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seur de la mer nous ont empêché de communiquer entre nous. Mouillées sur des fonds de roches, nos ancres et nos chaines se brisaient, et leur perte nous enlevait des ressources indispensables pour atteindre notre but. Tel navire n'avait plus qu'une chaîne et une ancre, et encore celle-ci privée d'une de ses pattes.

Nous ne pouvione d'ailleurs, songer à nous maintenir devant Mogador à la voile. La violence des courants et de la brise nous eût entraînés sous le vent, et nous aurions probablement perdu l'occasion d'agir. De plus, en faisant appareiller les vapeurs avec nous, ils auraient épuisé leur combustible; en les laissant seuls, ils étaient exposés à manquer de vivres et d'eau. Il fallait donc rester au mouillage.

Enfin, le 15, le vent s'apaisa; il ne resta plus de la tourmente des jours précédents qu'une grosse houle de N.N.-O.

Sachant combien les beaux jours sont rares dans cette saison et dans ces parages, je pris immédiatement toutes mes dispositions. Mais un nouvel accident vint encore entraver nos projets; le vent tomba complètement; nos navires, tourmentés par la houle, étaient ingouvernables, et je ne pouvais songer à employer les vapeurs pour conduire les vaisseaux à leur poste.

Les préparatifs hostiles qui se faisaient à terre prouvaient qu'on ne nous laisserait pas approcher aussi facilement qu'à Tanger.

Un seul boulet pouvait déranger les machines d'un bateau à vapeur, le forcer à s'arrêter, dans une position critique, d'où nous n'aurions pu le re tirer, et où il n'aurait pu se défendre. Les bateaux à vapeur étaient d'ailleurs une ressource à ménager précieusement pour retirer les vaisseaux d'un embossage sur des fonds de roches avec la houle et les courants partant en côte, et la certitude que, dès que le vent commencerait à s'élever, il soufflerait du large.

Enfin, dans l'après-midi du 15, une faible brise de nord-nord-ouest s'étant faite, nous en avons profité; l'escadre a mis à la voile.

J'avais communiqué à tous les capitaines un plan d'attaque, et assigné à chacun son poste; une fois le signal

d'exécution fait, je ne suis plus qu'un témoin occulaire qui tâche de se faire historien fidèle et de raconter avec une vive admiration et une profonde reconnaissance avec quel zèle, quel dévouement, quel intelligence de la part de tous, les ordres donnés ont été exécutés.

Les sondes de la ligne d'embossage avaient été exécutées en plein jour par le capitaine Maissin, du Gassendi, et le lieutenant de vaisseau Touchard, mon chef d'état-major.

Les trois vaisseaux sout d'abord ve nus au mouillage. Le Triton, capitaine Bellanger, en tête, conduisant l'escadre et s'avançant sous le feu de toutes les batteries ennemies, laissait tomber son arcre à 700 mètres de la place, sans riposter à ses coups. Venaient ensuite le Suffren et le Jemmapes.

Le Jemmapes et le Triton se sont placés en face des batteries de l'ouest de la ville, ce dernier prenant à revers les batteries de la marine. Le Suffren est venu prendre poste dans la passe du nord, battant d'écharpe les deux batteries de la marine et de front le fort rond situé sur un flot, à l'entrée de la passe, tandis qu'avec ses pièces de retraite il répondait à une batterie de l'ile, dont le feu d'enfilade l'incommodait.

Cet embossage délicat, sous le feu de l'ennemi, sans que personne de nous ait daigné y répondre, fait honneur aux capitaines qui l'ont exécuté.

Une fois placés, nous avons ouvert notre feu. Les batteries de la marine ont été vite abandonnées; mais celle de l'ouest, présentant une quarantaine de pièces bien abritées derrière des épaulements en pierre molle de plus de 2 metres d'épaisseur, a tenu fort longtemps. Le vaisseau le Jemmapes, capitaine Montagniès, qui était le point de mire de tous ses coups, a fini par en avoir raison, non sans une perte sérieuse causée par des obus bien dirigés. Vingt hommes tués et blessés à bord de ce vaisseau, parmi lesquels un jeune élève de grande espérance, M. Noël, mortellement atteint d'un éclat d'obus; des avaries graves dans la mâture, de nombreux boulets dans la coque attestent la résistance énergique des canonniers ennemis.

!

Une fois le feu des vaisseaux bien ouvert, ordre a été donné à la frégate la Belle-Poule, et aux bricks le Cassard, le Volage et l'Argus, d'entrer dans le port.

La fregate devait combattre les batteries de la marine, et les bricks celles de l'île.

La Belle-Poule et les bricks sont venus passer à poupe du Suffren. Le commandant Hernoux a conduit sa frégate au fond d'un cul-de-sac, où elle avait à peine son évitage, tirant d'un bord sur les batteries de la ville, et de l'autre sur celles de l'ile. De grosses carabines, placées dans les bunes, fusillaient à 600 mètres les canonniers de l'île.

L'effet de cette manoeuvre hardie a été tel, que les batteries de la marine ont été immédiatement désertées.

Les bricks sont allés mouiller en ligne devant les trois batteries qui protègent le débarcadère de l'île, et ont aussitôt engagé avec elles une lutte animée.

Enfin, voyant le feu se ralentir, j'ai fait entrer dans le port trois bateaux à vapeur : le Gassendi, le Pluton et le Phare. Ils portaient 500 hommes de débarquement, conduits par le capitaine de corvette Duquesne et le lieutenant-colonel Chauchard.

Ces bateaux à vapeur ont pris poste dans les créneaux de la ligne des bricks, joignant leur feu à celui de ces navires, pendant que la flottille de débarquement se formait. A cinq heures et demie, cette flottille s'est avancée sous une vive fusillade. On a sauté à terre avec enthousiasme, les hommes, blessés dans les canots s'élançant des premiers, et, gravissant à la course un talus assez raide, on a enlevé la première batterie. C'est là qu'on s'est rallié. Le second maître, Toche, du Phare, y est entré le premier et a arboré le pavillon français.

De cette batterie, deux détachements conduits, l'un par le lieutenantcolonel Chauchard, l'autre par le capitaine du génie Coffinières, sont partis pour faire le tour de l'île et débusquer 3 à 400 Marocains des postes qu'ils occupaient dans les maisons et les batteries.

On les a poussés ainsi jusqu'à une mosquée où un grand nombre d'entre

eux s'étaient réfugiés. La porte enfon. cée à coups de canon, on s'est précipité en avant. La résistance a été vive; un officier d'artillerie, M. Pottier, jeune homme plein de mérite, a été tué; plusieurs officiers ont été blessés : le capitaine de corvette Duquesne, le lieutenant de vaisseau Coupvent-desBois, le sous-lieutenant des Pallières.

On était engagé sous des voûtes obscures, au milieu d'une fumée épaisse qui empêchait de rien voir. Cependant les hommes de l'Argus et du Pluton persistaient à vouloir y pénétrer. Je jugeai que nous perdrions là beaucoup de monde inutilement; je les fis retirer. On cerna la mosquée, et, la nuit étant survenue, on fit bivouaquer les troupes.

Le lendemain, au jour, 140 hommes se rendirent. Nous avons ramassé sur l'ile près de 200 cadavres.

L'ile prise, et le feu de la ville complétemeut éteint, je donnai l'ordre à l'Asmodée de venir retirer les vaisseaux de la côte, ce qui se fit pendant la nuit.

Le temps était beau; je gardai la Belle-Poule dans la passe. Elle continua pendant toute la nuit à tirer du. canon sur les batteries de la marine, pour les empêcher d'être réoccupées.

Le 16, les bateaux à vapeur l'Asmodée, le Pluton, le Gassendi, et les bricks le Cassard et le Pandour, vin. rent s'embosser de chaque côté de la langue de sable sur laquelle s'élèvent les forts de la marine, dont je voulais me rendre maitre; leur feu croisé coupait les communications de la ville avec ses forts.

Sous cette protection, le commandant Hernoux et le capitaine Ed. Bouet conduisirent une colonne de 600 hommes de débarquement. Mais tout avait été déserté à notre approche, et la descente s'opéra sans résistance. Il ne restait plus qu'à achever l'œuvre de destruction que le canon avait commencée la veille.

Toutes les pièces enclouées, jetées à bas des remparts, les embrasures dé. molies, les magasins à poudre noyés, enfin trois drapeaux et neuf à dix canons de bronze enlevés comme trophées, tel a été le résultat de la journée.

J'ai laissé intacts les vastes magasins

de la douane, pleins de marchandises de toutes espèces; il aurait failu les brûler, et je craignais que le feu ne gagnât trop vite d'immenses approvisionnements de poudre et de bombes réparties dans les casemates des forts. Après cette opération, j'ai renvoyé les troupes et les équipages. Nous étions maîtres de l'île, du port; les batteries de la ville n'étaient plus à craindre; j'ai considéré notre opération comme terminée.

Après notre départ, la ville, restée sans défense, a été prise par les Kabyles de l'intérieur, qui y ont le feu. Depuis quatre jours, le sac de cette malheureuse ville est complet; les ha bitants ont fui dans toutes les directions.

Dans quelques jours, il ne restera plus de la belle Souerah, que MuleyAbd-er-Rhaman appelait sa ville chérie, que des murailles criblées de boulets et noircies par le feu.

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P. S. Le 23 août, notre établissement sur l'ile était terminé; j'ai ren voyé à Cadix une partie de l'escadre.

Dans la journée, un coup de canon fut tiré d'une des tours de la ville donnant sur la campagne, et le boulet étant venu tomber au milieu de nous dans le port, nous avons fouillé avec des obus les maisons qui avoisinent cette tour; puis j'ai envoyé M. le lieutenant de vaisseau Touchard, mon chef d'état-major, avec 160 bommes, planter des échelles au pied de la tour.

On y est monté sans aucune opposition, et on a encloué les derniers canons qui pouvaient battre sur nous. Du haut de la tour on plongeait dans la

ville, qui semblast déserte et horriblement dévastée.

Cette opération, qui n'était pas d'une absolue nécessite, a eu l'avantage de montrer à la garnison de l'ile, qu'avec ses seules forces et les ressources de la station locale, on tient la ville completement à merci.

Convention conclue à Tanger le 10 septembre 1844, entre S. M. le roi des Français et S. M. l'empereur de Maroc, roi de Fez et de Suz (les rectifications ont été échangées le 26 octobre 1844).

çais (1), d'une part, et Sa Majesté Sa Majesté l'empereur des Franl'empereur de Maroc, roi de Fez et de Suz, de l'autre part, désirant régler et terminer les différends survenus entre la France et le Maroc, et rétablir, conformément aux anciens traités, les rapports de bonne amitié qui ont été un instant suspendus entre les deux empires, ont nommé et désigné pour leurs plénipotentiaires,

le sieur Antoine-Marie-Daniel Doré Sa Majesté l'empereur des Français, de Nion, officier de la Légion-d'Honbelle-la-Catholique, chevalier de 4 neur, chevalier de l'ordre royal d'Isaclasse de l'ordre grand-ducal de Louis de Hesse, son consul général et chargé d'affaires près Sa Majesté l'empereur de Maroc, et le sieur Louis-CharlesElie Decazes, comte Decazes, duc de Glüksberg, chevalier de l'ordre royal de la Légion d'Honneur, Commandeur de l'ordre royal de Danebrog et de l'ordre royal de Charles 1II d'Espagne, chambellan de S. Majesté l'empereur des Français près Sa Majesté l'empereur de Maroc;

Ei Sa Majesté l'empereur de Maroc, roi de Fez et de Suz, l'agent de la cour très élevée par Dieu Sid-BouSelam Ben-Ali;

Lesquels ont arrêté les stipulations suivantes:

(1) Dans tous les actes politiques passés avec les princes mahométans, il est d'usage depuis François 1er, que les rois prennent le titre d'empereur.

ARTICLE 1. Les troupes marocaines réunies extraordinairement sur la fron tière des deux empires, ou dans le voi sinage de ladite frontière, seront licenciées.

Sa Majesté l'empereur de Maroc 'engage à empêcher désormais tout assemblement de cette nature. Il estera seulement, sous le commanlement du caid de Ouchda, un orps dont la force ne pourra excéder abituellement 2,000 hommes. Ce ombre pourra, toutefois, être augnenté, si des circonstances extraordiaires et reconnues telles par les deux gouvernements le rendaient nécessaire lans l'intérêt commun.

ART. 2. Un châtiment exemplaire era inflige aux chefs marocains qui ɔnt dirigé ou toléré les actes d'agresion commis en temps de paix sur le erritoire de l'Algérie contre les roupes de Sa Majesté l'empereur des Français. Le gouvernement marocain era connaître au gouvernement français les mesures qui auront été prises Dour l'exécution de la présente clause.

ART. 3. Sa Majesté l'empereur de Maroc s'engage de nouveau, de la nanière la plus formelle et la plus absolue, à ne donner, ni permettre qu'il soit donné, dans ses Etats, ni Assistance, ni secours en armes, munitions ou objets quelconques de guerre, à aucun sujet rebelle ou à aucun ennemi de la France.

ABT. 4. Hadj Abd-el-Kader est mis nors la loi dans toute l'étendue de Maroc, aussi bien qu'en Algérie.

Il sera, en conséquence, poursuivi à main armée par les Français sur le territoire de l'Algérie, et par les Marocains sur leur territoire, jusqu'à ce qu'il en soit expulsé ou qu'il soit tombé au pouvoir de l'une ou de l'autre nation.

Dans le cas où Abd-el-Kader tomberait au pouvoir des troupes fran. çaises, le gouveernement de Sa Majesté l'empereur des Français s'engage à le traiter avec égards et générosité.

Dans le cas où Abd-el-Kader tomberait au pouvoir des troupes marocaines, Sa Majesté l'empereur de Maroc s'engage à l'interner dans une des villes du littoral ouest de l'empire, jusqu'à

ce que les deux gouvernements alent adopté, de concert, les mesures indispensables pour qu'Abd-el-Kader ne puisse en aucun cas reprendre les armes et troubler de nouveau la tranquillité de l'Algérie et du Maroc.

ART. 5. La délimitation des frontières entre les possessions de Sa Majesté l'empereur de Maroc reste fixée et convenue, conformément à l'état des choses reconnu par le gouvernement marocain à l'époque de la domination des Turcs en Algérie.

L'exécution complète et régulière de la présente clause fera l'objet d'une convention spéciale, négociée et conclue sur les lieux entre le plénipotentiaire désigné à cet effet par Sa Majesté l'empereur des Français et un délégué du gouvernement marocain. Sa Majesté l'empereur de Maroc s'engage à prendre, sans délai, dans ce but, les mesures convenables et à en informer le gouvernement français.

ART. 6. Aussitôt après la signature de la présente convention, les hostilités cesseront de part et d'autre ; dès que les stipulations comprises dans les articles 1, 2, 4 et 5, auront été exécútées à la satisfaction du gouvernement français, les troupes françaises évacueront l'île de Mogador, ainsi que la ville de Ouchda, et tous les prison. niers faits de part et d'autre seront mis immédiatement à la disposition de leurs nations respectives.

ART. 7. Les bautes parties contractantes s'engagent à procéder, de bon accord, et le plus promptement possible, à la conclusion d'un nouveau traité qui, basé sur les traités actuellement en vigueur, aura pour but de les consolider et de les compléter, dans l'intérêt des relations politiques et commerciales des deux empires.

En attendant, les anciens traités seront scrupuleusement respectés et observés dans toutes leurs clauses, et la France jouira, en toute chose et en toute occasion, du traitement de la nation la plus favorisée.

ART. 8. La présente convention sera ratifiée, et les ratifications en seront échangées dans un délai de deux mois, ou plus tôt, si faire se peut.

Cejourd'hui, le 10 septembre de l'an de gråce mil huit cent quarante-quatre (correspondant au 25 du mois de

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Le gouvernement de Montevideo, pour prolonger son existence, a adopté un système de terreur sur la popula tion de cette ville.

De part et d'autre, ceux de la ville et ceux du camp, toujours sous le prétexte de représailles et de réciprocités à l'égard des prisonniers, agissent de la manière la plus barbare.

Des familles du parti d'Oribe, ayant des parents servant avec ce général, ont été expulsées de la ville, dont aujourd'hui bien des gens de tous les partis cherchent à se retirer.

Les sorties et les guérillas entre les avant-postes de l'armée d'Oribe et ceux de la garnison ont toujours lieu; mais ces rencontres sans résultat sont rarement meurtrières.

On ne parle plus de Rivera. Dans ce moment, on le croit sur les frontières du Brésil, poursuivi par Urquiza dont l'armée tient aussi en échec les lieutenants de Rivera et leurs différents corps, entre Maldonado et le Rio-Negro.

Le 15, l'amiral Brown est revenu prendre son mouillage devant la ville avec trois de ses navires; le 16, il a de nouveau notifié le blocus, et le 19, il a été mouiller près de la pointe Brava,

pour se trouver probablement sur la route des navires venant de Maldonado. port qui est aussi bloqué.

Extraits d'une lettre particulière de M. le vice-amiral Massieu à M. le • ministre de la marine.

Gloire, Montevideo, 9 nov. 1843.

On ne saurait le nier, ce sont toujours les mêmes hommes, qui, vou. lant à toute force jouer un rôle dans ce pays au risque de compromettre leurs compatriotes et de les entraîner dans de mauvaises affaires, reparaissent en toute circonstance pour faire opposition à ce que veut le gouverne. ment français. Par exemple, la néces sité de s'armer qu'ils ont mise en avant pour entraîner une partie de la popu lation, est un faux prétexte, car toute garantie, toute sûreté avait été promise à ceux qui, au nom d'une centaine de signataires, sont venus s'adresser au chef de la station, quand ils auraient dû faire parvenir cette réclamation par le consul,- Effectivement peut-on ob. tenir des garanties plus larges et plus complètes que celles qui nous ont été données par Oribe et qui nous étaient assurées depuis longtemps? mais les meneurs ne voulaient ni promesses ni garanties; ils voulaient que tout füt

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