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PEREUR, communiquent à l'Assemblée des rapports faits à SA MAJESTÉ IMPÉRIALE ET ROYALE sur les affaires d'Espagne.

Rapport du ministre des relations extérieures à Sa Majesté Impériale et Royale.

Bayonne, le 24 avril 1808.

SIRE, la sûreté de votre empire, l'affermissement de sa puissance, la nécessité d'employer tous les moyens pour forcer à la paix un gouvernement qui, se faisant un jeu du sang des hommes et de la violation de tout ce qu'il y a de plus sacré parmi eux, a mis en principe la guerre perpétuelle, imposent à VOTRE MAJESTÉ l'obligation de mettre un terme à l'anarchie qui menace l'Espagne et aux dissensions qui la déchirent. La circonstance est grave, le choix du parti à prendre extrêmement important: il tient à des considérations qui intéressent au plus haut degré et la France et l'Europe.

De tous les États de l'Europe, il n'en est aucun dont le sort soit plus nécessairement lié à celui de la France que l'Espagne. L'Espagne est pour la France, ou une amie utile, ou une ennemie dangereuse. Une alliance intime doit unir les deux nations,ou une inimitié implacable les séparer. Malheureusement la jalousie et la défiance qui existent entre deux nations voisines ont fait de cette inimitié l'état le plus habituel des choses. C'est ce qu'attestent les pages sanglantes de l'histoire. La rivalité de Charles V et de François 1er n'était pas moins la rivalité des deux nations que celle de leurs souverains; elle fut continuée sous leurs successeurs. Les troubles de la Ligue furent suscités et fomentés par l'Espagne; elle ne fut point étrangère aux désordres de la Fronde, et la puissance de Louis XIV ne commença à s'élever que lorsque, après avoir vaincu l'Espagne, il forma avec la maison alors régnante dans ce royaume un alliance qui, dans la suite, fit passer cette couronne sur la tête de son petit-fils. Cet acte de sa prévoyante politique a valu aux deux contrées un siècle de paix, après trois siècles de guerre.

Mais cet état de choses a cessé avec la cause qui l'avait fait naître. La révolution française a brisé le lien permanent qui unissait les deux nations. Et lors de la troisième coalition, lorsque l'Espagne prodiguait à la France les protestations d'amitié, elle promettait secrètement son assistance aux coalisés, comme l'ont fait connaître les pièces communíquées au parlement d'Angleterre. Le ministère anglais se détermina, par ce motif, à ne rien entreprendre contre l'Amérique espagnole, regardant déjà l'Espagne comme son alliée, et l'Espagne, ainsi que l'Angleterre, présageant la défaite de vos armées. Les événements trompèrent cette attente, et l'Espagne resta amie.

A l'époque de la quatrième coalition, l'Espagne montra plus ouvertement ses dispositions hostiles et trahit, par un acte public, le secret de ses engagements avec l'Angleterre. On ne peut oublier cette fameuse proclamation qui précéda de neuf jours la bataille d'léna, par laquelle toute l'Espagne était appelée aux armes, lorsqu'aucun ennemi ne la menaçait, et qui fut suivie de mesures promptement effectuées, puisque l'établissement militaire de ce royaume fut porté de cent dix-huit mille hommes à cent quarante mille. Alors le bruit s'était répandu que l'armée de VOTRE MAJESTÉ était cernée, que l'Autriche allait se déclarer contre elle, et l'Espagne crut pouvoir aussi se déclarer impunément. La victoire d'Iéna.vint confondre ses projets.

Le moment est arrivé de donner à la France,

du côté des Pyrénées, une sécurité invariable. Il faut que si jamais elle se trouve exposée à de nouveaux dangers, elle puisse, loin d'avoir à craindre l'Espagne, attendre d'elle des secours, et qu'au besoin les armées espagnoles marchent pour la défendre.

Dans son état actuel, l'Espagne mal gouvernée, sert mal, ou plutôt ne sert point la cause commune contre l'Angleterre. Sa marine est négligée; à peine compte-t-on quelques vaisseaux dans ses ports, et ils sont dans le plus mauvais état; les magasins manquent d'approvisionnements; les ouvriers et les matelots ne sont pas payés; il ne se fait, dans ses ports, ni radoubs, ni constructions, ni armements. Il règne dans toutes les branches de l'administration le plus horrible désordre; toutes les ressources de la monarchie sont dilapidées; l'Etat, chargé d'une dette énorme, est sans crédit; les produits de la vente des biens du clergé, destinés à diminuer cette dette, ont une autre destination; enfin, dans la pénurie de ses moyens, l'Espagne, en abandonnant totalement sa marine, s'occupe cependant de l'augmentation de ses troupes de terre. De si grands maux ne peuvent être guéris que par de grands changements.

L'objet le plus pressant des sollicitudes de VOTRE MAJESTÉ est la guerre contre l'Angleterre. L'Angleterre annonce ne vouloir se prèter à aucun accommodement. Toutes les ouvertures de VOTRE MAJESTÉ ont été repoussées ou négligées. L'impuissance de faire la guerre déterminera seule l'Angleterre à conclure la paix. La guerre contre elle ne peut donc être poussée avec trop de vigueur. L'Espagne des ressources maritimes qui sont perdues pour elle et pour la France. Il faut qu'un bon gouvernement les fasse renaître, les améliore par une judicieuse organisation, et que VOTRE MAJESTÉ les dirige contre l'ennemi commun, pour arriver enfin à cette paix que l'humanité réclame, dont l'Europe entière a si grand besoin. Tout ce qui conduit à ce but est légitime. L'intérêt de la France, celui de l'Europe continentale ne permettent pas à VOTRE MAJESTÉ de négliger les seuls moyens par lesquels la guerre contre l'Angleterre peut être poursuivie avec succès.

La situation actuelle de l'Espagne compromet la sûreté de la France et le sort de la guerre contre l'Angleterre. Le pays de l'Europe qui offre le plus de moyens marítimes est celui qui en a le moins.

SIRE, l'Espagne sera pour la France une amie sincère et fidèle, et la guerre contre l'Angleterre ne pourra être continuée avec l'espérance d'arriver à la paix, que lorsqu'un intérêt commun unira les deux maisons régnant sur la France et sur l'Espagne. La dynastie qui gouverne l'Espagne, par ses affections, ses souvenirs, ses craintes, sera toujours l'ennemie cachée de la France, ennemie d'autant plus perfide qu'elle se présente comme amie, cédant tout à la France victorieuse, prête à l'accabler du moment où sa destinée deviendrait incertaine.

Il faut, pour l'intérêt de l'Espagne comme pour celui de la France, qu'une main ferme vienne rétablir l'ordre dans son administration, dont le désordre a avili son gouvernement, et prévenir la ruine vers laquelle elle marche à grands pas. Il faut qu'un prince, ami de la France par sentiment, par intérêt, n'ayant point à la craindre, et ne pouvant être un objet de défiance pour elle, consacre toutes les ressources de l'Espagne à sa prospérité intérieure, au rétablissement de sa marine, au succès de la cause qui lie l'Espagne à la France

et au continent. C'est l'ouvrage de Louis XIV qu'il faut recommencer.

Ce que la politique conseille, la justice l'autorise. L'Espagne s'est réellement mise en guerre avec VOTRE MAJESTÉ : ses intelligences avec l'Angleterre étaient un acte hostile; sa proclamation du 5 octobre une véritable déclaration de guerre qui aurait été suivie d'une agression, si VOTRE MAJESTÉ n'avait pas vaincu à léna. Alors les départements de la gauche de la Loire, que VOTRE MAJESTÉ avait laissés sans troupes, auraient été obligés d'accourir pour repousser ce nouvel ennemi.

Les commerçants français en Espagne avaient perdu leurs anciens priviléges, les lois de douanes étaient dirigées principalement contre le commerce français; elles étaient remarquables par leur arbitraire et leur perpétuelle variation. Ces variations ne pouvaient être connues, elles n'avaient aucune publicité. Ce n'était que dans les bureaux des douanes que l'on apprenait que la loi de la veille n'était plus celle du lendemain. Les marchandises confisquées, souvent sans prétexte, n'étaient jamais rendues. Toutes les réclamations faites par des Français, ou pour des intérêts français, étaient repoussées. Pendant que l'Espagne faisait ainsi la guerre en détail aux Français et à leur commerce, tous ses ports, et principalement ceux du golfe de Gascogne, étaient ouverts au commerce anglais. Les lois de blocus, proclamées en Espagne comme en France, n'étaient qu'un moyen de plus de favoriser cette contrebande des Anglais, dont les marchandises se répandaient, de l'Espagne, dans le reste de l'Europe.

Mais indépendamment des considérations que je viens de retracer, les circonstances actuelles ne permettent pas à VOTRE MAJESTÉ de ne point intervenir dans les affaires de ce royaume. Le roi d'Espagne a été précipité de son trone. Votre Majesté est appelée à juger entre le père et le fils. Quel parti prendra-t-elle? Voudrait-elle sacrifier la cause des souverains et permettre un outrage fait à la majesté du trône? Voudrait-elle laisser sur le trône de l'Espagne un prince qui ne pourra se soustraire au joug des Anglais qu'autant que VOTRE MAJESTÉ entretiendra constamment (une armée puissante en Espagne? Si, au contraire, VOTRE MAJESTÉ se détermine à replacer Charles IV sur son trône, elle sait qu'elle ne peut le faire sans avoir à vaincre une grande résistance et sans faire couler le sang français. Ce sang, que la nation prodigue pour la défense de ses propres intérêts, peut-il être versé pour l'intérêt d'un roi étranger, dont le sort n'importe nullement à la France? Enfin VOTRE MAJESTÉ peut-elle, ne prenant aucun intérêt à ces grands différends, abandonner la nation espagnole à son sort, lorsque déjà une extrême fomentation l'agite, et que l'Angleterre y sème le trouble et l'anarchie? VOTRE MAJESTÉ doitelle laisser cette nouvelle proie à dévorer à l'Angleterre? Non, sans doute. Ainsi, VOTRE MAJESTÉ, obligée de s'occuper de la régénération de l'Espagne d'une manière utile pour ce royaume, utile pour la France, ne doit donc ni rétablir au prix de beaucoup de sang un roi détrôné, ni abandonner l'Espagne à elle-même; car dans ces deux dernières hypothèses, ce serait la livrer aux Anglais, dont l'argent et les intrigues ont amené les déchirements de ce pays.

J'ai exposé à VOTRE MAJESTÉ les circonstances qui l'obligent à prendre une grande détermination. La politique la conseille, la justice l'autorise, les troubles de l'Espagne en imposent la nécessité. VOTRE MAJESTÉ doit pourvoir à la sûreté de son

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SIRE,

De VOTRE MAJESTÉ IMPÉRIALE ET ROYALE, le très-
humble serviteur, et le très-dévoué et fidèle sujet.
Le ministre des relations extérieures,
Signé CHAMPAGNY.

Rapport du ministre des relations extérieures.
Paris, le 1er septembre 1808.

SIRE, j'ai l'honneur de proposer à VOTRE MAJESTÉ de communiquer au Sénat les deux traités qui ont mis la couronne d'Espagne entre ses mains (Voyez ci-après), et la constitution que, sous ses auspices et éclairée par ses lumières, la junte rassemblée à Bayonne, après de mûres et libres délibérations, a adoptée pour la gloire du nom espagnol et la prospérité de ce royaume et de ses colonies.

Si, dans les dispositions que VOTRE MAJESTÉ a faites, la sécurité de la France a été votre soin principal, l'intérêt de l'Espagne lui a cependant été cher, et en unissant les deux Etats par l'alliance la plus intime, la prospérité et la gloire de l'un et de l'autre étaient également le but qu'elle se proposait. Les troubles qui se manifestaient alors en Espagne excitaient particulièrement la sollicitude de VOTRE MAJESTÉ; elle en craignait les progrès; elle en prévoyait les funestes conséquences; elle espérait les prévenir par des moyens de persuasion et par des mesures d'une sage et humaine politique. VOTRE MAJESTÉ intervenait comme médiateur au milieu des Espagnols divisés; elle leur montrait d'un côté l'anarchie qui les menaçait; de l'autre, l'Angleterre s'apprêtait à profiter de leurs divisions pour s'approprier ce qui est à sa convenance. Elle leur indiquait le port qui devait les sauver de ce double danger, une constitution sage, prévoyante, propre à pourvoir à tous les besoins, et dans laquelle les idées libérales se conciliaient avec les institutions anciennes dont l'Espagne désire la conservation.

L'attente de VOTRE MAJESTÉ a été trompée. Des intérêts particuliers, les intrigues de l'étranger, son or corrupteur ont prévalu. Pourquoi est-il si facile, en déchaînant leurs passions, de conduire les peuples à leur propre ruine? Dans un précédent rapport, j'ai fait connaître à SA MAJESTÉ l'influence qu'acquéraient les Anglais en Espagne; le parti nombreux qu'ils s'étaient formé, les amis qu'ils s'étaient faits dans les ports de commerce, surtout par l'appât du rétablissement des relations commerciales; je les avais montrés à VOTRE MAJESTÉ, auteurs du mouvement qui avait renversé le trône de Charles IV, et fauteurs des désordres populaires qui prirent naissance à cette époque. Ils avaient brisé le frein salutaire qui, pour son interêt, tient le peuple dans la soumission. La populace espagnole ayant secoué le joug de l'autorité, aspirait à gouverner. L'or des Anglais, les intrigues des agents de l'inquisition qui craignaient de perdre leur empire, l'influence des moines si nombreux en Espagne, et qui redoutaient une réforme, ont,dans ce moment de crise, occasionné l'insurrection de plusieurs provinces espagnoles dans lesquelles la voix des hommes sages a été méconnue ou étouffée et plusieurs d'entre eux rendus victimes de leur courageuse opposition aux désordres populaires, et on a vu une épouvantable anarchie se répandre dans la plus grande partie de l'Espagne. VOTRE MAJESTÉ permettra-t-elle que l'Angleterre puisse dire: «L'Espagne est une de mes provinces; mon pa

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EMPIRE FRANÇAIS.

villon chassé de la Baltique, des mers du Nord, du Levant, et même des rivages de Perse, domine aux portes de France? »

Non, jamais, SIRE!... Pour prévenir tant de honte et de malheurs, deux millions de braves sont prêts, s'il le faut, à franchir les Pyrénées, et les Anglais seront chassés de la presqu'ile.

Si les Français combattent pour la liberté des mers, il faut, pour la conquérir, commencer par arracher l'Espagne à l'influence des tyrans des

mers.

ནཔ།

S'ils combattent pour la paix, ils ne peuvent l'obtenir qu'après avoir chassé d'Espagne les ennemis de la paix.

Si VOTRE MAJESTE embrassant l'avenir comme le présent, aspire au noble but de laisser après elle son empire calme, tranquille et environné de puissances amies, elle doit commencer par assurer son influence sur les Espagnes.

Enfin,, si l'honneur est le premier sentiment, comme le premier bien des Français, il faut que VOTRE MAJESTE tire une prompte vengeance des,outrages faits au nom français, et des atrocités dont un si grand nombre de nos compatriotes ont été victimes. Des Français établis en Espagne depuis plus de quarante ans, exerçant en paix leur utile industrie, et regardant presque l'Espagne comme leur patrie, ont été massacrés; partout les propriétés françaises ont été enlevées; les agents consulaires de VOTRE MAJESTÉ ont éprouvé un traitement qu'ils n'auraient pas redouté dans les pays les plus barbares. De quelle estime, de quelle considération jouirait en Europe le nom français, si, dans un pays si voisin de nous, des injures aussi publiques restaient impunies? Elles doivent être réparées, mais réparées comme il convient à des Français, par la victoire.

Ce n'est pas un faible avantage que la probabilité de rencontrer enfin, les Anglais, de les serrer corps à corps, de leur faire aussi éprouver les maux de la guerre, de cette guerre dont ils ignorent les dangers, puisqu'ils ne la font qu'aveC leur or. Les Anglais seront battus, détruits, dispersés, à moins qu'ils, ne se hâtent de fuir, comme ils ont fait à Toulon, au Helder, à Dunkerque, en Suède et dans tous les lieux où les armées françaises ont pu les apercevoir; mais leur expulsion de l'Espagne sera la ruine de leur cause. Ce dernier échec aura épuisé leurs moyens, en même temps qu'anéanti leurs dernières espérances, et la paix en deviendra plus probable.

Cependant toute l'Europe fait dans cette lutte des veux pour la France.

La France et la Russie font cause commune contre l'Angleterre.

Le Danemark soutient avec honneur une lutte qu'il n'a pas provoquée.

La Suède, trabie et abandonnée par l'allié auquel un cabinet insensé l'a sacrifiée, a déjà perdu ses plus importantes provinces et marche à cette ruine, effet inévitable de l'alliance et de l'amitié de l'Angleterre,

Tel sera le sort des insurgés de l'Espagne. Lorsque la lutte sera sérieusement engagée, les Anglais abandonneront l'Espagne, après lui avoir fait le funeste présent de la guerre civile, de la guerre étrangère et de l'anarchie, le plus cruel des fléaux. Ce sera à la sagesse et à la bienfaisance de VOTRE MAJESTÉ à réparer les maux qu'ils auront faits.

La cour de Vienne a constamment, témoigné à VOTRE MAJESTÉ les intentions les plus amicales. Indignée de la politique de l'Angleterre, elle a

[5 septembre 1808.]

voulu rappeler son ministre à Londres, renvoyer le ministre anglais qui était à Vienne, fermer ses ports à l'Angleterre et se mettre avec elle en état d'hostilités. Elle vient d'ajouter à ces mesures en interdisant dans ses ports l'admission des bâtiments qui, sous son pavillon neutre, ne sont que les colporteurs des denrées et des marchandises anglaises. VOTRE MAJESTÉ a cultivé ces dispositions bienveillantes; elle a témoigné à la cour de Vienne amitié et confiance, et plusieurs fois elle lui a fait connaître que la France prend à sa prospérité un véritable intérêt. Cependant, vers ces derniers temps, cette puissance a porté ses armements outre mesure. Ses forces militaires sont aujourd'hui hors de toute proportion avec sa population et ses finances. Vos ministres, SIRE, n'ont voulu le remarquer, que pour faire sentir à VOTRE MAJESTÉ la nécessité d'augmenter ses forces, afin de conserver toujours la supériorité relative qui existe entre la puissance et la population des deux empires.

Une nouvelle révolution a éclaté à Constantinople. Le sultan Mustapha a été déposé.

Les Américains, ce peuple qui mettait sa fortune, sa prospérité, et presque son existence dans le commerce, ont donné l'exemple d'un grand et courageux sacrifice. Ils se sont interdit, par un embargo général, tout commerce, toute navigation, plutôt que de se soumettre honteusement à ce tribut que les Anglais prétendent imposer aux navigateurs de toutes les nations.

L'Allemagne, l'Italie, la Suisse, la Hollande, sont paisibles, et n'attendent que la paix maritime pour se livrer à toute leur industrie.

Cette paix est le vou du monde, mais l'Angleterre s'y oppose, et l'Angleterre est l'ennemie du monde.

La nation française, l'Europe entière, savent tous les efforts de VOTRE MAJESTÉ pour la paix; elles savent que ses entreprises sont le résultat immédiat de l'inutilité des tentatives qu'elle a faites pour l'obtenir.

Le dévouement du peuple français est sans bornes, et c'est surtout dans cette circonstance qui intéresse şi essentiellement son honneur et sa sûreté, qu'il fera éclater ses sentiments, et qu'il se montrera digne de recueillir l'héritage de gloire et de bonheur que VOTRE MAJESTÉ lui prépare. Je suis, avec respect,

Sire,

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Napoléon, Empereur des Français, Roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, et Charles IV, roi des Espagnes et des Indes, animés d'un égal désir de mettre promptement un terme à l'anarchie à laquelle est en proie l'Espagne, de sauver cette brave nation des agitions des factions, voulant lui épargner toutes les convulsions de la guerre civile et étrangère, et la placer sans secousses dans la seule position qui, dans la circonstance extraordinaire dans laquelle elle se trouve, puisse maintenir son intégrité, lui garantir ses colonies et la mettre à même de réunir tous ses moyens à ceux de la France pour arriver à une paix maritime, ont résolu de réunir tous leurs efforts et de régler dans une convention particulière de si chers intérêts. A cet effet, ils ont nommé, savoir:

S. M. L'EMPEREUR DES

་་་་་

PROTECTEUR DE LA CONFTION BOI D'ITALIE,

DU RHIN,

M. le général de division Duroc, grand maréchal du palais;

Et S. M. le roi des Espagnes et des Indes, S. A. S. Manuel Godoy, prince de la Paix, comte de Evora Monti,

Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, sont convenus de ce qui suit:

Art. 1er. S. M. le roi Charles n'ayant eu en yue toute sa vie que le bonheur de ses sujets, et constant dans le principe que tous les actes d'un souverain ne doivent être faits que pour arriver à ce but, les circon stances actuelles ne pouvant être qu'une source de dissentions d'autant plus funestes que les factions ont divisé sa propre famille, a résolu de céder, comme il cède par le présent, à S. M. l'Empereur Napoléon tous ses droits sur le trône des Espagnes et des Indes, comme le seul qui, au point où en sont arrivées les choses, peut rétablir l'ordre; entendant que ladite cession n'ait lieu qu'afin de faire jouir ses sujets des deux conditions

suivantes :

Art. 2. 1o L'intégrité du royaume sera maintenue; le prince que S. M. I'Empereur Napoléon jugera devoir placer sur le trône d'Espagne sera indépendant, et les limites de l'Espagne ne souffriront aucune altération;

2o La religion catholique, apostolique et romaine sera la seule en Espagne. Il ne pourra y être toléré aucune religion réformée et encore moins infidèle, suivant l'usage établi aujourd'hui.

Art. 3. Tous les actes faits contre ceux de nos fidèles sujets depuis la révolution d'Aranjuez, sont nuls et de nulle valeur, et leurs propriétés leur seront rendues.

Art. 4. S. M. le roi Charles ayant ainsi assuré la prospérité. l'intégrité et l'indépendance de ses sujets, S. M. l'Empereur s'engage à donner refuge dans ses Etats au roi Charles, à la reine, à sa famille, au prince de la Paix, ainsi qu'à ceux de leurs serviteurs qui voudront les suivre, fesquels jouiront en France d'un rang équivalent à celui qu'ils possédaient en Espagne.

Art. 5. Le palais impérial de Compiègne, les parcs et forêts qui en dépendent, seront à la disposition du roi Charles, sa vie durant.

Art. 6. S. M. l'Empereur donne et garantit à S. M. le roi Charles une liste civile de 30 millions de réaux, que S. M. l'Empereur Napoléon lui fera payer directement tous les mois par le trésor de la couronne.

A la mort du roi Charles, deux millions de revenu formeront le douaire de la reine.

Art. 7. S. M. l'Empereur Napoléon s'engage à accorder à tous les infants d'Espagne une rente annuelle de quatre cent mille franes, pour en jouir à perpétuité eux et leurs descendants, sauf la réversibilité de ladite rente d'une branche à l'autre, en cas de l'extinction de l'une d'elles, et en suivant les lois civiles. En cas d'extinction de toutes les branches, lesdites rentes seront réversibles à la couronne de France.

Art. 8. S. M. l'Empereur Napoléon fera tel arrangement qu'il jugera convenable avec le futur roi d'Espagne pour le payement de la liste civile et des rentes comprises dans les articles précédents; mais S. M. le roi Charles IV n'entend avoir de relation pour cet objet qu'avec le trésor de France.

Art. 9. S. M. l'Empereur Napoléon donne en échange à S. M. le roi Charles le château de Chambord, avec les parcs, forêts et fermes qui en dépendent, pour en jouir en toute propriété et en disposer comme bon lui semblera.

Art. 10. En conséquence, S. M. le roi Charles renonce en faveur de S. M. l'Empereur Napoléon à toutes les propriétés allodiales et particulières non appartenantes à la couronne d'Espagne, mais qu'il possède en propre. Les infants d'Espagne continueront à jouir du revenu des commanderies qu'ils possèdent en Espagne.

Art. 11. La présente convention sera ratifiée, et les ratifications en seront échangées dans huit jours ou plutôt qu'il sera possible.

Fait à Bayonne, le 5 mai 1808.

Signé DUROC.

Signe LE PRINCE DE LA PAIX.

S. M. L'EMPEREUR DES FRANÇAIS, ROI D'ITALIE, PROTECTEUR DE LA CONFÉDÉRATION DU RHIN, et S. A. R. le prince des Asturies, ayant des diffe

rends à régler, ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir:

S. M. L'EMPEREUR DES FRANÇAIS ROI D'ITALIE, M. le général de division Duroc, grand maréchal du palais;

Et S. A. R. le prince des Asturies, don Juan d'Escoiquitz, conseiller d'État de S. M. Catholique, chevalier grand-croix de l'ordre de Charles III,

Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, sont convenus des articles suivants :

Art. 1er. S. A. R. le prince des Asturies adhère à la cession faite par le roi Charles, de ses droits au trône d'Espagne et des Indes, en faveur de S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, et renonce, autant que besoin, aux droits qui lui sont acquis comme prince des Asturies, à la couronne des Espagnes et des Indes.

Art. 2. S. M. l'Empereur des Français et Roi d'Italie accorde, en France, à S. A. R. le prince des Asturies, le titre d'Altesse Royale, avec tous les honneurs, et prérogatives dont jouissent les princes de son sang.

Les descendants de S. A. R. le prince des Asturies conserveront le titre de Prince, celui d'Altesse Sérénissime, et auront toujours le même rang, en France, que les princes dignitaires de l'empire.

Art. 3. S. M. l'Empereur des Français et Roi d'Italie cède et donne, par les présentes, en toute propriété, à S. A. R. le prince des Asturies, et à ses descendants, les palais, parcs, fermes de Navarre, et les bois qui en dépendent, jusqu'à la concurrence de cinquante mille arpents, le tout dégrevé d'hypothèques, et pour en jouirfen toute propriété, à dater de la signature du présent traité.

Art. 4. Ladite propriété passera aux enfants et héritiers de S. A. R. le prince des Asturies; à leur défaut, aux enfants et héritiers de l'infant don Charles; à défaut de ceux-ci, aux descendants et héritiers de l'infant don Francisque; et enfin à leur défaut, aux enfants et et héritiers de l'nfant don Antoine. Il sera expédié des lettres patentes et particulières de prince à celui de ces héritiers auquel reviendra ladite propriété.

Art. 5. S. M. l'Empereur des' Français et Roi d'Italie accorde à S. A. R. le prince des Asturies quatre cent mille francs de rente apanagère sur le trésor de France et payables par douzième chaque mois, pour en jouir lui et ses descendants; et venant à manquer la descendance directe de S. A. R. le prince des Asturies, cette rente apanagère passera à l'infant don Charles, à ses enfants et héritiers, et à leur défaut, de l'infant don Francisque, à ses descendants et héritiers.

Art. 6. Indépendamment de ce qui est stipulé dans les articles précédents, S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, accorde à S. A. R. le prince des Asturies; une rente de six cent mille francs également sur le trésor de France, pour en jouir sa vie durant. La moitié de ladite rente sera réversible sur la tête de la princesse son épouse, si elle lui survit.

Art. 7. S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie accorde et garantit aux infants don Antoine, oncle de S. A. R. le prince des Asturies, don Charles et don Francisque, frères dudit prince :

1o Le titre d'Altesse Royale, avec tous les honneurs et prérogatives dont jouissent les princes de son sang; les descendants de leurs Altesses Royales conserveront le titre de prince, celui d'Altesse Sérénissime, et auront toujours le même rang en France que les princes dignitaires de l'empire;

2o La jouissance du revenu de toutes leurs commanderies en Espagne, leur vie durant;

3o Une rente apanagère de 400,000 francs, pour eux et leurs héritiers à perpétuité, entendant Sa Majesté Impériale que les infants don Antoine, don Charles et don Francisque, venant à mourir sans laisser d'héritiers, ou leur postérité venant à s'éteindre, lesdites rentes apanagères appartiendront à S. A. R. le prince des Asturies, ou à ses descendants et héritiers; le tout aux conditions que LL. AA. RR. don Charles, don Antoine et don Francisque adhère au présent traité.

Art. 8. Le présent traité sera ratifié et les ratifications en seront échangées dans huit jours ou plutôt si faire se peut.

Bayonne, le 10 mai 1808.

Signé DUROC.

Signé JUAN DE ESCÓIQUITZ.

Rapport du ministre de la guerre à S. M. l'Empereur et Roi.

Du 1er septembre 1808.

SIRE, j'ai l'honneur de soumettre à VOTRE MAJESTÉ l'état de situation de ses armées en Pologne, en Prusse et en Silésie, en Danemark, en Ďalmatie, en Albanie, en Italie, à Naples et dans les Espagnes j'y joins celui de ses armées de réserve, à Boulogne, sur les côtes, sur le Rhin et dans l'intérieur.

VOTRE MAJESTÉ verra que jamais la France n'a eu de plus nombreuses et de plus belles armées, et que jamais elles n'ont été mieux entretenues ni mieux approvisionnées.

Cependant les divers événements qui ont eu lieu en Espagne ont produit une perte assez considérable, résultat de l'opération, aussi inconcevable que pénible pour l'honneur français, du corps du général Dupont.VOTRE MAJESTÉ a fait connaître l'intention où elle était de réunir plus de deux cent mille hommes au delà des Pyrénées, sans cependant affaiblir ni ses armées d'Allemagne ni celle de Dalmatie.

Pour arriver à ce but, une levée de quatre-vingt mille hommes paraît indispensable; et VOTRE MĂJESTÉ ne peut prendre ces quatre-vingt mille hommes que dans les quatre classes de la conscription des années 1806, 1807, 1808 et 1809.

Il est constaté par les registres tenus dans mon ministère, qu'indépendamment des hommes qui se sont mariés depuis quatre ans, la conscription de ces années pourrait encore fournir six cent mille hommes En faisant sur ce nombre une levée de quatre-vingt mille hommes, VOTRE MAJESTÉ aura appelé un conscrit sur sept, et les cadres de l'armée se rempliront de soldats de vingt et un, de vingt-deux et de vingt-trois ans, c'est-à-dire, d'hommes faits et prêts à supporter les fatigues de la guerre.

Il n'a point échappé à la prévoyance de VOTRE MAJESTÉ qu'un tel accroissement de forces nécessiterait une augmentation de dépense de plusieurs millions pour le département de la guerre. VOTRE MAJESTÉ ne veut pas que je l'entretienne de cet objet dans ce rapport; son ministre des finances s'est chargé d'y faire face sans augmenter en aucune manière les impositions établies par la dernière loi.

Il est vrai, SIRE, que l'usage suivi dans ces dernières années aurait pu jusqu'à un certain point porter une partie de vos peuples à se regarder comme libérés du devoir de la conscription, du moment où ils auraient, sur la masse totale, fourni le contingent demandé pour l'année; et sous ce rapport, ce que je propose à VoTRE MAJESTÉ semblerait exiger de la part de ses sujets un sacrifice. Mais, Sire, il n'est personne qui ne sache qu'aux termes des lois, VOTRE MAJESTÉ serait autorisée à appeler sous ses drapeaux la totalité de la conscription, non-seulement des quatre dernières années, mais même des années antérieures et quand il s'agirait d'un sacrifice réel, quel est le sacrifice que VOTRE MAJESTÉ n'ait pas le droit d'attendre de l'amour de ses peuples? Qui de nous ignore que VOTRE MAJESTE se sacrifie elle-même entièrement pour le bonheur de la France, et que de la prompte réussite de ses grands desseins dépend le repos du monde, la sûreté future et le rétablissement de la paix maritime, sans laquelle il n'est pour la France ni calme ni tranquillité ?

En proposant à}VOTRE MAJESTÉ de déclarer que désormais aucun rappel de conscription anté

rieure n'aura lieu, je ne fais, SIRE, que prévenir vos vues paternelles.

Je crois utile de proposer en même temps à VoTRE MAJESTÉ de décréter la levée de la conscription de 1810, et d'en déterminer le nombre, dès ce moment, à quatre-vingt mille, afin de former au besoin des camps de réserve et de garder nos côtes au printemps. Cette conscription ne serait levée que dans le cas où VOTRE MAJESTÉ aurait à craindre la guerre de la part d'autres puissances, et elle ne le serait pas avant le mois de janvier prochain.

SIRE, c'est un malheur attaché à la situation actuelle de l'Europe, que lorsqu'une puissance sort de l'état de forces que comporte sa population, les autres puissances ne peuvent se dispenser d'augmenter le leur dans la même proportion.

L'Angleterre, indépendamment de l'immense quantité de ses matelots, a plus de deux cent mille hommes sur pied: elle ne s'occupe à toutes les sessions de sa législature que de l'accroissement de ses troupes de terre. Les forces de l'Autriche ont été considérablement augmentées. La France, quoiqu'elle ait des armées plus nombreuses que toutes les autres puissances, a cependant moins d'hommes sous les armes qu'aucune d'elles relativement à sa population.

Votre ministre des relations extérieures m'a assuré qu'une étroite alliance existait entre VOTRE MAJESTÉ et la Russie. Les armements de l'Autriche avaient souvent excité ma sollicitude; le ministre y a répondu en me donnant la certitude que les meilleurs rapports existaient avec l'Autriche, et qu'il fallait regarder ses levées, soit comme des précautions, soit comme le résultat des craintes que s'efforcent de faire naître dans toutes les cours de l'Europe les nombreux agents que l'Angleterre soudoie encore sur le continent.

Mais s'il n'appartient pas à mon ministère d'approfondir les vues et les intérêts des cours et de pénétrer dans le labyrinthe de la politique, il n'en est pas moins de mon devoir de ne rien négliger pour que les armées de VOTRE MAJESTÉ conservent sur tous les points toute la supériorité qu'elles peuvent avoir. Celles d'Albanie et de Dalmatie, de Danemark et de l'Elbe ne peuvent point éprouver de diminution dans les circonstances atuelles.

Les dispositions que je propose à VOTRE MAJESTÉ donnent à l'armée d'Espagne deux cent mille hommes sans affaiblir les autres armées; de sorte que, malgré l'accroissement de nos forces au delà des Pyrénées, lorsque la conscription de 1810 viendra à être levée, VOTRE MAJESTÉ aura accru ses armées d'Allemagne, du Nord et de l'Italie de plus de quatre-vingt mille hommes.

Et quand, pour éviter la crise où l'a entraîné une politique aussi fausse que passionnée, le gouvernement anglais s'agitant de toutes parts, ne craint pas de réunir aux ressources qu'il tire de ses vastes finances et de ses nombreuses flottes toutes les armes de l'intrigue, de la corruption et de l'imposture, qu'y aurait-il d'extraordinaire que l'immense population de la France, offrit le spectacle d'un million d'hommes armés, prêts à punir l'Angleterre et tous ceux qu'elle aurait séduits, et présentant partout cette masse de forces pour couvrir du même bouclier l'honneur et la sûreté de la France?

Quel autre résultat, SIRE, devra-t-on attendre d'armées si nombreuses, et d'une position si formidable, si ce n'est le prompt rétablissement du calme en Espagne, celui de la paix maritime, et cette tranquillité générale, l'objet des vœux constants de VOTRE MAJESTÉ? Beaucoup de sang aura

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