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qu'il avait fait prévaloir. Aujourd'hui le passé lui garantissait encore l'avenir, et les dangers de la succession écartaient les prétentions inquiétantes et les ambitions sérieuses. Aussi longtemps que sa retraite pourrait être le signal d'un changement violent dans la politique de la France, aussi longtemps que la paix semblerait garantie par son existence, le Cabinet, dirigé par M. Guizot, devait rencontrer sur sa route plus de défiances que de résistances ouvertes, plus d'obstacles cachés que d'agressions hardies, plus de curiosité que de colère. A ne considérer que la haute position de quelques-uns de ses membres, que l'incontestable talent de son chef moral, cette, lutte engagée entre un système et ses conséquences pourrait être habilement prolongée et ne se terminerait sans doute que par les complications qu'entraîne l'exagération des saines doctrines comme l'exagération des mauvaises, l'excès de la modération comme l'excès de l'imprudence.

Telle était la situation lorsque, le 27 décembre 1843, eut lieu l'ouverture de la session des Chambres législatives.

Le premier paragraphe du discours royal renfermait un tableau rassurant de la situation intérieure. Au sein de l'ordre maintenu sans effort, la France déployait avec confiance sa féconde activité : la condition de toutes les classes de citoyens s'améliorait et s'élevait. Les effets de cette prospérité permettraient de rétablir entre les dépenses et les revenus de l'État, dans les lois de finances qui seraient incessamment présentées, un équilibre justement désiré.

Cet optimisme du ministère était-il suffisamment justifié par les faits, et ne s'était-on pas abandonné à quelques illusions sur les effets d'une prospérité exagérée ? Cet équilibre si hautement annoncé était-il sérieux, et ne devait-il pas disparaître sous le poids des crédits supplémentaires? Telles étaient les questions que devait bientôt soulever la discus sion dans les Chambres et auxquelles les faits ne tarderaient pas à répondre.

On pouvait jouir avec sécurité de ces biens de la paix, ajoutait le discours royal, car elle n'avait jamais été plus assurée; puis, passant en revue les points les plus importants de la politique extérieure, S. M. continuait ainsi :

• Des événements graves sont survenus en Espagne et en Grèce. La reine Isabelle II, appelée si jeune au fardeau du pouvoir, est en ce moment l'objet de toute ma sollicitude et de mon intérêt le plus affectueux. J'espère que l'issue de ces événements sera favorable à deux nations amies de la France, et qu'en Grèce comme en Espagne la monarchie s'affermira par le respect mutuel des droits du trône et des libertés publiques. »

Ces sages et dignes paroles devaient produire une sensation moins profonde que le paragraphe relatif aux relations de la France et de la Grande-Bretagne. L'alliance anglaise était proclamée d'une façon qui parut trop personnelle et que ne justifiaient pas peut-être les événements. Le Roi y disait :

y

• La sincère amitié qui m'unit à la reine de la Grande-Bretagne, et la cordiale entente qui existe entre mon gouvernement et le sien me confirment dans cette confiance. »

L'annonce du mariage du prince de Joinville avec la princesse Françoise, sœur de l'empereur du Brésil et de la reine du Portugal, devait être accueillie par les Chambres et par le pays avec une sympathie toute pleine d'espé

rances.

Le discours royal renfermait encore une grave manifestation, attendue avec confiance par tous les esprits sages et modérés qui, respectant dans la religion catholique un culte reconnu et protégé par les lois du pays, voient avec douleur quelques représentants égarés de cette religion compromettre dans des luttes regrettables leur pacifique caractère et menacer une des forces vives de l'État de leurs ambitions renaissantes.

Un projet de loi sur l'instruction secondaire satisfera au vœu de la Charte pour la liberté d'enseignement, en maintenant l'autorité et l'action de l'État sur l'éducation publique (sensation vive et prolongée. Interruption et marques universelles d'assentiment). »

Le Roi terminait par ces remarquables paroles :

« Je contemple, messieurs, avec une profonde reconnaissance envers la Providence, cet état de paix honorable et de prospérité croissante dont jouit notre patrie. Toujours guidés par notre dévouement et notre fidélité à la France, nous n'avons jamais eu, moi et les miens, d'autre ambition que de la bien servir. C'est l'assurance d'accomplir ce devoir qui a fait ma force dans les épreuves de ma vie, et qui fera jusqu'à son dernier terme ma consolation et mon plus ferme soutien (vives acclamations et cris prolongés de Vive le roi!) »

La constitution des bureaux des deux Chambres fut, comme on pouvait s'y attendre, favorable au ministère. A la Chambre des députés M. Sauzet fut continué à la présidence malgré une division marquée de la majorité conservatrice. MM. Bignon, Debelleyme, Lepelletier-d'Aunay et Salvandy furent nommés vice-présidents. Ces travaux préliminaires étaient terminés le 30 décembre.

L'installation du président de la Chambre des députés fut l'occasion d'un incident regrettable. Avant de céder le fauteuil à M. Sauzet, le président d'âge, c'était l'honorable M. Laffitte, crut devoir dans le discours d'usage s'écarter des règles ordinaires qui commandent au président, même provisoire, le calme et l'impartialité. Dans une allocution pleine de conseils irritants adressés à l'opposition, pleine de prévisions sinistres et de rancunes mal déguisées, M. Laffitte se fit, devant la Chambre étonnée, l'organe prématuré des accusations ordinaires de la minorité. Accueilli par des murmures mérités, M. Laffitte descendit de la tribune, et, lorsque M. Sauzet proposa de voter, suivant les pratiques reçues, des remerciments au bureau provisoire, quelques réclamations s'élevèrent: mais la majorité pensa

qu'un fait isolé, quoique fàcheux, ne méritait pas une dérogation aux usages de la Chambre, et les remerciments furent votés.

Chambre des Pairs. Le 8 janvier, M. de Broglie, rapporteur de la commission de l'adresse, donna lecture du projet de réponse au discours de la couronne. Le projet se réjouissait avec le roi de la prospérité du pays; il effleurait avec délicatesse et fermeté les principales difficultés de la situation. Au parti légitimiste il disait : « Les factions sont vaincues et les pouvoirs de l'État, en dédaignant leurs vaines démonstrations, auront l'œil ouvert sur leurs manœuvres criminelles. » Il approuvait les paroles royales sur la paix extérieure et sur la question de l'alliance anglaise. Il répondait aux mots d'entente cordiale par ceux d'amitié sincère et d'heureuse intelligence. Il ajoutait qu'en présence des événements qui s'accomplissaient en Espagne et en Grèce, cet accord était désirable, et il exprimait le vœu que, par l'effet de cette politique désintéressée, la royauté pût chez ces nations amies trouver, dans son alliance avec les libertés publiques, un principe nouveau de force et d'ascendant. Après un paragraphe peu significatif sur les traités de commerce conclus ou projetés venaient quelques paroles assez claires sur la question de l'enseignement secondaire : « La liberté de l'enseignement, disait le projet, est le vœu de la Charte; l'intervention tutélaire de l'État dans l'éducation publique est le besoin de la société.» Enfin, le projet adressait des remerciments au roi pour le courage que deux de ses fils déployaient en Algérie, et par le sentiment dynastique qui inspirait les paroles de la commissson, clle se trouvait de nouveau placée en face du souvenir de Belgrave-Square; aussi faisait-elle en terminant une nouvelle allusion à la conduite des partisans de la dynastie déchue.

Le roi en montaut au trône a promis, disait-elle, de nous consacrer son existence tout entière, de ne rien faire que pour la gloire et le bonheur de

la France; la France lui a promis fidélité. Le roi a tenu ses serments: Quel français pourrait oublier ou trahir les siens?.

La discussion suivit immédiatement la lecturé du projet d'adresse. M. de Richelieu, qui était allé à Belgrave-Square, prit la parole pour ôter à son voyage tout caractère politique; il s'étudia à établir que dans cette démarche il n'avait été inspiré que par la reconnaissance. L'orateur ne pensait pas qu'il fût de sa dignité de s'expliquer sur les expressions de manœuvres criminelles ailleurs que devant une Cour des pairs. Le ministère ne jugea pas encore nécessaire de répondre. Mais, provoqué par quelques paroles de M. de Vérac, qui avait voulu rendre aux manifestations de BelgravéSquare leur signification politique, et qui avait été jusqu'à parler à la Chambre étonnée des « droits du royal enfant, héritier du trône par sa naissance et par la Charte, » M. Guizot ne crut pas devoir plus longtemps taire la pensée du gouvernement.

Le ministre des affaires étrangères commença par déclarer que le gouvernement, malgré sa tolérance et sa longanimité, n'avait pas négligé de remplir les devoirs que la Chambre lui rappelait aujourd'hui, il n'avait pas prétendu exercer sur les démarches d'un prince exile une surveillance inquiète et tracassière: mais quand sa présence dans l'une des capitales de l'Europe avait paru avoir l'une de ces deux conséquences, ou de fausser, d'embarrasser la situation du représentant du roi, où de fournir un encouragement à des passions, à des espérances criminelles, le gouvernement avait déclaré qu'il ne pouvait accepter cette situation, et que, si elle se prolongeait, la présence simultanée du représentant du roi dans le même lieu ne lui paraîtrait ni convenable, ni possible. C'est ce qui avait été dit en 1841, à Vienne; en 1842, à Dresde; en 1843, à Berlin; et partout cette déclaration avait été accueillie comme parfaitement sage, naturelle, légitime, comme la conséquence

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