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L'homme sensible repose sa pensée avec délice sur ce monument de la puissance et du génie sublime du plus grand des héros législateurs, monument devant lequel tous les systèmes antisociaux s'anéantissent par l'évidence des effets salutaires que le pouvoir de la sagesse et l'influence des lois équitables produisent sur les hommes et les siècles.

Le consistoire central, organe des fidèles sujets de S. M. I. et R. professant le culte mosaique, pénétrés d'amour et des sentiments de la plus vive gratitude pour la personne sacrée de S. M., ne cessera de bénir son nom auguste. Il ose affirmer que ses coreligionnaires redoubleront d'efforts pour se rendre de plus en plus dignes de tous les bienfaits dont S. M. a daigné les combler.

Il espère que les bontés de notre bien-aimé monarque lui permettront d'élever la voix jusqu'au pied du trône, pour supplier humblement S. M. de voir dans la fidélité, le dévouement et les efforts de toute espèce de ses sujets israélites, pour faire disparaître toute différence entre eux et les autres citoyens de l'empire, le terme que la clémence de S. M. a daigné fixer aux mesures de son décret du 17 mars 1808.

Et vous, Monseigneur, dont la sollicitude s'est tant de fois manifestée à notre égard, c'est dans votre sein paternel que nous déposons notre anxiété; c'est sur la justice qui vous caractérise que nous fondons notre plus chère espérance.

Daignez être notre organe auprès du plus juste des monarques; des milliers de familles innocentes attendent de votre puissante intercession la tranquillité et le bonheur.

Nous avons l'honneur d'ètre, etc.

Les membres du consistoire central.

NOTE 0.

Le décret du 19 octobre 1808 ne fait qu'appliquer aux consistoires israélites la formalité d'un serment particulier exigé des évêques et des autres ecclésiastiques catholiques par les articles

6 et 7 du concordat de l'an IX, et des consistoires et des pasteurs protestants par l'article 41 de la loi organique du culte protestant du 18 germinal an X. La formule est à peu près la même; le serment qui se prêtait, pour les cultes chrétiens, sur les saints Évangiles, se prêtait pour les israélites, sur la sainte Bible.

Aujourd'hui le serment, quand il est exigé, est le même pour tous et ne peut donner lieu à aucune espèce de distinction provenant de la différence de religion ou de toute autre cause. La loi est une pour tous, et toute prétention qui se produirait encore pour ressusciter des usages établis par le fanatisme, la barbarie ou l'intolérance, serait une violation flagrante des principes sacrés qui régissent tous les Français depuis soixante ans et qui sont gravés dans toutes les constitutions qui se sont succédé depuis 1789. Avant cette époque on exigeait des israélites un serment spécial, entouré de nombreuses formalités et d'un appareil terrible. Depuis l'émancipation des israélites, malgré la liberté de conscience et la liberté des cultes, on a plusieurs fois, et particulièrement en Alsace, tenté de ranimer les vieilles superstitions, en imposant devant la justice à des israélites ce serment suranné dit serment more judaico. La cour de cassation a solennellement rappelé les vrais principes et définitivement fixé la jurisprudence dans un arrêt célèbre que nous allons rapporter. C'est la meilleure réponse que l'on puisse opposer aux hommes aveuglés par l'ignorance et le fanatisme qui oseraient encore renouveler des prétentions à jamais, nous l'espérons, jugées et condamnées :

Arrêt de la Cour de Cassation du 3 mars 1846. (Conclusions conformes de M. Delangle, avocat général.) (1). La Cour,

» Vules art. 1" et 5 de la Charte constitutionnelle, 1357 du Code civil et 121 du Code de procédure;

(1) Nous regrettons de ne pouvoir rapporter le très-remarquable réquisitoire de M. Delangle, qui a traité la question de la manière la plus brillante et la plus approfondie.

» Attendu que tous les Français sont égaux devant la loi et jouissent des mêmes droits, quelle que soit leur religion, Que la même présomption de bonne foi protége tous leurs actes;

» Attendu que le serment déféré ou référé, aux termes de l'art. 1357 du Code civil, a un caractère essentiellement religieux, puisque celui qui le prête prend Dieu à témoin de son affirmation;

Que la véritable garantie contre le parjure réside dans la conscience de l'homme et non dans des solennités acces soires qui n'ajoutent aucune force réelle à l'acte solennel du serment;

» Attendu que d'après l'art. 121 du Code de procédure civile, le serment doit être prêté par la partie en personne et à l'audience;

» Que cet article n'admet d'exception pour le lieu de la prestation de serment que dans le cas d'empêchement légitime et dùment constaté; qu'alors le juge, accompagné de son greffier, doit se transporter chez la partie pour recevoir son serment; • Attendu que le serment consiste dans les mots je jure qu'on est tenu de prononcer en levant la main;

» Que cette forme est consacrée par un usage constamment suivi en France; qu'elle a été expressément adoptée pour les Français de la religion protestante par les édits de 1572 et 1598 (art. 20 et 21); qu'elle est prescrite par nos lois politiques et criminelles ;

Qu'elle est la seule à laquelle les Français puissent être soumis, et que dans le cas de faux serment, tous sont punis des mêmes peines;

» Attendu que le juge ne peut autoriser une autre forme de serment que lorsque la personne qui doit le prêter ne professe pas la religion de la majorité des Français, et en fait elle-même la demande;

» Attendu que lorsque les juifs ont été soumis par des décla

rations, lois, ordonnances et en dernier licu par les lettres patentes du 10 juillet 1784, enregistrées au conseil souverain d'Alsace, le 26 avril suivant, à un serment particulier et exceptionnel, ils étaient placés hors du droit commun et obtenaient à peine quelque tolérance pour la jouissance des droits que tous les hommes tiennent du droit naturel et du droit des gens;

» Attendu que cet état de choses a été complétement changé: 1° par la loi du 21 (1) septembre 1791, qui a fait jouir les juifs de tous les droits civils, civiques et politiques accordés aux Français;

» 2° Par le décret du 19 octobre 1808 (2), qui a organisé le culte israélite;

» 3° Par la loi du 8 février 1831, qui a mis le traitement des ministres de la religion juive à la charge de l'État ;

4. Et surtout par la Charte de 1830, qui a proclamé de nouveau le principe de l'égalité entre les Français et la liberté des cultes;

• Attendu que les mesures exceptionnelles établies pour dix années, par le décret du 17 mars 1808, relativement aux créances des juifs de quelques départements ont cessé d'avoir effet en 1818, et que les juifs français sont complétement assimilés maintenant à leurs concitoyens;

» Attendu que sous le prétexte d'attribuer plus d'importance et d'efficacité à leur serment, on ne peut leur imposer une législation abrogée, des usages qu'ils répudient et des solennités dont ils méconnaissent l'utilité ;

» Qu'agir ainsi, c'est violer la loi et porter directement atteinte à la liberté de conscience, si hautement proclamée par la Charte constitutionnelle;

» Attendu que Lazare Cerf, demandeur, auquel Gougenheim a

(1) 27 septembre 1791.

(2) C'est le décret du 17 mars 1808, celui du 19 octobre 1808 est relatif au serment des membres du consistoire israélite.

déféré le serment décisoire, conformément à l'article 1557 da Code civil, a demandé à faire ce serment devant le tribunal de Saverne dans la forme ordinaire;

» Que loin d'accueillir sa demande expresse, le tribunal de Saverne et ensuite l'arrêt attaqué l'ont condamné à faire son serment more judaico, dans la synagogue, entre les mains du rabbin et en présence du juge de paix du canton;

» Attendu qu'en jugeant ainsi, la cour royale de Colmar a fait revivre une législation entièrement abolie, a méconnu les art. 1 et 5 de la Charte constitutionnelle de 1850, et a expressément violé l'article 1557 du Code civil et l'article 121 du Code de procédure;

» Par ces motifs casse et annule l'arrêt de la cour royale de Colmar du 20 décembre 1842. »

NOTE P.

Nous avons annoncé dans la note G que de nombreuses difficultés législatives, judiciaires et administratives devaient être la conséquence des mesures exceptionnelles prises pour la liquidation des dettes des anciennes communautés jaives. Dans la note K, nous avons fait connaître la première de ces difficultés, soulevée par les israélites de Nancy contre la loi du 20 mai 1791, et tranchée par l'ordre du jour motivé qui a formé la loi du 1* mai 1792. Nous allons maintenant rapporter textuellement, suivant leur ordre chronologique, toutes les décisions du conseil d'État et de la cour de cassation et toutes les discussions des assemblées législatives auxquelles a donné lieu la liquidation de ces diffé rentes dettes.

Avant la révolution, les israélites qui n'étaient pas considérés comme Français ou qui n'avaient obtenu la jouissance de certains droits civils qu'en vertu de lettres patentes accordées à différentes époques, formaient des communautés régies par des statuts et des règlements spéciaux approuvés par l'autorité

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