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missibles aux emplois publics, et deux intérêts considérables se trouvaient ici en présence: d'un côté, l'intérêt de l'État, qui est d'étendre le plus possible le nombre de ses membres, et d'attirer à soi, le plus possible, tous les individus Grecs par l'origine, par la langue, par la religion et par le cœur, dispersés dans l'empire turc, et portés à se rapprocher du centre de leur nationalité; de l'autre, l'intérêt particulier des indigènes, des Autocthones, qui, recourant aux emplois publics comme à un des meilleurs moyens de vivre dans un pays où il y a encore si peu de voies ouvertes à l'activité, au travail, au talent, doivent tendre à rêstreindre la concurrence qui leur est faite dans cette carrière déjà encombrée des emplois publics. L'article 3 devait donc être l'objet de vifs débats et de luttes passionnées.

Un des membres de la commission, M. Chalchiopoulos, commença par déclarer qu'elle avait longuement délibéré sur la question de savoir si elle déterminerait les conditions requises pour être citoyen grec, et qu'elle avait jugé la chose nuisible; les anciennes constitutions n'en parlaient pas; d'ailleurs la qualité de citoyen ne pouvait s'acquérir toujours de la même manière ; si la constitution eût pris sur elle de régler dès aujourd'hui ces conditions, une assemblée nationale pourrait seule les changer; la commission n'avait pas voulu préjuger l'avenir.

Alors il fut présenté à l'assemblée des pétitions et des amendements en nombre considérable sur la question débattue; la plupart avaient pour objet d'exclure des emplois publics tous ceux qui sont arrivés en Grèce postérieurement à 1827 et 1828; un autre proposait d'y admettre seulement les indigènes, ceux qui ont pris part à la guerre d'indépendance jusqu'en 1827, ceux qui ont émigré de la Turquie pour s'établir en Grèce, conformément aux protocoles, et tous ceux qui se sont fait naturaliser légalement, L'avis général semblait être de laisser de côté la discussion

des qualités requises pour être citoyen, et de se borner à déterminer les conditions de l'admission aux emplois.

Mais les grands esprits de l'assemblée, les hommes généreux et clairvoyants, les chefs du pays, s'indignaient des pensées d'exclusivisme et des idées étroites qui dirigeaient la conduite du parti indigène.

M. Rendy les combattit le premier avec beaucoup de talent; il leur reprocha de circonscrire les faits du passé et les intérêts de la race hellénique dans les limites de la Grèce affranchie, de considérer l'œuvre commencée en 1821 comme accomplie, et la révolution grecque comme achevée. Si c'était là l'opinion de l'assemblée, il n'y avait qu'à prononcer l'exclusion de tous les étrangers; cette décision serait conséquente, et pour lui indigène, né d'une famille indigène, il n'y avait rien là qui ne fût dans ses intérêts. Mais sa conscience lui imposait d'autres convictions.

◄ Permettez-moi, disait-il, de vous rappeler que la grande idée qui a présidé à notre révolution, qui l'a vivifiée, qui a déterminé la reconnaissance par l'Europe, par le sultan lui-même, de la nationalité grecque, embrassait dans une communauté d'intérêt et d'amour fraternel toute la race hellénique, toute la chrétienté d'Orient! Fidèles interprètes de ces idées généreuses, les représentants du peuple à l'assemblée de Trézène proclamèrent que, pour être citoyen grec, il suffisait de croire en J.-C. et de venir se fixer en Grèce ! Je vénère les traditions sacrées que nous a laissées l'Ethérie, traditions d'ardent et de large patriotisme. Voilà pourquoi je m'élève aujourd'hui contre les idées exclusives... Je vote pour que l'assemblée n'établisse aucune différence entre les indigènes et les chrétiens de l'extérieur qui gé missent encore sous le joug ottoman, et qu'elle garde religieusement la pensée nationale exprimée par les députés du peuple à Trezène. Mais je demande en même temps que les procès-verbaux fassent mention de ce que je vais exprimer, savoir que les chrétiens des provinces turques ne sont admis à jouir parmi nous des droits de citoyen qu'à la condition de n'oublier jamais qu'ils sont tous tenus de travailler sans relâche à l'affermissement de leur patrie. C'est vous dire assez que je n'admettrai jamais que la révolution grecque soit terminée et que la Grèce est libre, tant que la croix n'aura pas repris sur le dôme de Sainte-Sophie la place glorieuse que la barbarie

orientale et l'indifférence de la chrétienté d'Occident ont donnée au croissant de Mahomet. »

Ce discours fut suivi d'une grande agitation, et l'assemblée décida qu'il serait fait mention dans les procès-verbaux de la proposition de l'orateur, mais sans oser permettre qu'il y fût question des considérations sur lesquelles il l'avait appuyée.

L'émotion de l'assemblée devait s'accroître encore aux mâles accents de M. Jean Colettis, le plus énergique représentant de la nationalité hellénique.

« Messieurs, dit-il, lorsque je me rappelle l'heure où j'ai prêté serment de coopérer à l'œuvre de la régénération de la Grèce, mon cœur tressaille. J'ai juré, et vous aussi, messieurs, vous avez juré, comme moi, de tout sacrifier, fortune, amis, parents, jusqu'à la vie même, pour l'indépendance de notre patrie comme pour l'affranchissement de toute la chrétienté d'Orient! Un grand nombre de ceux qui ont prêté ce serment solennel vivent encore; le moment est venu de nous le rappeler aujourd'hui que nous sommes réunis dans cette enceinte pour donner à la Grèce son évangile politique.

» La Grèce, messieurs, placée entre l'Orient et l'Occident, comme pour leur servir de lien, doit à sa position géographique son passé et le grand avenir que vous ne devez jamais perdre de vue; cet avenir qui doit surtout vous préoccuper lorsque les représentants des Grecs sont appelés à prendre une de ces rares déterminations, desquelles peut dépendre la ruine ou la splendeur d'un empire.

» Lorsque la Grèce tomba anéantie sous l'invasion des barbares, de sa chute il jaillit une étincelle qui illumina l'Occident! Réveillée, après bien des siècles, de son sommeil de mort, la Grèce apparaît aux nations, resplendissante d'une vigueur juvénile, qui vient déterminer la civilisation de l'Orient.

O Germanos! Zaïmis! Colocotronis! et vous tous mes anciens compagnons de gloire et de malheur, pourquoi n'êtes-vous plus au milieu de nous, maintenant que nous avons en nos mains les destinées de la race hellénique et que nous paraissons oublier la noble tâche que la Providence nous a confiée!

» Où êles-vous, intrépides chefs de l'Épire, de la Macédoine, de la ThesAnn. hist. pour 1844.

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salie, de la Servie, de la Bulgarie, vous tous qui avez levé l'étendard de la guerre sacrée pour délivrer notre patrie commune: la Grèce tout entière!

⚫ Vous nous rappelleriez ces paroles du poète national, l'immortel Rbigas: « Liens des monts Ténégrins, aigles de l'Olympe, et vous habitants d'Agrapha et du Péloponèse, n'ayez plus qu'une seule ame. » Oui, nous n'avons eu en effet qu'une seule ame; des sommets du Parnasse jusqu'à ceux du Taygète, tous, nous nous sommes levés comme un seul homme, au cri de désespoir de la patrie en deuil, et nous avons triomphé! nous étions tous unis alors, dans ce temps d'enthousiasme patriotique!.. et aujourd'hui nous discutons froidement pour savoir qui est grec, qui est chrétien, de tous ces braves dont le sang a scellé notre glorieuse indépendance!.. Et, messieurs, ne sommes-nous pas les mêmes hommes qui d'une main tenions l'étendard de la liberté, de l'autre l'étendard de la religion, symbole de l'union, de la délivrance de toute la race hellénique? N'avons-nous pas prêté le même serment qu'ont prêté tous nos frères, qui nous observent en ce moment pour voir comment nous savons garder un serment!

» Messieurs, le motif qui, en 1833, m'engagea à voter dans le conseil des ministres contre la séparation de l'Église grecque de la grande communion orthoxe fut un motif d'espérance d'avenir. Les mêmes motifs qui en 4835 m'ont fait dire que la capitale de la Grèce n'est pas dans les limites de la Grèce actuelle m'animent encore aujourd'hui et prouveront que le grand serment prêté par moi en 1821, je l'ai gardé religieusement. Je ne puis croire, messieurs, qu'il se trouve parmi vous un seul homme qui ne partage ces sentiments; parmi vous, députés du peuple grec, descendants des hommes les plus parfaits! Les grecs ont une patrie aujourd'hui, une patrie commune où ils doivent trouver aide, protection, égalité de droits. C'est pour conquérir cet appui que vous avez supporté tant de malheurs et de désastres, que vous avez tout sacrifié. Vous jouissez aujourd'hui du fruit de vos labeurs.

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Représentants du peuple grec, vous êtes réunis dans Athènes! Que pourrais-je vous dire de plus sans faire injure à des cœurs hellènes! Athènes, la Grèce, après avoir ébloui le monde de sa gloire, s'est abîmée sous ses ruines; elle a péri parce qu'elle était divisée, parce qu'aucun lien sacré de nationalité, de patrie commune, n'unissait ses provinces. Mais, grâce à la divine Providence, la Grèce renaît aujourd'hui, forte de son union; elle renaît symbole et patrie de toute la race hellénique. Sa constitution politique doit être expression de cette destinée, et tout cœur vraiment hellénique doit travailler avec persévérance à y imprimer ce caractère. La Grèce libre, c'est la commune patrie de tous nos frères que les événements politiques ont jetés sur la terre étrangère, de tous les grecs forcés d'habiter encore les provinces qui ne font pas partie du royaume. Ignoreriez-vous avec quel en

thousiasme ces grecs songent à leur mère-patrie, objet de tous leurs vœux, de toutes leurs espérances. Écoutez ce dont j'ai été témoin à Palerme, en

Sicile.

. Seize mille orthodoxes qui habitent celle cité, chaque année, au jour de Pâques, montent processionnellement sur une haute montagne, portant chacun un cierge allumė; puis de là, tournant leurs regards vers la Grèce libre, ils adressent au ciel des vœux ardents pour la prospérité de l'État Grec et pour la réunion du Panhellénium.

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Dites, amis compatriotes: ces grecs qui, jelés sur la terre étrangère, soupirent comme les filles de Sion après la mère-patrie, les repousserezvous? Leur dénierez-vous les droits de citoyen grec? Oh non! je lis dans vos cœurs que vous les accepterez comme on reçoit un frère après une longue absence, car, s'ils n'ont pu venir tous prendre une part active à la lutte sacrée de l'indépendance, c'est que des obstacles invincibles s'y sont opposés. Savez-vous pourquoi l'Europe, pourquoi les puissances, ont montré pour la Grèce tant de dévouement, tant de sympathie, tant d'enthousiasme? savez-vous pourquoi en Europe, aujourd'hui encore, le nom de la Grèce réveille tant de nobles sentiments? c'est que l'Europe, c'est que les puissances, ont apprécié tout l'héroïsme de la race hellénique, qui a envoyé ses fils, de toutes les provinces de l'empire de Byzance, mourir sur nos champs de bataille, pour sceller de leur sang la grande union de la race hellénique! c'est qu'aujourd'hui encore la Grèce libre est, pour l'Europe, la patrie commune de tous les chrétiens d'Orient. Rappelez-vous cette époque de malheur et de désolation, où la cause grecque était pour ainsi dire désespérée ; je me trompe, je n'ai jamais désespéré de notre cause; je n'en ai pas désespéré, parce que j'ai vu les péloponésiens chassés de leurs foyers, réfugiés dans les montagnes, dans les bois, mais toujours animés du même patriotisme, faisant payer bien cher quelques victoires à ces arabes, auxquels ils tuaient par jour 20, 30, 100 hommes. Je n'ai pas douté un seul instant du succès, lorsque je voyais un général qui siége dans cette enceinte (1) refuser des millions qu'Ibraïm lui offrait pour prix de Palamide, où il commandait "alors. A cette époque, nos malheurs, notre persévérance, ont déterminé les puissances à mettre un terme à cette guerre d'extermination. Elles ont voulu qu'il y eût une Grèce libre; elles ont créé un champ d'asile, où les grecs de l'empire Ottoman pussent trouver une nouvelle patrie, une nouvelle famille, en échange de la patrie qu'ils ont abandonnée par dévouement pour la cause commune. Telle est la pensée qui a présidé à la rédaction des protocoles; pensée magnanime, pensée d'avenir, par laquelle l'Europe réalisa le vœu national et sanctionna l'idée générale qui avait enfanté la révo

(1) Le général Grivas.

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