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nécessaire des maximes les plus élémentaires du droit public appliqué aux rapports, internationaux. Mais en Angleterre, pays de liberté et de discussion, les choses n'avaient pu se passer de même; le gouvernement anglais n'avait pas dans ses mains les moyens d'empêcher les scènes de Belgrave-Square. Tout ce que la reine avait pu faire, c'était de ne recevoir ni en public, ni en particulier le duc de Bordeaux, et de témoigner au gouvernement français son profond déplaisir, sa profonde réprobation pour des faits qu'elle ne pouvait empêcher. Pour le refus de réception la reine avait agi spontanément en vertu de son amitié pour la France; quant à la communication officielle, elle avait été faite en réponse aux représentations de la France.

Après cette exposition de la conduite du gouvernement envers le prétendant, et une critique sévère des scènes de Belgrave-Square, qualifiées de scandaleuses, M. Guizot déclarait qu'elles n'avaient point de gravité politique.

Il n'y a, messieurs, disait-il, il n'y a dans ces faits-là, pour nous, pour le gouvernement du roi, aucun danger. Le gouvernement du roi repose sur une base trop large et trop sûre, il est trop profondément identifié avec tous les grands intérêts, tous les grands sentiments nationaux, pour qu'il 'soit au pouvoir de qui que ce soit de le mettre réellement en danger, - l'expérience de ce qui s'est passé en France depuis treize ans ne permet à personne d'en douter. Nous avons surmonté d'autres périls que ceux qui pouvaient nous venir de Belgrave-Square. Nous avons, comme votre adresse ledit, vaincu tour à tour toutes les factions tantôt séparées, tantôt réunies. Nous les avons vaincues, non pas par notre mérite, non pas par notre vertu supérieure, mais par le mérite, par la vertu de la position nationale du gouvernement du roi, par sa force intime et propre que rien au monde ne peut lui enlever. »

Et d'ailleurs, que pouvait-on craindre en considérant l'état inférieur du parti légitimiste lui-même ? Qu'avait-on vu à Belgrave-Square? Mille individus, deux mille peutêtre, poussés là, pour la plupart, par un mouvement de mode momentanée, sans vraie passion, sans vraie convic

tion politique. Les réunions y avaient été aussi frivoles que bruyantes. Quant aux autres, croyait-on qu'ils n'eussent pas déploré ce qui se passait à Londres ? Ce parti était composé d'éléments bien différents : il y avait des insensés, des étourdis, des brouillons; il y avait aussi des hommes sensés, éclairés, honorables, qui, tout en gardant fidélité à leurs sentiments, à leurs traditions, savaient respecter le gouvernement de leur pays.

Pourquoi donc s'occuper de faits qui n'avaient aucun danger?

• Pourquoi, répondait M. Guizot? Parce qu'il y a dans ce monde, pour les gouvernements et pour les pays qui se respectent autre chose que le danger; parce que ce ne sont pas seulement des questions d'existence qu'ils ont à traiter. Le scandale est une grande affaire pour les gouvernements et les pays qui se respectent. Eh bien! il y a eu ici un scandale immense; il y a eu scandale politique et moral; il y a eu un oubli coupable et quelquefois honteux des premiers devoirs du citoyen.Oui, des premiers devoirs du citoyen! On n'a pas besoin d'occuper telle ou telle situation particulière, on n'a pas besoin d'avoir prêté tel ou tel serment pour devoir obéissance et soumission aux lois et au gouvernement de son pays. Cette obéissance, cette soumission, c'est la première base de la société, c'est le premier lien de l'ordre social; et quand on voit ce devoir aussi arrogamment, aussi frivolement méconnu, il y a, je le répète, pour tout le monde, sous toutes les formes de gouvernement, un scandale immense, un profond désordre social. Des hommes, pour échapper aux lois de leur pays, s'en vont abuser des libertés étrangères; ils vont faire dire à un gouvernement étranger, à un gouvernement libre : « Je n'ai aucun moyen légal de réprimer de pareilles scènes ; mais ce sont des désordres scandaleux qui, si nous ne nous connaissions pas comme nous nous connaissons, si nous ne savions pas quels sont nos sentiments réciproques, pourraient compromettre les bons rapports des deux pays, des deux gouvernements. » Voilà ce qu'on a fait dire au gouvernement anglais. Oui, il y a là un scandale immense dont les gouvernements (et les gouvernements libres plus que les autres) doivent s'inquiéter beaucoup, et qu'ils doivent réprimer au moins par une réprobation formelle, par un blâme sévère, en annonçant que si de pareils désordres, de semblables démonstrations devenaient des manœuvres criminelles, les pouvoirs de l'État sauraient les déjouer.

Enfin, il fallait s'occuper de ces faits, ne fût-ce que pour

protéger les légitimistes sensés contre les brouillons du parti, pour prévenir tout ce qui pouvait rappeler le souvenir de nos discordes civiles, et réveiller des sentiments contraires à la paix publique et aux bons rapports des citoyens entre eux.

La suite du débat n'offrit plus aucun incident remarquable. Il nous reste cependant à constater une déclaration de M. Guizot sur les négociations entreprises à Londres pour la révision des traités de 1831 et 1833. Il demeura constant, d'après les paroles du ministre, que le gouvernement anglais admettait l'examen des modifications que les traités pourraient subir. C'est tout ce que l'intérêt de la négociation lui permettait de dire actuellement à la Chambre.

Signalons enfin l'adoption du paragraphe annuel pour la nationalité polonaise et quelques observations sur le paragraphe relatif à l'instruction secondaire, d'où il résulta que la commission, en modifiant dans sa réponse au roi les paroles du discours de la couronne, n'avait pas eu l'intention d'en modifier le sens, au moins sérieusement.

Le scrutin sur l'ensemble du projet donna 115 boules blanches contre 14 boules noires (8 janvier).

Le 10 janvier la députation de la Chambre fut appelée à présenter son adresse au roi: on remarqua dans le discours de Sa Majesté cette phrase sur la question qui avait le plus occupé la pairie dans sa récente discussion. « Au dedans, comme vous le dites, l'empire des lois est bien établi, les factions sont vaincues et de vaines démonstrations de leur part ne feraient que constater leur impuis

sance. >>>

Chambre des députés. La discussion de l'adresse fut longue et animée dans cette enceinte. Le projet rédigé par M. Saint-Marc-Girardin, rapporteur de la commission, fut présenté à la Chambre le 12 janvier. La commission approuvait les paroles royales sur la prospérité du pays, tout en exprimant le vœu que l'agriculture fût encouragée dans

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ses progrès et dans ses efforts; elle félicitait le roi du maintien de la paix, qui s'affermissait par sa durée même. Cette paix avait pour fondement l'intérêt de la civilisation et le respect des traités, « de ces traités, ajoutait-elle, dont nous continuons à revendiquer la protection pour une nation malheureuse que l'espérance n'abandonne point, parce qu'elle a foi en la justice de sa cause. » Au paragraphe relatif à l'état des relations entre la France et l'Angleterre la commission appliquait les mots de sincère amitié pour caractériser les rapports des souverains des deux pays, et ceux d'accord de sentiments, pour caractériser les rapports des deux gouvernements dans les événements de l'Espagne et de la Grèce. Elle espérait que cet accord aiderait au succès des négociations qui, en garantissant la répression d'un infâme trafic, devaient tendre à replacer notre commerce sous la surveillance exclusive de notre pavillon. Enfin, plus énergique que la Chambre des pairs dans l'expression de ses sentiments dynastiques, elle terminait son projet par ces paroles :

• Oui, sire, votre famille est vraiment nationale. Entre la France et vous l'alliance est indissoluble. Vos serments et les nôtres ont cimenté cette union. Les droits de votre dynastie demeurent places sous l'impérissable garantie de l'indépendance et de la loyauté de la nation. La conscience publique slétrit de coupables manifestations: notre révolution de juillet, en punissant la violation de la foi jurée, a consacré chez nous la sainteté du serment. »

Les débats s'ouvrirent, le 15 janvier, par un discours de M. Berryer, qui demanda la parole pour un fait personnel. L'honorable orateur dit qu'il était impossible aux députés désignés dans le dernier paragraphe de l'adresse, de rester plus longtemps sans donner des explications à la Chambre. Il essaya de prouver que sa conduite et celle de ses collègues légitimistes avait pour but de substituer dans les événements politiques les moyens légaux d'opposition aux

moyens violents, et que c'était dans ce but qu'ils étaient allés à Londres. Mais fréquemment interrompu par des mouvements d'improbation ou d'hilarité, trop peu maître de lui-même pour trouver ses anciens et habituels effets d'éloquence, M. Berryer renonça à la parole et descendit de la tribune.

M. Guizot profita habilement de la situation, et avec une loyauté inspirée par le sentiment de sa force et de l'embarras de l'orateur légitimiste, il invita M. Berryer à croire que les mouvements qui l'avaient frappé ne s'adressaient ni à lui, ni à ses paroles, ni à la situation dans laquelle il s'était placé. La Chambre, ajouta M. le ministre, écoutait l'orateur avec un sentiment vif, impatient peut-être, mais attentif et sérieux, et celui qui était accoutumé à lutter même contre les impressions les plus défavorables, celui qui avait donné de son talent et de son courage tant et de si glorieux exemples, ne pouvait rien trouver dans les sentiments de la Chambre qui l'appelât à descendre de la tribune. M. Berryer se rendit à cette invitation qui lui semblait donner aux débats toute leur importance. L'orateur déclara que ses collègues et lui étaient allés à Londres pour dire la vérité tout entière, la vérité sur l'état du pays, la vérité sur la ruine entière de tout ce qui dans le passé n'est que poussière et qui ne peut plus se ranimer; la vérité sur la nécessité de n'admettre rien en France, de ne rien entreprendre désormais que par la volonté nationale; la vérité sur le droit qu'a tout homme qui vit en France, qui s'y sent de l'intelligence et du cœur, de diriger les affaires et de défendre les intérêts de son pays. Aucune pensée de désordre ne s'était mêlée aux hommages que les légitimistes étaient allés porter à M. le duc de Bordeaux. M. Berryer ajoutait, en terminant, quelques mots sur le serment: «Vous nous parlez, disait-il, de la sainteté du serment. Nous y croyons, nous la comprenons comme vous; mais nous mesurons, avant de prêter un serment, l'étendue de l'engagement que

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