Page images
PDF
EPUB

à-dire un vieux fat et un jeune homme, tous deux également désagréables à Louis XVIII.

« C'est ainsi qu'il s'aliéna, tour à tour et à la fois, la Russie, l'Angleterre, la Nation et le Roi. Son renvoi fut une véritable mystification, qu'il voulut ennoblir en la représentant comme l'effet de sa résistance aux prétentions des étrangers. Je l'ai dit, en traçant son portrait, personne n'est plus aisément dupe. Il le fut alors d'un des êtres les plus méprisables de tous les régimes, de1... à qui il confiait tout, y compris ses turpitudes, et qui rapportait tout à Monsieur. Ce double traitre lui était cependant signalé par chacun de nous, mais jamais nous ne pùmes en obtenir de l'éloigner. Il avait avec..... des habitudes qu'il ne pouvait rompre, et se sentait avec lui une aisance dont il ne jouit qu'avec ceux qu'il peut mépriser.

«La plus grande part des fautes de ce ministère appartient sans doute à M. de Talleyrand, puisqu'il en était le chef, mais il faut reconnaitre que le même esprit de vertige semblait égarer le jugement de ses collègues aussi bien que le sien.

«Fouché y perdit sa réputation d'habileté et de prévoyance; ses ordonnances de proscriptions, indépendamment du caprice, de l'arbitraire et de la légèreté qu'annonce le choix des bannis, avaient l'inconvénient irréparable de violer le pardon accordé par le Roi à sa rentrée en France, et de détruire la confiance de la Nation dans son gouvernement.

« Quand on connaît Pasquier, on ne s'étonne pas qu'il ait cru pouvoir, sans violer la Charte, destituer des Pairs, ni qu'avec son ordonnance, des adjonctions et d'autres mesures de cette espèce, il ait, sans s'en

1. Un nom supprimé.

338

LES FAUTES DU MINISTÈRE.

douter, préparé le triomphe, dans les élections, du parti qu'il redoutait.

Mais ce qu'on a peine à expliquer, c'est que le bon sens et la fermeté de Gouvion lui aient permis de licencier l'armée française sans en recréer une, de reprendre au service de la France des régiments suisses, à des conditions qui doivent les rendre de plus en plus odieux, de mécontenter tous les officiers par le système des demi-soldes, enfin de traduire Ney devant un Conseil de guerre, évidemment incompétent, et d'accabler un vieux guerrier, tel que le maréchal Moncey, du poids des châtiments arbitraires, parce qu'un sentiment de délicatesse l'avait empêché de siéger parmi les juges de Ney.

« Cependant je n'ai rien dit encore du plus grand mal que ce ministère ait fait à la Patrie.

« Il a blessé le cœur et l'orgueil des Français, en les déclarant coupables ou complices de l'usurpation du 20 mars. Cette qualification d'hommes des CentJours, donnée à ceux qui ont cru pouvoir servir leur pays et le défendre quel que fùt le gouvernement établi, a tout perdu. Elle a renouvelé la faute de 1814, où déjà des Bourbons parurent amnistier tout un peuple, encore ivre d'une gloire qu'il avait acquise sans eux. Les Français n'aiment pas être pardonnés.

« Au second retour du Roi, le gouvernement devait mettre toute son habileté à restreindre autant que possible le crime et le nombre des coupables, rassurer même les consciences inquiètes et les scrupules les plus délicats. Il devait, en un mot, poursuivre à utrance les auteurs de l'attentat et ouvrir ses bras à tous les autres comme à des enfants retrouvés, au lieu de se priver de l'appui de tout ce qui avait porté les armes, exercé une fonction ou prêté un serment

pendant les Cent-Jours, c'est-à-dire de presque tout ce qu'il y avait de talent et d'énergie en France. Au lieu de mettre la France entière en quarantaine et de soumettre chacun à ces purifications qu'on demande encore aujourd'hui, il fallait qu'une allégresse générale célébrât le retour du père de famille.. C'était le moyen de tout obtenir, même ce repentir, auquel attache tant de prix l'orgueil de ceux qui l'exigent.

«Mais le pardon ne sied pas à la faiblesse. Si les Français avaient seuls combattu des Français à Waterloo, si le 'panache blanc y avait vaincu le drapeau tricolore, alors seulement on aurait pu se permettre d'être généreux.

<«< Quant au duc d'Otrante, circonvenu, pressé de toutes parts, il s'était vu contraint d'envoyer au Roi sa démission peu de temps avant le renvoi de ses collègues. Il l'avait accompagnée d'une lettre qu'il me lut, et dans laquelle il parlait de son vote dans le procès de Louis XVI, de ses remords, et de sa situation dans le conseil de Louis XVIII, d'une manière noble et touchante. Le Roi fut quelques jours sans lui répondre, parce qu'il hésitait sur ce que l'on ferait de la personne de Fouché. Il lui écrivit enfin qu'il acceptait sa démission, mais qu'il comptait sur sa fidélité et que ses services, n'ayant pas cessé de lui être agréables, il l'avait nommé son ministre à Dresde.

<«< Fouché ne tarda pas à se mettre en route. Il eut, avant de partir, la consolation de voir M. de Talleyrand partager son sort. Grâce au ciel, je n'ai guère manqué à me rapprocher d'un homme puissant le jour où il penche vers sa ruine. Je le fais par instinct et par penchant. Au besoin, j'y serais encore porté par mon goût pour l'observation. C'est aux prises non seulement avec l'adversité, mais avec l'humiliation, qu'il

340.

FOUCHÉ A DRESDE.`

faut juger l'àme humaine. Avec une bonne santé et bien peu de courage, on se distrait de la pauvreté et d'un ambitieux chagrin; mais souffrir dans sa fierté et son amour-propre, perdre la considération fou l'estime dont on avait fait le but de tous ses travaux, se voir oublier de ce monde qu'on remplissait du fracas de sa renommée, voilà la pierre de touche, l'épreuve jusqu'à laquelle on doit suspendre son juge

ment.

« Fouché, je dois le dire, n'en sortit pas, à mes yeux, d'une manière commune. Il me parut sans dépit, sans amertume mème, contre ses collègues; il ressentait pourtant déjà l'ennui et la tristesse de l'exil, et envisageait sa position non pas seulement avec calme, mais avec une pleine liberté d'esprit, en homme habitué aux grandes affaires et familiarisé avec les plus tragiques vicissitudes. Je le voyais tendre encore toutes ses facultés à démêler quel serait notre avenir. Son pronostic était sombre sans doute, fasse le ciel qu'il ait été trompeur. »

FIN DU TOME PREMIER

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE PREMIER

Les Molé. Enfance de Mathieu-Louis Molé.

-

Il émigre

avec ses parents en Angleterre. — Retour en France. —
Première et deuxième arrestations de son père. — Mort
de son père sur l'échafaud. — Mathieu-Louis est empri-
sonné avec sa mère et ses deux sœurs. — Thermidor
leur rend la liberté. — Mort de sa sœur et de son oncle.
- Les difficultés de sa jeunesse. Son goût pour les
lettres. .

-

-

-

Pages.

[blocks in formation]

-

Analyse

fait paraitre des Essais de morale et de politique.
des Essais. Éloge du livre, par Joubert, Fontanes et
Chateaubriand. . .

-

CHAPITRE III

-

-

M. Molé renonce à la carrière des lettres pour la vie
publique. Raisons de ce changement. - Conversa-
tion avec Chateaubriand. — L'Empereur nomme M. Molė
auditeur au Conseil d'État. Première audience de
l'Empereur.- Conversation de M. Molé avec Napoléon.—
Jugements de Napoléon sur Montesquieu, Pitt et l'Angle-

-

« PreviousContinue »