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leurs moyens d'existence de leurs propriétés, une très-grande influence. Comme les propriétés ne sont pas communes, chacun à la faculté de s'abstenir du mariage, quand il croit n'avoir pas le moyen d'élever une famille, et de conserver ainsi les moyens de vivre. Si, dans cette classe, il se forme des mariages imprudens, ces mariages n'ont presque point d'influence hors des familles auxquelles ils ont donné naissance. Les enfans qui en naissent, quelque nombreux qu'ils soient, ne vont pas dépouiller leurs voisins d'une partie de leurs propriétés.

Les classes qui vivent du travail de leurs mains, sont dans une position plus fâcheuse. Leur richesse se compose du travail qui est à exécuter dans la société, ou pour mieux dire, des salaires qui peuvent être accordés annuellement à ce travail. Ces salaires sont plus ou moins élevés, selon que le nombre des personnes entre lesquelles ils doivent être répartis, est plus ou moins grand. Il est évident que plus il y a d'ouvriers pour exécuter un ouvrage déterminé, et moins les salaires sont élevés; la concurrence produit sur la main-d'œuvre, les mêmes effets qu'elle produit sur toute autre chose. Les classes les plus laborieuses ne peuvent jouir de quelque aisance que lorsqu'il y a dans la société moins de travail offert que de travail demandé.

Mais la prudence individuelle, dans les mariages

de salaires, a peu

des personnes qui ne vivent que d'influence sur la destinée particulière de chaque famille. Un mariage qui donne naissance à de nombreux enfans, condamne à la misère les familles formées avec le plus de prudence; ces enfans, s'ils peuvent vivre, viendront, en effet, en concurrence avec tous les autres pour prendre part au travail, et leur disputer leur subsistance. Quel avantage pourrait assurer aux siens sur les autres, un ouvrier qui ne se marierait que dans la force de l'âge, et qui n'en aurait que deux ou trois? Le partage du travail, produit, relativement aux classes ouvrières, l'effet que produirait, relativement aux capitalistes et aux possesseurs de terres, le partage des propriétés par égales portions, opéré à chaque génération. Il fait descendre au même niveau toutes les personnes qui appartiennent à la même classe.

Il suit de là que ces classes de personnes touchent toujours aux limites de leurs moyens d'existence, et que, dans la société, il n'y en a aucune qui ait plus à souffrir des atteintes portées aux diverses espèces de propriétés. On se trompe donc, quand on s'imagine que les grands possesseurs de terres, les commerçans, les manufacturiers, sont plus intéressés à la conservation de l'ordre public, que les autres classes de la population. Un événement qui leur impose, pour un temps de peu de durée, quelques privations légères, suffit pour

plonger dans la plus profonde détresse des milliers de familles d'ouvriers, et pour condamner leurs enfans à la destruction.

En disant que les classes de la société qui vivent de salaires, sont plus intéressées que les autres à la conservation des propriétés, et à l'existence d'un bon gouvernement, je n'entends pas affirmer que, dans toutes les circonstances, elles comprennent parfaitement leurs intérêts; il leur faudrait pour cela des connaissances qu'il leur est rarement possible d'acquérir.

CHAPITRE XLVII.

Des opinions des jurisconsultes sur l'origine et la nature de la propriété.

LA distinction entre le tien et le mien est aussi ancienne que le monde; il n'en est aucune qui pénètre plus promptement dans l'esprit de l'homme; les enfans la connaissent long-temps avant de savoir parler.

Les idées les plus simples, les plus élémentaires de la propriété sont donc au nombre des premières qui se forment dans l'intelligence humaine; elles sont comprises par les gens les moins éclairés, et cependant il en est peu qui donnent lieu à plus de discussions.

Si l'on observe ce que les hommes entendent ordinairement par des propriétés, on voit qu'ils désignent en général, par ce mot, des choses matérielles, ayant des qualités qui les rendent propres à nous procurer quelques jouissances, considérées relativement aux personnes qui peuvent en jouir ou en disposer dans l'ordre naturel de la pro

duction ou de la transmission, et garanties à ces personnes par l'autorité publique.

Il est cependant certaines propriétés, telles que des fonds de commerce, des clientelles, qui ne consistent dans aucun objet matériel, et qui cependant ont une valeur plus ou moins considérable; mais les propriétés de ce genre n'ont de prix que parce qu'elles produisent des objets matériels, dont la jouissance et la disposition sont assurées aux propriétaires.

En exposant comment se forment les propriétés, et en cherchant à en faire connaître la nature et l'objet, je n'ai attaché à ce mot que le sens qu'on lui donne vulgairement, celui qu'il a dans la pratique ordinaire de la vie, et non celui que lui ont donné quelques jurisconsultes ou quelques philosophes.

Il me semble évident, en effet, que toutes les fois qu'un homme parle de ses propriétés, il désigne en général des objets matériels, des objets qui peuvent, ou satisfaire ses besoins, ou lui procurer certaines jouissances; des objets qu'il a formés ou régulièrement acquis, et dont il peut jouir ou disposer; des objets, enfin, dont la jouissance et la disposition exclusives lui sont garanties par l'autorité publique.

C'est dans le même sens que ce mot est entendu par les constitutions qui garantissent à chacun la disposition et la jouissance de ce qui lui appartient,

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