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échapper à la lumière des yeux de Dieu, ni se soustraire au poids de sa main (1).

15. On peut ajouter pour un dernier devoir de ceux qui ont l'honneur d'approcher le prince, et d'avoir part en sa confidence, que l'usage qu'ils doivent en faire, selon les règles qu'on vient d'expliquer, les oblige non-seulement à n'en user jamais contre la justice et la vérité, et à les défendre au contraire et les appuyer de toutes leurs forces; mais encore à ne pas regarder en euxmêmes cet avantage qu'ils ont d'être auprès du prince, pour faire éclater leur faste et leur vanité. Car ce serait avilir la dignité de leur ministère, et inspirer l'indignation et l'aversion contre cet usage d'une autorité dont l'effet naturel doit être le respect et l'amour des peuples qu'ils s'attireraient par la modération dans la faveur qui les élève au-dessus des autres (2).

TITRE IV.

De l'usage des forces nécessaires pour maintenir un état, et des devoirs de ceux qui sont dans le service des armes.

Le lecteur peut assez juger par le dessein de ce livre expliqué dans la préface, qu'il ne doit pas s'attendre de voir sous ce titre le détail des matières qu'on pourrait comprendre dans un traité particulier des forces nécessaires dans un état; car ce dessein pourrait s'étendre aux règles des fortifications, et des attaques et défenses des places fortes, à celle des exercices des soldats, des marches des troupes, de leur campement, de leurs retraites, d'un ordre de bataille, de l'artillerie, des vaisseaux de guerre, et à d'autres matières semblables. Mais ce détail, quoique d'une conséquence très-importante, ayant ses règles particulières que les expériences et les usages diversifient selon les temps et selon les lieux, ne doit pas être mêlé aux règles qui doivent composer la science des lois et celle du Droit public qui en fait partie, et qui a ses principes dans la loi divine, et dans les règles immuables de l'équité naturelle. Ainsi, on ne comprendra sous ce titre que les règles qui ont ce caractère, et dont quelques-unes ont été recueillies dans le Droit romain. Ce qui se réduit aux règles de la justice qui peuvent faire le bon usage des forces d'un état, soit pour y maintenir au-dedans l'ordre, la paix et la tranquillité par le règne de la justice, ou pour le défendre au-dehors contre les entreprises de ses ennemis. Et ces sortes de règles feront la matière de deux sections. La première de l'usage des forces pour le dedans d'un état, et la seconde de l'usage des forces pour le dehors, et de la police militaire qui règle les devoirs des officiers guerre et des soldats.

de

(1) Prov. 21. 30. 1. Cor. 1. 19. Is. 29. 14. (2) Esther. 16. 2. Eccli. 32. 1. Jud. 8. 22. 23.

SECTION PREMIÈRE.

De l'usage des forces pour le dedans d'un état.

1. Comme les forces sont nécessaires pour faire régner la justice sur ceux qui ne s'y soumettent pas volontairement, elles ont leur usage partout où la justice doit avoir le sien, et où elle pourrait trouver quelque obstacle (1). (Charte, 14; pr. 785, 555; p. 188, 209; I. 554.)

[Pour l'exécution de la contrainte par corps en matière correctionnelle, on n'est pas obligé de suivre les formalités prescrites par l'art. 785 (2). Il est dans les attributions du juge de référé de prononcer sur une demande en nullité d'une arrestation, bien que cette demande soit fondée sur l'irrégularité d'une des pièces en vertu desquelles l'arrestation est faite, par exemple, de la copie du commandement (3). V. ci-après l'art. 6, notamment l'addition qui s'y trouve. ]

corps

2. Cet usage des forces dans un état pour y faire régner la justice s'étend en général à tout ce qui regarde l'ordre public et le bien commun, et à l'administration de la justice entre les sujets. Ainsi, ces forces se communiquent du souverain à tout le dont il est le chef, et il les dispense à tous les usages du corps et des membres. (Charte, 14, 57.) De sorte que comme c'est la force de la justice qui doit animer ce corps et ces membres, et qui en fait comme la vie, elle doit se sentir partout de même que la vie de l'ame se fait sentir en ce qu'elle anime.

3. La première place où réside la force de l'autorité du souverain dans son état, et d'où elle doit se répandre dans tout le corps, est sa personne même en qui toutes les marques et tout l'appareil de l'autorité doivent éclater et l'environner, de sorte que comme c'est en lui que le ministère de toute la dispensation de la justice a son origine (Charte, 57.), la force de la justice y ait aussi la sienne, et qu'ainsi le bon usage que la sagesse du prince doit faire de cette puissance soit le fondement du repos public (4). (Charte, 14; I. 25, 99, 106, s. 376; p. 188, s.; 196, S.; 201, S.; 222, s.)

4. C'est pour cet usage de la puissance du souverain qu'il en exerce lui-même les principales fonctions, et commet les autres qu'il ne peut ou ne doit exercer lui-même à ceux qu'il élève à ce ministère, officiers de la couronne, gouverneurs de provinces, magistrats, et tous autres à qui il fait part de l'autorité; soit pour l'administration de la justice, pour la police, ou pour tout le détail des diverses fonctions que demande le bien public. Ainsi, cette puissance doit être considérée entre les mains de ces offi

(1) Sap. 6. 4. (2) Décision du ministre de la justice, 12 septembre 1807. (3) Paris, 17 déc. 1817. (4) Sap. 6. 26.

ciers et autres ministres comme celle du prince et qu'il tient de Dieu (1). (Charte, 57, 14; p. 127, s. 130, 131.)

entre eux,

[Le devoir du prince, dit le président Henrion (2), est de choisir les organes de la loi, de les surveiller, de destituer, en cas de prévarication, ceux qui sont révocables; d'accuser devant leurs juges naturels ceux qui ne peuvent être destitués que pour cause de forfaiture jugée; de maintenir l'ordre des juridictions; de prévenir la confusion des pouvoirs, en maintenant avec autant de force que de célérité les entreprises des tribunaux les uns sur les autres, et celles que le corps judiciaire et administratif pourraient se permettre réciproquement, ce qu'il fera, soit en jugeant lui-même avec son conseil les conflits qui peuvent s'élever soit en conférant le pouvoir à un tribunal digne de cette importante fonction; et si la loi de l'état le dispense de l'obligation d'annuler, sur la demande des parties intéressées, les jugemens en dernier ressort, dans lesquels les juges auraient substitué leurs volontés à la volonté du législateur, il n'en est pas moins tenu de rechercher ces jugemens et de les déférer au corps politique investi de cette haute prérogative. Enfin le prince est obligé d'employer la force publique, dont il est dépositaire, toutes les fois qu'elle est nécessaire pour écarter les obstacles de faits qui pourraient s'opposer à l'exécution des jugemens; et à cet effet il doit la mettre à la disposition de ses procureurs judiciaires qui sont dans cette partie non les hommes de la loi, mais les agens de l'administration. — Le pouvoir judiciaire n'est pas obligé de porter secours au pouvoir administratif, dit encore ce savant magistrat: si ce dernier est sorti des bornes de ses attributions, ce n'est pas une raison pour que l'autorité judiciaire commette une forfaiture en s'associant à son usurpation.

En Angleterre, la doctrine de la résistance aux ordres du pouvoir exécutif est devenue chez ce peuple un dogme inexpugnable. «< Jusqu'à la révolution de 1688, dit le célèbre Mayer, membre de l'Institut des Pays-Bas (3), les rois avaient prétendu pouvoir accorder un sursis à l'exécution des lois, ou paralyser leur exécution dans des cas particuliers. Le parlement avait toujours contesté cette prérogative qui mettait la législation au pouvoir du monarque; mais ce n'est que depuis le fameux bill des droits que l'abus a cessé. Cette loi a donné aux juges la faculté ou plutôt leur a imposé l'obligation de désobéir à tout ordre qui leur serait adressé au nom du roi, contraire aux lois et aux usages établis dans le royaume. Ce droit de résistance est considéré, à juste titre, comme le garant des libertés du peuple anglais. »

Comme le dit un savant publiciste anglais (4), « à cette époque plusieurs lois ont passé, telles que le bill des droits, etc., lesquelles ont développé nos libertés en termes plus clairs et plus énergiques, ont confirmé et procuré par des exemples la doctrine de résistance, quand le magistrat exécutif s'efforce de renverser la constitution; ont maintenu le supériorité des lois sur le roi, et ont rendu les juges complètement indépendans du roi, de ses ministres et de ses successeurs. » ]

5. Cette puissance du souverain, et les fonctions qu'il en commet à ses ministres doivent avoir cet effet de faire régner la paix

(1) 1. Petr. 2. 13. (2) De l'autorité judiciaire. (3) Des inst. judic., t. 2, p. 286. (4) Blackstone, comment, on the laws of England, boock 4, ch. 33, no 6.

entre ses sujets par le règne de la justice qui les contienne tous dans l'ordre qui fait cette paix, mettant chacun en état de craindre la puissance de la justice s'il y est rebelle (P. 114, s. 123, 184, s. 209, s. 341.), et dans la sûreté d'avoir sa protection s'il y est fidèle. Ce qui fait que chaque particulier qui demeure dans ses devoirs doit avoir le même usage de cette puissance que en avait la dispensation; pourvu que la justice se trouve jointe à ses intérêts. Et c'est en cet usage de la puissance dont chaque particulier doit sentir l'appui, que consiste la tranquillité publique (1). (P. 109, s.)

s'il

6. Comme l'usage des forces nécessaires dans un état pour y faire régner la justice, ne saurait avoir toujours et partout son effet de sorte que le torrent de l'iniquité n'y fasse glisser plusieurs injustices qu'aucune vigilance du souverain ni de ses ministres ne peut prévenir, et que souvent même ceux à qui il a confié l'autorité en tournent l'usage contre la justice (P. 188, s. 175, 176, 184, s.); c'est une suite du ministère de la puissance, que lorsque la paix et l'ordre que la justice devait maintenir se trouve blessé, elle fasse sentir le poids de ses forces à ceux que la crainte n'a pas retenus. Ainsi, on répare par les peines et les supplices le désordre qui a troublé la paix, soit contre les particuliers qui ont été rebelles à l'autorité de la justice pour les y soumettre (P. 209, s.), ou pour venger contre ces ministres par l'usage naturel de l'autorité l'abus criminel qu'ils en auraient fait (2). (P. 114, s.; Charte, 14.)

[La rébellion n'est pas excusable par le motif que la force publique à laquelle on a résisté agit en vertu d'un ordre illégal. L'art. 209 ne subordonne pas son application au plus ou moins d'irrégularité dans les ordres émanés de l'autorité pour faire agir la force publique. L'illégalité de ces ordres pourrait seulement donner lieu à la prise à partie ou à des poursuites contre les fonctionnaires qui les auraient donnés; mais cette illégalité ne peut, en aucun cas, autoriser un particulier à s'y opposer avec violence et voies de fait. Le système contraire qui conduirait directement à autoriser chaque particulier à se constituer juge des actes émanés de l'autorité publique, serait subversif de tout ordre public; il ne serait fondé sur aucune loi, et il ne peut être admis (3). Il y a rébellion dans le cas de résistance à la force publique agissant sur la réquisition d'un commissaire de police, hors le cas de flagrant délit; quoique hors le cas de flagrant délit, le commissaire de police, et même le procureur du roi, soient sans caractère pour ordonner une arrestation (4). — Il y a rébellion dans la résistance à un huissier et à deux gendarmes agissant pour l'exécution d'un jugement prononçant la contrainte par corps, bien que l'arrestation fût illégale et nulle pour défaut d'assistance du juge de paix (5). Lorsqu'un corps militaire est réuni dans une église pour entendre la messe, la résistance opposée par des citoyens aux militaires exécutant les ordres de leur chef, touchant la

(1) 1. Machab. 14. 12. Ibid. 14. (2) Rom. 13. 4. 1. Petr. 2. 14. (3) Cass. 6 avril 1812. (4) Rejet, 5 janvier 1821. (5) Cass. 14 avril 1820.

discipline militaire et le maintien de l'ordre, peut être qualifiée rébellion, et punie en conséquence (1); aux gendarmes et aux officiers de paix, agens de la force publique, le droit que leur attribuent les lois des 23 septembre 1791, 28 floréal an IV, et 28 germinal an VI, dans les cas déterminés par lesdites lois, auxquelles le code d'instruction criminelle n'a pas dérogé, de saisir sur la voie publique les délinquans, et de les conduire immédiatement devant les officiers de police judiciaire (2).

Lorsqu'un maire exécute un arrêté de conseil de préfecture au profit de la commune, il est, en général, réputé agent de la commune, et non fonctionnaire administratif; la résistance, sous ce rapport, pourra n'être pas rébellion. Mais s'il se trouve que les faits d'exécution aient lieu sur un cimetière, dès lors un intérêt public d'ordre, de mœurs, de respect pour les morts, vient se joindre à l'intérêt communal; sous ce rapport, le maire se trouve agir comme fonctionnaire administratif, et par suite la résistance prend le caractère de rébellion (3).

L'individu dont un huissier saisit les meubles que la loi déclare insaisissables ne commet pas le délit de rébellion en s'opposant avec violence et voies de fait à leur enlèvement (4). — Un individu qui résiste avec violence et voies de fait à un gendarme qui veut l'arrêter en vertu d'une ordonnance de prise de corps ne commet le délit de rébellion si le gendarme ne lui a pas exhibé le mandat de justice en vertu duquel il agit (5). — Il n'y a pas rébellion dans la résistance à des gendarmes qui s'introduisent, avant l'heure fixée par la loi, dans le domicile d'un citoyen, pour y chercher un conscrit réfractaire qu'ils sont chargés d'ari êter (6). L'art. 11 de la constitution du 24 juin 1793, porte: tout acte exercé contre un homme hors du cas et sans les formes que la loi détermine, est arhitaire et tyrannique; celui contre lequel on voudrait l'exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force.]

7. Il s'en suit de toutes ces vérités, que l'usage des forces, pour ce qui regarde le dedans d'un état, les demande telles qu'elles puissent suffire pour autoriser le gouvernement, imprimer dans les esprits de tous les sujets le respect et l'obéissance au souverain (P. 86, s.; Charte, 13.), et à ceux qui exercent son autorité, donner aux bons la confiance de la protection de la justice, et inspirer aux méchans la terreur des peines (7). (P. 75, s.)

8. Tous ces divers usages de l'autorité dans un état demandent l'application du souverain, et la fidélité de ses ministres dans toutes les fonctions qui leur sont commises, pour la dispenser selon le besoin. Et cette fidélité est un des devoirs de ces ministres qui sera expliqué en son lieu. (V. le tit. 4 du liv. 2.)

SECTION II.

De l'usage des forces pour le dehors d'un état, de la police militaire, et des devoirs de ceux qui sont dans le service.

1. L'usage des forces qui regarde le dehors d'un état, consiste

(1) Rejet, 8 sept. 1824. (2) Paris, 27 mars 1827. (3) Cass. 15 oct. 1824. (4) Lyon, 24 août 1826. (5) Nimes, 21 nov. 1826. (6) Riom, 14 janv. 1827. (7) Rom. 13. 3.

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