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Tel est le dernier état de la législation. Nous ne pouvions mieux clore l'exposé des nombreuses dispositions qui ont établi la condition civile des Israélites en France à toutes les époques de notre histoire, qu'en citant ces grands principes que les gouvernements, quels qu'ils fussent, ont inscrits depuis soixante ans sur le frontispice de leurs constitutions. L'égalité devant la loi, le libre exercice des cultes, la liberté de conscience, ces axiômes du droit public, ont acquis enfin une telle force de popularité, qu'ils planent au-dessus de toutes les formes de gouvernement. Quelle que soit celle qu'il plaise à la France de conserver ou de se donner dans l'exercice périlleux de cette souveraineté nationale qu'elle met si souvent en jeu, ces droits sacrés ne peuvent plus être contestés. La raison est enfin rentrée dans ses droits; les hommes ont fini par comprendre que le bonheur réside non dans les intérêts qui les divisent, mais dans ceux qui les rapprochent, non dans la guerre qui détruit, mais dans la paix qui fonde; ils ont enfin reconnu que ce Dieu qu'ils appelaient si justement Dieu de pitié et de miséricorde, n'était pas une de ces antiques divinités de convention, dont on croyait gagner les faveurs en leur sacrifiant des victimes humaines.

L'ère de la vraie civilisation qui éclaire les hommes pour les rendre meilleurs a été inaugurée. Dans ce grand travail de perfectionnement social, nous le disons avec bonheur, c'est la France qui a toujours marché la première; c'est elle qui fait rayonner les

lumières du progrès sur toutes les autres nations. Elle est en Europe le phare de la civilisation. Mais, il faut le reconnaître, si les grands principes de liberté dont nous venons de parler sont gravés dans nos lois, ils sont loin d'être gravés dans le cœur de tous les citoyens. Il existe encore de nombreux préjugés, surtout en matière religieuse. Bien des préventions subsistent contre les Israélites, non-seulement dans l'esprit de ceux qui n'ont point reçu les bienfaits de l'instruction, mais même parmi ceux que la culture de leur intelligence aurait dû affranchir du joug des préjugés. Il appartient surtout au gouvernement de dissiper ces préventions en éclairant l'opinion publique, en la dirigeant sagement dans les voies du progrès, en faisant comprendre à tous, par des exemples manifestes, que l'intelligence humaine s'abaisse dans la servitude, comme elle s'élève dans la liberté.

Tant que les Israélites ont gémi sous le poids de l'oppression, il était impossible qu'ils ne restassent pas dans un état d'infériorité vis-à-vis des autres hommes. Quand toutes les carrières leur étaient fermées, ils ne pouvaient se distinguer dans aucune, et s'ils ont eu une aptitude particulière pour le commerce, c'est parce que le commerce seul ne leur était pas interdit. Plus les gouvernements se sont montrés intolérants à leur égard, plus leur dégradation a été grande. Considérés comme des ennemis ou comme des étrangers, presque toujours en servitude, quelquefois à peine tolérés, les Juifs, jusqu'à la révolu

tion de 1789, n'ont pu sortir de l'état d'abaissement qui était la conséquence forcée de leur condition civile. Si cependant on peut nommer pendant ces longs siècles de persécutions quelques Israélites qui se sont fait remarquer dans les lettres, dans les sciences, notamment dans la médecine; si l'on peut citer quelques-uns d'entre eux qui ont obtenu des faveurs particulières, même dans les temps les plus barbares, c'est que ces hommes se sont élevés exceptionnellement par la force même de leur mérite ou de leur génie, comme ces arbres d'une végétation supérieure qui percent les murailles, et croissent à travers les pierres. Mais la masse des Juifs, reléguée dans les coins les plus obscurs des villes, condamnée à l'ignorance qui favorise le maintien du servage, gisait dans l'humiliation la plus profonde. Ce n'est que depuis soixante ans que les Israélites ont joui en France de quelque liberté ; aussi quel changement s'est produit dans leur état intellectuel et moral! Comme ils se sont placés rapidement au niveau de leurs autres concitoyens, entrant avec bonheur dans ces carrières libérales qui leur étaient ouvertes enfin, et montrant par plus d'un exemple frappant que les succès dans les lettres, les arts, les sciences, dans toutes les fonctions publiques, ne sont pas attachés à un culte plutôt qu'à un autre ! C'est surtout pendant les dix-huit années du règne de Louis-Philippe, que ce mouvement ascensionnel s'est fait remarquer. C'est pendant que ce prince assurait à une classe de ci

enfin, non seulement les bienfaits de l'égalité civile, mais encore ceux d'une protection éclairée contré des préjugés encore trop enracinés, qu'un progrès immense s'est opéré parmi les Israélites et qu'on a vu les portes du Parlement comme celles de l'Institut s'ouvrir devant eux. Quelques années plus tard plusieurs d'entre eux avaient même l'honneur de siéger dans les conseils suprêmes du gouvernement.

Nous ne rappelons ces circonstances que parce qu'elles constatent un phénomène naturel, celui du développement intellectuel et moral qui suit le mouvement progressif de toutes les libertés. Partout et dans tous les cas où une liberté nouvelle se fait jour, le niveau intellectuel et moral s'élève. La liberté est l'atmosphère du progrès, elle est aussi nécessaire au développement de la pensée, que l'air est nécessaire à l'existence.

Cette vérité si simple est enfin mieux comprise dans les États de l'Europe les plus arriérés dans les voies de la civilisation. La liberté de conscience est partout en progrès. La condition civile des Israélites en particulier s'améliore dans plusieurs parties de l'Allemagne. En Angleterre, un spectacle étrange pour notre époque est donné au monde. On voit une caste privilégiée résister avec une opiniâtreté imprudente au vœu national qui fera loi. Malheureux ceux qui voudraient opposer leur volonté égoïste à la volonté nationale! Malheureux les gouvernements qui

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n'entendent pas ou qui entendent trop tard le cri de l'opinion publique! Quand une idée s'est vulgarisée, quand un principe est devenu populaire, les gouvernements, en s'y soumettant, ne font que suivre leurs intérêts les plus précieux. La France a reconnu, puissent les autres nations reconnaître bientôt, qu'assurer la liberté de conscience et couvrir tous les cultes d'une égale protection, c'est donner un gage puissant à la paix publique, c'est-à-dire, à la prospérité des États, comme c'est rendre hommage à Dieu qui a laissé toute latitude à la pensée humaine!

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