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par un sénatus-consulte, de ces divers palais au domaine de la couronne.

Au delà des Alpes, VOTRE MAJESTÉ a les palais de Turin, de Stupinis, Parme et Colorna, qui font partie de la dotation de la couronne.

Les officiers de ces palais sont ceux de VOTRE MAJESTÉ. Leurs traitements, l'entretien des édifices, les jardins, les établissements des sciences, ceux qui sont destinés à l'utilité ou à la jouissance du public, sont aux frais de VOTRE MAJESTÉ, et celle dépense s'élève à 400,000 francs. L'ameublement de ces palais doit continuer d'ètre une proprieté impériale, pour éviter les changements que chaque mutation occasionnerait; et il est couvenable même que l'on ne voie dans ces palais que la livrée de VOTRE MAJESTÉ.

Par une mesure politique, VOTRE MAJESTÉ a voulu qu'un prince de son sang ou un grand dignitaire tint dans ces départements éloignés la cour de VOTRE MAJESTÉ. Il faut que tout y soit digne d'elle, et que l'éclat dont le prince est environné rappelle le monarque qui l'envoie.

Pour tenir cette cour avec splendeur, un revenu d'un million lui est nécessaire; et cette somme ne lui suffirait même pas, si ses propres revenus ne lui donnaient les moyens de la doubler.

Dans l'état actuel des choses, le prince gouverneur général reçoit du trésor public un traitement de 333,000 francs comme grand dignitaire, et 400,000 fraucs du trésor de la couronne de VOTRE MAJESTÉ.

Les revenus bruts dans les départements au delà des Alpes s'élèvent à 1,228,065 francs, dont 212.010 francs sont absorbés par les frais d'exploitation. Sur le produit net de 1,016,055 francs, il faut affecter aux dépenses nécessaires pour la conservation des propriétés, au moins 150,000 fr., et à celles des palais, jardins, établissements, mobilier et traitements, 400.000 francs de sorte qu'il ne reste que 466,055 francs pour le traitement du prince, et que pour donner au prince un million, nécessaire à l'entretien de sa cour, ce qui déchargera le trésor public de 333,000 francs payés jusqu'ici au grand dignitaire, il faut accroître le revenu net de la dotation de ces départements de 600.000 francs.

En Toscane, VOTRE MAJESTÉ a organisé les biens de la couronne sur les mêmes éléments. Le grand dignitaire qui représente VOTRE MAJESTÉ, les officiers, les édifices, les établissements appartenant à la couronne ne doivent rien couter et ne coùtent rien à l'Etat; et cette dotation doit être calculée de manière à suflire à ses dépenses, mais à ne rien verser au trésor de la couronne. VOTRE MAJESTÉ donne à la grande-duchesse un million. Les domaines de la Toscane produisent un revenu brut de 2,183,186 francs, dont les frais d'exploitation absorbent un tiers; is sont les mènies que le gouvernement antérieur, réputé pour sa sage administration; cet état de choses tient au système de culture du pays.

Il reste un revenu net de 1,455,511 francs, sur quoi il faut prélever le million payable à la princesse. Les 430,000 francs qui restent sont nécessaires pour l'entretien de dix-huit palais.

Je propose de rendre au domaine public deux palais, dont les dépendances territoriales ont été aliénées par le duc Léopold, qui ne sont point nécessaires à la liste civile et qui peuvent être utiles pour le service de l'Etat.

Je n'ai point parlé dans ce rapport des EtatsRomains, parce que ce pays n'est point encore réuni à la France d'une manière constitutionnelle.

Lorsque le temps en sera venu, je supplierai
VOTRE MAJESTÉ de considérer que, vu la grandeur
de la ville de Rome et de tous les souvenirs qu'elle
rappelle, le prince qui y tiendra la cour de VOTRE
MAJESTE ne pourra l'y représenter dignement, à
moins d'un revenu de deux mi lions.
Je suis, avec le plus profond respect,
SIRE,

De VOTRE MAJESTÉ IMPÉRIALE ET ROYALE,
le très-obéissant serviteur et fidèle sujet
Signé DARU.
Paris, le 13 janvier 1810.

Le Sénat, après avoir entendu cet exposé des motifs, a renvoyé le projet de sénatus-consulte à l'examen d'une commission.

CORPS LEGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE DE FONTANES.
Séance du 22 janvier 1810.

A une heure, les membres du Corps législatif, en grand costume, se réunissent dans la salle, et M. le président ouvre la séance.

Une grande affluence de spectateurs remplissait les diverses tribunes. S. M. le roi de Bavière, S. A. Em. le prince-primat, beaucoup de membres du corps diplomatique, et des étrangers de marque, avaient pris place dans celles qui leur sont particulièrement réservées.

Après la lecture du procès-verbal de la dernière séance, on introduit MM. les conseillers d'Etat comtes de Ségur, Corvetto et Neri-Corsini, nommés par SA MAJESTÉ pour se rendre aujourd'hui dans le sein du Corps législatif, et y porter la parole

en son nom.

M. le comte de Ségur, orateur. Messieurs, l'EMPEREUR nous a chargés de vous apporter le décret qui termine cette session. Mais vos travaux ne seront que suspendus; une nouvelle session va bientôt s'ouvrir, et des lois importantes qui vous ont déja été annoncées, telles que le Code pénal la loi sur les mines, en rempliront le cours.

Cette suspension sera si courte, qu'on peut considérer cette nouvelle session comme une prolongation de la première; aussi l'ouverture n'en sera pas solennelle: SA MAJESTÉ n'a point à recevoir le serment de nouveaux députés, et elle n'aurait rien à ajouter au tableau rapide et glorieux qu'elle a daigné vous tracer récemment de ses travaux, de ses triomphes, de ses généreux projets et de notre situation politique.

Je ne vous rappellerai point, Messieurs, ce discours mémorable qui excita parmi vous tant d'enthousiasme; ces victoires éclatantes au centre de l'Espagne; cette prompte fuite d'une armée anglaise; cette marche rapide comme la pensée, qui a porté en un instant nos aigles des murs de Burgos aux remparts de Vienne; cette glorieuse délivrance du royaume de Saxe et du duché de Varsovie; l'accroissement de la puissance de nos alliés; la gloire et la brièveté de la guerre, la générosité de la paix ; la réunion de la temporelle des papes; enfin l'attaque inopinée de Toscane à l'empire; l'abolition de la souveraineté ces quarante mille Anglais, qui nous croyaient de à vaincus en nous voyant privés de la présence de notre EMPEREUR et de nos légions, et qui ont disparu à la vue d'un peuple armé pour l'honneur et pour la patrie. Cette histoire d'une année, qui remplirait un siècle, est encore présente à votre mémoire; et vous avez gravé dans vos cœurs ces paroles paternelles qui votaient des remerciments aux braves citoyens des départements du Nord et du Pas-de-Calais.

teur.

Vous avez adopté une loi sur les canaux, dont le résultat sera d'effectuer, avec les fonds provenant de leur aliénation, la création de tous les canaux que demande le commerce et l'agriculture; le fruit d'une opération si simple sera d'achever en vingt ans des travaux que, sans elle, un siècle n'aurait pas vu finir.

Nous sommes fiers encore de ses prédictions | l'église d'un village et le presbytère d'un passur la durée de notre gloire. Puisse-t-elle être, en effet, immortelle comme la sienne! plus nous en serons dignes, et plus nous sentirons que nou la lui devons. Certes, l'honneur qu'il ajoute à l'antique renommée des Français, l'étendue qu'il donne à notre empire, le rang glorieux que ses triomphes nous assignent dans l'univers, e. les hautes destinées qu'il nous prépare, devraient nous faire supporter avec satisfaction les plus pénibles sacrifices: et quel tribut d'admiration ne devons-nous pas payer à sa sagesse, lorsque nous voyons qu'étant obligé de doubler ses forces militaires, il ne nous fait acheter toute cette grandeur, toute cette puissance, par aucun nouveau sacrifice, et que la plus grande partie de nos contributions se trouve employée à l'accroissement de notre prospérité intérieure, à la construction de nos routes, au desséchement de nos marais, à l'ouverture de nos canaux, à l'embellissement de nos cités ?

Cet emploi de nos revenus à l'amélioration de toutes les parties de l'administration publique, a dù vous frapper avec évidence, Messieurs, dans le tableau qui vous a été présenté par le ministre de l'intérieur, à votre première séance.

L'achèvement du canal de Saint-Quentin; les progrès de celui du Nord; le desséchement d'une immensité de landes; celui des marais de Bour. going et de Rochefort, conquêtes sur la nature plus douces et presque aussi étendues que celles que nous avons faites sur nos ennemis; les travaux du canal Napoléon; ceux du port de Cherbourg qui triomphent de l'Océan et menacent l'Angleterre; l'avancement des routes du Simplon et du mont Cenis; l'achèvement rapide du Louvre; l'arrivée des eaux de l'Ourcq dans la capitale; l'érection de plusieurs monuments dignes d'immortaliser un règne; l'établissement des dépôts de mendicité et des fonds qui en assurent l'entretien; les encouragements donnés aux arts, aux découvertes, à l'industrie; les justes indemnités accordées aux départements ravagés par les inondations; le rétablissement des édifices destinés au culte; tout cet exposé fidèle de la situation de l'empire doit exciter notre reconnaissance et décourager nos ennemis.

Si, dans cette énumération, je ne vous parle pas de l'Université, de son établissement, de la formation des académies, de l'état prospère des lycées, vous sentirez, Messieurs, le motif qui me fait passer rapidement sur un objet si digne de votre attention je crains que ce sujet ne vous rappelle la perte que vous allez faire d'un président célèbre et justement chéri; mais, pour se consoler, il vous l'a dit lui-même, ses soins vont être consacrés au bonheur de vos enfants; ainsi vous jouirez par eux de ses travaux, et la nature vous dédommagera des pertes de l'amitié.

Le peu de lois, Messieurs, que nous avons présentées pendant votre courte session, moins importantes que celles qui vont être bientôt soumises à votre examen, ont dû cependant vous faire observer que le même esprit d'ordre et de sagesse qui règle toutes les grandes opérations du Gouvernement s'applique avec la même activité aux plus petits détails de l'administration: toutes ces lois qui intéressent les communes e les hospices ne vous ont offert que des acquisi tions nécessaires, des échanges utiles, des ventes avantageuses, et vous voyez que la même main qui soutient et distribue les couronnes, s'occupe aussi à reconstruire la résidence d'un maire,

Une loi contre les recéleurs des déserteurs du royaume d'Italie était réclamée par les autorités locales. Elle arrêtera des délits dont l'impunité serait devenue d'autant plus dangereuse, que le voisinage et des relations de familles auraient rendu chaque jour ces émigrations plus nombreuses.

Les améliorations que l'EMPEREUR a cru devoir faire, par différents décrets, à la législation des douanes, ont été converties en loi, et, par l'une des dispositions qu'elle contient, vous avez donné de grands encouragements à la course, en procurant aux armateurs les moyens de recevoir promptement le remboursement de leurs avances et le bénéfice qu'ils en espèrent.

Enfin, la loi sur les finances vous a été présentée. C'est cette loi, Messieurs, qu'attendent avec une égale impatience et nos amis et nos ennemis; c'est par elle qu'ils jugent notre situation; c'est sur elle qu'ils fondent leurs craintes et leurs espérances; ils devraient cependant, depuis plusieurs années, connaître assez la sagesse de notre administration pour être assurés d'avance que ce budget sera toujours aussi satisfaisant pour nos alliés que décourageant pour nos ennemis. Le système de nos finances, loin de s'appuyer sur la base incertaine du crédit et sur la ressource désastreuse des anticipations et des emprunts, est fondé sur un principe simple, sur des bases solides; rien n'est fictif dans ce système, tout est réel. Nos revenus sont certains et proportionnés à nos dépenses, et les efforts redoublés de nos éternels ennemis, loin d'épuiser nos ressources, n'ont eu jusqu'à présent d'autre résultat que de nous en créer de nouvelles.

Grâce à l'ordre et à la prévoyance de l'EMPE. REUR, nos armées, malgré la longueur et la rapidité de leur marche, n'éprouvent plus de privations. Les contributions de guerre sont administrées avec autant de sagesse que les contributions ordinaires de l'empire; elles fournissent au trésor les suppléments qui lui sont nécessaires, et assurent à nos guerriers des récompenses dignes de leurs services et de la munificence de leur souverain.

Les circonstances actuelles ont diminué le produit des douanes. Cette diminution est la suite des mesures que commandait la politique; nous devons en attendre avec confiance le résultat. C'est en calculant cette diminution, qu'on porte nos revenus à 730 millions; et rien ne peut faire craindre d'erreur dans cette évaluation.

Vous avez apprécié l'utilité des opérations faites sur la dette de la Toscane, de la Ligurie et du Piémont. Les principales parties des perceptions indirectes vous présentent toutes des améliorations et nous pouvons dire qu'aucune nation, jouissant des douceurs d'une longue paix, n'a peut-ê re jamais offert un tableau de finances digne d'inspirer autant de sécurité que celui qui vous est présenté après vingt années de guerre et de révolution.

L'adoption de ce budget satisfaisant a dû terminer les travaux de votre session; mais avant de la clore, l'EMPEREUR a voulu réaliser la promesse

qu'il vous avait faite, et vous donner une marque éclatante de sa satisfaction et de sa bienveillance. Un jeune officier, chargé de cet honorable mission, va être introduit dans cette enceinte : il vous présentera, de la part de SA MAJESTÉ, les nombreux drapeaux pris en Espagne par ses armées victorieuses.

Ces drapeaux, monuments de la valeur française, seront suspendus à ces voûtes pacifiques; ces trophées militaires, en décorant le temple des lois, deviendront les emblêmes de l'union, de la force et de la sagesse ; ils rappelleront ces nobles pensées d'un EMPEREUR aussi grand par les lois que par les armes, qui ne jouirait plus de sa gloire si elle ne devait pas augmenter notre bonheur, et qui sait en même temps que, pour les Français, il ne peut exister de bonheur sans gloire.

Je vais me håter, Messieurs, de vous lire le décret que nous sommes chargés de vous présenter. Je ne veux point, en prolongeant ce discours, retarder plus longtemps une solennité dont je me sens également pressé de jouir comme ancien soldat, comme magistrat et comme père.

L'orateur donne lecture du décret de SA MAJESTÉ en date du 19 janvier, qui fixe au 22 la clôture de la session de 1809.

M. de Ségur descend de la tribune au milieu des applaudissements.

M. Te président fait lecture de la lettre sui

vante :

Quartier général impérial, au camp de Madrid, le 21 décembre 1808.

A S. Exc. le comte de Fontanes, président du Corps législatif.

J'ai l'honneur de vous prévenir, Monsieur le comte, que S. M. l'EMPEREUR ET ROI a chargé M. de Ségur, adjudant-commandant, de porter et présenter au Corps législatif les quatre-vingts drapeaux et étendards pris par l'armée française aux combats d'Espinosa, Burgos, Tudela, Sommo-Sierra et Madrid.

Cet officier supérieur, qui a pris une part si honorable à l'affaire de Sommo-Sierra, va se mettre en marche dès que l'état de sa blessure le permettra, pour remplir cette mission, qui est pour lui un témoignage précieux de l'estime et de la satisfaction de l'EMPEREUR, pour les services qu'il a rendus.

Je prie Votre Excellence de recevoir l'expression des sentiments de ma plus haute considération. Le prince de Neuchâtel, vice-connétable, major général de l'armée,

Signé ALEXANDRE, (Berthier)

En ce moment une musique guerrière se fait entendre à l'extérieur de la salle.

Une députation de douze membres du Corps législatif, nommée samedi en comité général, introduit les militaires porteurs des drapeaux ayant à leur tête M. l'adjudant-commandant, comte de Ségur fils.

Ces braves, accueillis par de nombreux applaudissements et les acclamations prolongées de Vive l'Empereur! vont se placer aux deux côtés de la statue de SA MAJESTÉ, dans l'enceinte qu'occupe M. le président.

M. l'adjudant-commandant comte de Ségur parait à la tribune, et prononce le discours qui suit:

• Messieurs, l'EMPEREUR me charge d'avoir l'honneur de vous présenter les drapeaux en

nemis pris aux combats d'Espinosa, Burgos, Tudela, Sommo-Sierra et Madrid.

« Les voilà, ces signes de ralliement des ennemis de la France! Comment donc osaient-ils les déployer contre le héros du monde, sans croire que c'étaient des trophées qu'ils élevaient à sa gloire !

« Nous, soldats du grand EMPEREUR, dévoués à ses ordres, fiers de les exécuter, ou de mourir, quelle plus noble récompense peut-il nous donner que celle de vous apporter les marques éclatantes de ses victoires, d'en orner le sanctuaire de ces lois conçues par son génie, et sanctionnées par votre sagesse

« Permettez-moi donc, Messieurs, de me féliciter aujourd'hui de l'honneur que SA MAJESTÉ daigne m'accorder en me chargeant de déposer au milieu des députés de tous les départements de la France les témoignages de la gloire nationale, témoignages qui désormais ici seront ceux de la constante bienveillance de SA MAJESTÉ pour l'un des plus illustres et des premiers corps de l'empire. »

Les plus vifs applaudissements accompagnent M. de Ségur fils jusqu'aux banquettes de MM. les conseillers d'Etat, où il va se placer auprès de M. de Ségur, son père.

M. le président. Guerriers et législateurs, l'appareil militaire déployé dans cette enceinte paisible; les soldats français portant les trophées de leur gloire aux députés des villes et des campagnes qui les ont vus naître; les guerriers et les magistrats confondus; la puissance des armes honorant celle des lois; les nombreux drapeaux qu'on vient suspendre autour de cette statue, où revivent les traits du vainqueur et du législateur de tant de nations; tout ce spectacle, à la fois héroïque et touchant, a déjà pénétré vos cœurs d'un enthousiasme involontaire.

Que peut ajouter la voix de l'orateur à l'émotion générale? Comment exprimer tout ce qu'on éprouve de grand et de doux au milieu de cette imposante cérémonie? Ils ne sont plus ces temps où les maîtres du monde s'arrogeaient seuls l'honneur des triomphes payés par les travaux et quelquefois par la vie de leurs sujets. Un grand prince appelle aujourd'hui son peuple au partage de sa gloire; et quel prince a plus que lui le droit de croire qu'il entraîne seul la forlune à sa suite? Mais, sûr de sa grandeur personnelle, il ne craint point de la communiquer; il n'ignore pas que le monarque accroît les honneurs de son trône de tous ceux qu'il accorde à sa nation. Il fait déposer, pour la seconde fois, au sein du Corps législatif, les monuments de ses conquêtes. La lettre qui les accompagne est au-dessus peut-être du don glorieux que nous avons deux fois reçu de lui. Qu'on me permettre de la rappeler un moment; les grands hommes se peignent dans leurs paroles comme dans leurs actions :

« Mes troupes, dit SA MAJESTÉ, ayant, au com« bat de Burgos, pris les drapeaux de l'armée « d'Estramadure, parmi lesquels se trouvent ceux « des gardes walonnes et espagnoles, j'ai voulu «profiter de cette circonstance, et donner une « marque de ma considération aux députés des « départements au Corps législatif, en leur en« voyant les drapeaux pris dans la même quin« zaine où j'ai presidé à l'ouverture de leur ses«sion. Que les députés des départements et les « colléges électoraux, dont ils font partie, << y voient le désir que j'ai de leur donner une « preuve de mon estime. »

Cette lettre associe en quelque sorte la grandeur du monarque à celle du peuple français. Un héros avait dit, en partant, qu'il conduirait son auguste frère à Madrid. Ce qu'il avait dit, s'est exécuté. Jamais il ne fit en vain de telles promesses. Mais sur le champ de bataille, sa première pensée est pour nous. C'est Alexandre qui part de la Macédoine avec son génie et l'espérance, et qui, dès sa première victoire au delà du Granique, envoie les dépouilles des nations vaincues aux temples des dieux de sa patrie.

Vous avez sans doute été frappés, comme moi, du motif de cet hommage fait aux députés des départements et des colléges électoraux. Une autre idée non moins grave est digne de vous occuper encore.

Les drapeaux qui vous sont remis, ont un caractère particulier. Ils furent conquis sur un peuple égaré par les factions. Quelques-uns portent encore les emblêmes de la licence populaire. Ce n'est donc point en vain que le chef de l'Etat a résolu de les placer dans ce sanctuaire des lois. Il veut, par cette image, rappeler à tous les yeux les malheurs qui menacent les empires quand le frein sacré des lois ne retient plus les fureurs de la multitude.

Hélas! nous avons connu les mêmes excès; que notre exemple éclaire et détrompe un peuple infortuné! L'esprit de ses anciennes juntes s'est réveillé sous une influence étrangère. Voilà le véritable danger qui le presse. Non ce n'est point un héros qu'il doit craindre. Sos armes ne le soumettront que pour le sauver. C'est contre l'anarchie qu'il doit se mettre en défense. Et qui peut mieux l'en garantir que notre libérateur? L'anarchie est de tous les ennemis de la France celui dont la défaite lui mérita le plus d'honneur et de bénédictions.

Espérons que des jours plus heureux vont se lever sur l'Espagne. Le prince qui la gouverne achèvera l'ouvrage des armes par la force des bienfaits et l'autorité de la sagesse. L'insulaire, entièrement chassé de la péninsule et sans ressources sur le continent, implorera, pour nous échapper encore, la vitesse de ses vaisseaux. On va dire une seconde fois, en dépit de l'Angleterre: Il n'y a plus de Pyrénées.

Rien ne peut donc altérer les nobles impressions qui naissent à l'aspect de ces trophées instructifs et glorieux. Le guerrier choisi pour nous les porter leur ajoute encore un nouveau prix. Son bras servit à les enlever. Que dis-je ? on a craint longtemps qu'il ne les payât de ses jours. Brillant des grâces de la première jeunesse, il est déjà couvert d'honorables blessures comme un vétéran. Il eut le bonheur de trouver dans son aïeul et dans son père, les vrais modèles de la valeur et de l'urbanité françaises. Il n'a point démenti ce double exemple. Il réunit les plus beaux caractères de l'officier français, également propre à briller dans la Cour et dans l'armée, sachant cultiver son esprit dans la dissipation des fêtes et dans le tumulte des camps; aimable et doux dans la société, mais terrible un jour de bataille. Que ces drapeaux, teints de son sang, doivent paraître beaux à sa mère, à son épouse, à son père qui versent des larmes de joie et sur qui semblent s'arrêter tous les regards de cette assemblée! Je suis sûr que dans ce moment le jeune guerrier se dit dans son cœur, que malgré tant de périls et de souffrances, la gloire dont il jouit ne fut pas trop chèrement achetée, et que nul sacrifice n'est impossible pour le souverain qui lui réservait un si beau jour.

Oui j'en atteste l'honneur français. Telle est sa pensée. L'honneur français! que de prodiges on peut faire avec ce seul mot! L'honneur français dirigé par un grand homme est un assez puissant ressort pour changer la face de l'uni

vers.

On a souvent nommé les rois d'illustres ingrats on a dit, non sans quelque raison, qu'ils mettaient trop tôt en oubli le dévouement de leurs sujets, et qu'auprès du trône il était plus utile de flatter que de servir. Combien le maître à qui nous sommes attachés, mérite peu ce reproche! Du haut point d'élévation qu'il occupe, il jette un regard équitable sur les talents qui sont au-dessous de lui; car il est trop élevé au-dessus d'eux tous pour ne pas les juger tous avec impartialité. Ses bienfaits préviennent à chaque instant ses serviteurs de toutes les classes et particulièrement ses fidèles compagnons d'armes. Le pinceau des grands artistes est chargé de reproduire les grandes actions; les places publiques portent les noms des guerriers morts sur le champ de bataille et se décorent de leurs images; des arcs de triomphe s'élèvent à la gloire des armées françaises, et un temple voisin conservera sur des tables d'or la mémoire des braves. C'est là qu'un héros veut donner à ses soldats une part de son immortalité. Il embellit leur vie par la fortune et les titres dus à leur courage. Il fait plus, il honore leur mort, et sa royale amitié ne néglige pas même le marbre de leurs tombeaux.

Quels dévouements extraordinaires ne doit pas attendre un souverain si magnanime! Aussi que de grandes choses il a fait exécuter dans un règne si court et si rempli!

Périsse à jamais le langage de l'adulation et de la flatteric! Je ne commencerai point à m'en servir dans les dernières paroles que je prononce à cette tribune, d'où je vais descendre pour toujours. Je n'ai point oublié les devoirs imposés à ce corps respectable et cher dont j'ai l'honneur encore une fois d'être l'organe et l'interprète. Le Corps législatif ne doit porter aux pieds du trône que la voix de l'opinion publique. C'est avec elle seule que je louerai le prince. J'exprimerai franchement l'admiration qu'il m'inspire; j'en trouve l'occasion naturelle dans cette fête guerrière où brille toute sa gloire. L'élite de la France et de l'Europe est ici rassemblée. J'en appelle à leur témoignage. Tout ce que je vais dire de lui sera merveilleux et véritable.

Transportons-nous, par la pensée, dans l'avenir. Voyons ce héros comme la postérité doit le voir un jour à travers les nuages du temps. C'est alors que sa grandeur paraîtra, pour ainsi dire, fabuleuse. Mais trop de monuments attesteront les merveilles de sa vie pour que le doute soit permis. Si nos derniers descendants veulent savoir quel est celui qui, seul, depuis l'empire romain, réunit l'Italie dans un seul corps, l'histoire leur dira: C'est NAPOLEON. S'ils demandent quel est celui qui, vers la même époque, dissipa les hordes arabes et musulmanes au pied des Pyramides et sur les bords du Jourdain, l'histoire leur dira: C'est NAPOLÉON. Mais d'autres surprises les attendent. Ils apprendront qu'un homme, en quelque sorte désigné d'en haut, partit du fond de l'Egypte au moment où toutes les voix de la France l'appelaient à leur secours, et qu'il y vint rétablir les lois, la religion et l'ordre social menacés d'une ruine prochaine; cet homme encore sera NAPOLÉON. Ils verront dans dix années trente Etats changeant de forme, des trônes fondés, des trônes détruits, Vienne deux fois conquise et les succes

seurs du grand Frédéric perdant la moitié de leur héritage. Ils croiront d'abord que tant de révolutions et de victoires sont l'ouvrage de plusieurs conquérants: l'histoire, appuyée sur le témoignage unanime des contemporains, dissipera toutes les méprises. Elle montrera toujours le même NAPOLEON fondant de l'Autriche sur la Prusse, poussant sa marche victorieuse jusqu'aux dernières limites de la Pologne, s'élançant toutà-coup du fond de la Sarmatie vers ces monts qui séparent la France des Espagnes, et triomphant près de ces régions où l'antiquité plaçait les bornes du monde. Et cependant les prodiges ne seront pas épuisés! Il faudra retracer encore les bienfaits d'un Code immortel; il faudra peindre tous les arts rappelant à Paris la magnificence de Rome antique; car il est juste que la ville où réside un si grand homme devienne aussi la ville éternelle.

J'interroge maintenant tous ceux qui m'écoutent. En est-il un seul qui désavoue le moindre trait de ce tableau? Heureux les princes qu'on peut louer dignement avec la vérité! Heureux aussi l'orateur qui ne donne aux rois que des éloges justifiés par leurs actions!

L'assemblée et les tribunes renouvellent leurs applaudissements et leurs acclamations.

M. le président déclare que la session de 1809 est terminée.

MM. les orateurs du Gouvernement ayant quitté la salle, le Corps législatif se sépare.

Après la séance, les militaires porteurs des drapeaux, au nombre de soixante-six, ont été invités à un banquet qui avait été préparé dans la salle des Conférences. Des membres du Corps législatif en ont fait les honneurs. On a porté les toasts suivants :

A S. M. I'EMPEREUR ET ROI;

A la famille impériale;

A la gloire des armées françaises;

Au président et aux membres du Corps législatif;

Au jeune guerrier qui a mérité l'honneur de présenter les drapeaux;

Aux militaires porteurs des drapeaux, et à la garde impériale.

Après ce dernier toast, un des militaires s'est levé :

«Mes camarades, a-t-il dit, nous avons été chargés de porter quatre-vingts drapeaux au Corps « législatif; jurons par le génie de l'EMPEREUR d'en a rapporter un plus grand nombre à la fin de la campagne. »

A chaque toast, des cris unanimes de Vive l'Empereur! ont retenti dans toute la salle; de nombreux spectateurs qui entouraient le banquet ont joint leurs acclamations à celles des convives, et la musique militaire a fait entendre des chants de victoire.

A six heures, il y eut un autre dîner donné dans la salle des Gardes à MM. les comtes de Ségur père et fils, et aux officiers qui ont été de service dans cette cérémonie.

SÉNAT CONSERVATEUR. PRÉSIDENCE DE S. A. S. LE PRINCE ARCHICHANCELIER DE L'EMPIRE.

Séance du 30 janvier 1810.

M. le comte Desmeunier, au nom de la commission chargée d'examiner le projet de sénalus-consulte relatif au domaine de la couronne, au domaine extraordinaire, au domaine privé, au douaire des impératrices et aux apanages des

princes, présenté dans la séance du 20 janvier, fait le rapport suivant : MONSEIGNEUR,

SÉNATEURS,

Votre commission spéciale a examiné très-attentivement le projet de sénatus-consulte dont il vient d'être donné une seconde lecture, et voici le résultat de son travail.

Nos institutions monarchiques ne sont pas encore complètes sur l'objet important soumis à votre délibération : tout appelle une révision des principes suivis jusqu'à présent, et des dispositions neuves dans des circonstances tout à fait nouvelles. La nécessité d'un Code précis sur une inatière liée de si près aux plus grands intérêts de l'Etat, nous a paru bien démontrée, et celte première question ne nous a pas arrêtés longtemps.

Le projet reconstitue à la couronne une dotalion qui serait inalienable et imprescriptible; il l'affranchit des contributions publiques; il crée un domaine extraordinaire; il rétablit pour l'EMPEREUR un domaine privé qui, dans aucun temps et sous aucun prétexte, ne se réunira de plein droit au domaine de l'Etat, mais dont la réunion pourra s'opérer par un sénatus-consulte; au lieu des rentes apanagères, il rétablit des apanages réels.

Deux de ces dispositions changent la législation constitutionnelle qui nous régit: deux autres sont opposées à des lois qui ne sont pas encore révoquées; une cinquième est absolument neuve, et aucune législation n'en a fourni l'idée.

Reconstitution du domaine de la couronne.

Lorsqu'en 1804 on rétablit la monarchie, le sénatus-consulte, quant au moyen de pourvoir aux dépenses du trône et du monarque, suivit mot à mot la loi du 26 mai 1791; et cependant, il faut en convenir, cette loi était anti-monarchique.

A l'époque de la Révolution, la législation domaniale était un chaos que personne n'avait jamais pu débrouiller : elle reposait sur des principes bizarres ou absurdes qui, en dernière analyse, menaient à cette conclusion: rien n'appartient à la nation, presque rien n'appartient aux communes, et tout ce qui n'est pas une propriété particulière ou une propriété de corporation, appartient au domaine du roi. Ainsi, à proprement parler, il n'y avait point de domaine de l'Etat. Les rois avaient concédé des droits régaliens, et des concessionnaires en jouissaient encore: on avait dissipé le domaine de toutes les manières; l'opinion publique était fortement prononcée contre des abus monstrueux et des déprédations scandaleuses, et la crise des finances ajoutait à l'indignation générale. L'Assemblée constituante, en abolissant le régime et les droits féodaux, en supprimant les juridictions seigneuriales et tous les tribunaux d'exception, en ramenant au trésor public le produit de toutes les contributions indirectes, dont plusieurs appartenaient au domaine du roi, aux princes apanagés ou à des conceзsionnaires; en déclarant avec juste raison que les chemins publics, les rues et places des villes. les fleuves et rivières navigables, les ports, les havres, les rades, et en général tout ce qui n'est pas susceptible d'une propriété privée, sont du domaine public, disposition qui est devenue textuellement l'article 538 du Code civil; en créant beaucoup d'autres lois particulières aussi utiles, avait remédié à une grande partie du désordre; et il était facile de circonscrire le domaine de la couronne dans de justes bornes;

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