Chronique.)

L'impression que causa ce fatal duel fut renouvelée, quelques jours après, par une lettre dans laquelle M. Dupont (de l'Eure), parent et ami de M. Dulong, se démettait de ses fonctions de député. Une certaine hésitation s'étant manifestée dans la Chambre ( 5 février), sur la question de savoir s'il convenait de donner communication publique de cette lettre, il fallut un vote pour en ordonner la lecture. La première partie de la lettre, dans laquelle M. Dupont (de l'Eure) exprimait ses sentimens d'affection douloureusement blessés pour motiver sa démission, fut écoutée en silence; il n'en fut pas de même de la dernière partie : ici le démissionnaire, se plaçant sur un terrain politique, annonçait que la résolution qu'il exécutait avait été arrêtée depuis long-temps, et qu'elle lui avait été inspirée par la conduite du gouvernement et des Chambres. Critiquant avec amertume la direction suivie et les actes accomplis, et déclarant qu'il n'était ni dans la volonté du gouvernement ni dans le pouvoir de la Chambre de conjurer l'immense danger qui en résultait pour la France, M. Dupont (de l'Eure) croyait devoir remettre un mandat, « qui, conservé par moi plus long-temps, écrivait-il, ferait illusion au pays, s'il lui laissait croire que je peux faire maintenant quelque bien dans la Chambre. » Plusieurs fois la majorité avait interrompu la lecture de cette lettre par de vifs murmures.

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Ann. hist. pour 1834.

CHAPITRE III.

Projet de
Projet

Projet de loi tendant à accorder des pensions aux veuves du maréchal Jourdan, et des généraux Decaen, Gérard et Daumesnil. — loi relatif à l'augmentation de la gendarmerie dans l'Ouest. de loi relatif aux crieurs publics. - Demande d'autorisation à fin de poursuivre M. Cabet. Pétitions sur la réforme électorale.

Nous avons vu, dans le cours de 1833, la Chambre des députés refuser, en opposition avec l'opinion générale et même avec le vœu du gouvernement, des pensions successivement demandées par un projet de loi, et par des propositions de MM. Dupin et Delort, en faveur des veuves des généraux Daumesnil et Decaen. Des souscriptions, auxquelles le roi lui-même s'était associé, protestèrent contre ces décisions de la Chambre. Fort de cette marque de la sympathie publique, le ministre de la guerre renouvela (13 janvier), sous forme de projets de loi et à titre de récompense nationale, des demandes de pensions pour les veuvės du maréchal Jourdan et des lieutenáns-généraux Decaen, Daumesnil et Gérard. Les antécédens que nous venons de rappeler généralisaient l'intérêt de ces questions, et la résolution nouvelle de la Chambre était impatiemment attendue.

Rapporteur de la commission à l'examen de laquelle ces projets avaient été renvoyés, M. Vatout proposa ( 24 janvier) l'adoption du premier, relatif à la veuve du maréchal Jourdan, et le rejet des trois autres. Ces conclusions rigoureuses étaient motivées par des considérations d'économie et la nécessité, pour prévenir tout abus futur, de se renpar fermer dans les termes de la loi de 1831 sur les pensions de l'armée de terre, loi qui permettait de récompenser exceptionnellement, non pas des services seulement remarquables,

mais des services éminens et extraordinaires, tels que ceux du vainqueur de Fleurus, du maréchal Jourdan. Quant aux veuves des généraux Decaen, Daumesnil et Gérard, la commission, malgré ses voeux pour l'infortune, malgré son admiration pour d'illustres dévouemens, avait jugé que son premier devoir était de s'arrêter devant les limites posées par la loi, et de mettre ainsi le présent en garde contre l'avenir.

que

27 janvier. Les débats furent des plus animés. MM. Lacuée, Abel Lecreps et le général Leydet repoussèrent les quatre projets. M. Lacuée prouva, par des faits historiques, les pensions avaient toujours été une des plaies du trésor public; il pensait que dans la situation des finances, la Chambre devait, dès la première occasion, se montrer d'une extrême sévérité et ne pas créer des exceptions qui deviendraient de dangereux précédens. M. Abel Lecreps suppliait la Chambre d'arrêter le mal dans son principe; le général Leydet voulait qu'on s'en tînt rigoureusement au taux fixé par les dispositions générales de la loi des pensions. Autre était l'opinion de M. Boyer de Peyreleau et du général Delort après avoir raconté la belle vie militaire du général Decaen dans les Indes, en Catalogne et sur le champ de bataille d'Hohenlinden; après avoir rappelé sa noble pauvreté, ils proposaient pour la pension de sa veuve un chiffre plus élevé que celui qu'avait fixé le gouvernement. Le général Delort n'admettait pas que la Chambre pût se décider ici par des motifs d'économie, lorsqu'elle avait voté 100 millions pour des travaux publics, 76 millions pour les Grecs, et des millions encore pour les réfugiés de toutes les nations. M. Fiot parla dans le même sens : on ne devait point, parce qu'à d'autres époques les pensions avaient été prodiguées, refuser actuellement des récompenses méritées et que les sympathies prononcées de l'armée et du pays ordonnaient d'accorder. En réponse à cet argument, que voter les pensions ce serait s'engager dans une carrière où l'on ne

saurait plus à quelle borne s'arrêter, M. Charles Dupin objecta qu'il n'était pas à craindre que l'on trouvàt souvent à récompenser des mérites tels que ceux des Jourdan, des Decaen, des Daumesnil, des Gérard. Le colonel de Failly réclamait la pension en faveur de la veuve du général Gérard qui, en grand uniforme, avait marché un des premiers sur l'Hôtel-de-Ville, le 28 juillet, comme un solennel hommage dû à la révolution de 1830. M. Mauguin vint aussi prêter à la cause défendue par ces derniers orateurs l'appui de sa parole. Il était des services, selon lui, devant lesquels toutes les considérations d'économie semblaient misérables, et ces services, comme il l'établissait dans une brillante et rapide improvisation, c'étaient ceux de Jourdan, de Decaen, de Daumesnil :

« On parle, ajoutait-il, du budget et des contribuables. Est-ce que les richesses d'un pays consistent seulement dans quelques métaux et dans des marchandises? Non, messieurs, la richesse du pays est dans le dévouement de ses citoyens, dans les services qu'ils lui rendent : voilà la richesse la plus précieuse, car celle-là peut se passer des autres, et les autres ne peuvent pas se passer d'elle. (De toutes parts. Très-bien!)

<< Comment excite-t-on le dévouement? Comment appelle-t-on ces services? Quelques personnes par rigidité de principes, d'autres peut-être par ironie, parlent de la couronne de chêne. Oui, messieurs, les anciens récompensaient les grandes et nobles actions par des couronnes de chêne; mais croyez vous qu'ils se bornaient à ces récompenses? Recourez à l'histoire. Ce soldat romain qui scul sur un pont sut résister à une armée et sauva son pays eut aussi des couronnes, mais en même temps on lui donna des terres. (Sensation.)

> Imitez donc cette politique romaine, si grande et si sublime. La récompense noble, la récompense morale, celle qui peut exciter le courage, ils la donnaient pour exalter les âmes; mais ils n'oubliaient pas que pour acquérir de la gloire il faut que l'homme vive, et, sans en parler, ils veillaient sur la fortune de ceux qui avaient veillé sur le pays. C'est là ce que je vous demande : je vous demande d'exalter les cœurs, d'animer le courage, de remplir toutes les âmes de l'amour du pays; le reste, faites-le noblement, sans ostentation, mais sans résistance. Rejetez cette lâche et molle politique, qui ne parle que d'intérêts matériels. Et cependant n'oublions jamais que l'homme a besoin d'être tranquille sur son avenir, sur celui de sa famille; qu'il a besoin de savoir que sa veuve, que ses enfans seront toujours chers à son pays, et que sa mémoire les mettra un jour à l'abri de la misère. (Très-bien.) »

Votant sous la vive impression produite par ce discours, le ministre de la guerre appuya fortement, la Chambre adopta le premier projet en faveur de la veuve du maréchal

que

Jourdan, à la majorité de 213 voix contre 83, et le second projet en faveur de la veuve du général Decaen, à la majorité de 190 voix contre 86; mais les deux derniers furent moins heureux, et donnèrent lieu, l'un et l'autre, à un incident singulier. Adoptés tous deux au vote par assis et levé, ils furent rejetés au scrutin secret, celui qui concernait la veuve du général Daumesnil, par 145 voix contre 120, et l'autre à une majorité plus grande encore (170 voix contre 63).

Dans la Chambre des pairs, les deux projets relatifs aux veuves du maréchal Jourdan et du général Decaen furent adoptés à la presque unanimité, sans discussion (15 février). M. le comte Becker, rapporteur de la commission, et, après lui, M. le comte Dejean, avaient exprimé seulement le regret que d'impérieuses nécessités économiques obligeassent les Chambres à se montrer si peu libérales envers la veuve du général Decaen.

La situation fâcheuse des départemens de l'Ouest avait déterminé les députés de cette partie de la France à solliciter du gouvernement, quelques jours avant l'ouverture de la session, d'énergiques mesures de répression: la Chambre élective avait reproduit ce voeu dans son adresse. Ces manifestations trouvèrent le gouvernement déjà préoccupé de l'état des choses dans la Vendée, et préparé à y porter remède. En effet, deux jours après le vote de l'adresse, le ministre de la guerre présenta à la Chambre des députés un projet de loi par lequel il proposait d'augmenter l'effectif de la gendarmerie et d'accroître la force de ces agens: de l'ordre public, en attribuant, dans certaines localités, aux maréchaux-des-logis les pouvoirs confiés jusqu'alors aux seuls officiers de l'arme. Ce moyen était approprié à la nature du désordre: les troubles politiques de l'Ouest avaient dégénéré en actes isolés de brigandage, « qui se déguisaient mal, disait le ministre, sous la cocarde d'un parti vaincu sans retour. >> Coutre la chouannerie, c'était la gendarmerie

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