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dans les cas de conflits, quelle est la loi qui doit être préférée, il est nécessaire de délimiter exactement l'empire de chaque loi; mais, pour atteindre le but, nous ne pouvons nous conformer toujours aux idées de Savigny, et même nous avons été obligé de donner un développement différent à notre théorie, et quelquefois de rejeter les opinions du grand jurisconsulte, sans rien retrancher du mérite réel qui lui appartient pour ses études sur cette branche spéciale du Droit.

LIVRE PREMIER

DES PERSONNES.

CHAPITRE PREMIER

De la loi qui doit régler l'état et la capacité
juridique de l'étranger.

40. Nécessité de faire régler l'état juridique d'une personne par une loi unique. 41. Comment on doit interpréter l'opinion de ceux qui soutiennent la préférence de la loi du domicile de la personne. -42. Distinction des deux écoles. 43. Examen critique de leurs opinions. 44. État véritable de la question. — 45. Notre opinion. 46. Notre doctrine se confirme par l'autorité du Droit romain. 47. Inconvénients qui dérivent de la doctrine contraire. — 48. On réfute la distinction faite par les auteurs entre l'état et la capacité d'agir. — 49. On rejette l'opinion qui soutient la préférence de la lex fori. 50. Unique exception vraie au principe établi par nous. - 51. Dispositions de droit positif concernant la loi qui doit régler la capacité des étrangers.

40. Par les mots état de la personne, nous indiquons les qualifications juridiques de l'individu considéré en lui-même. Les effets qui dérivent de ces qualifications constituent la capacité d'agir en sens juridique (1).

(1) Le statut personnel comprend l'ensemble des règles relatives à l'état et à la capacité des personnes, soit pour tous les actes de la vie

L'ensemble des qualifications qui appartiennent à l'individu comme citoyen, et qui sont la base de ses droits politiques, forme son état public. Cela dépend de la loi de la patrie de chacun et ne peut valoir que dans cette même patrie, parce que les droits politiques sont considérés comme les prérogatives exclusives de ceux qui participent à la vie politique de l'universalité.

L'ensemble des qualifications juridiques que la loi attribue à l'individu, comme personne, constitue l'état privé. Telle est,

civile en général, soit pour quelques-uns de ces actes en particulier. D'après la loi française, il s'attache à la personne des Français et les régit, lors même qu'ils résident en pays étranger. Le changement de nationalité les soustrait seul à l'empire de ce statut. Il en résulte, d'une part, que le Français ne peut, en pays étranger, passer valablement, aux yeux de la loi française, les actes qu'il est incapable de passer en France, alors même que, d'après la législation du pays où il se trouve, il jouirait de la capacité requise; et, d'autre part, que le Français ne peut, en aucun cas, se prévaloir en France des dispositions d'une loi étrangère, pour contester, sous le rapport de sa capacité, la validité des actes par lui passés à l'étranger.

La disposition du paragraphe 3 de l'article 3 du Code civil, ainsi conçu : « Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger, » autorise à croire que le législateur français a entendu laisser les étrangers, même résidant en France, sous l'empire de leurs lois nationales, pour tout ce qui concerne leur état et leur capacité. Le but de la disposition de ce troisième paragraphe ne serait, en effet, atteint que fort incomplètement, si les autorités et les tribunaux étrangers ne concouraient à son accomplissement, tant en refusant au Français résidant dans leur pays leur concours pour la passation d'actes qu'il serait incapable de faire en France, qu'en annulant de pareils actes lorsque, de fait, il les a passés. Or, ce concours, le législateur français ne ne peut le réclamer et l'attendre des autorités et tribunaux étrangers qu'à la condition de se prêter de son côté à faire respecter, en France, le statut personnel des étrangers. Il est donc permis de supposer qu'il a entendu admettre à cet égard une complète réciprocité. Cette induction se trouve corroborée par l'historique de la rédaction de l'article, et par l'antithèse qui existe entre les deux premiers paragraphes

par exemple, la qualité de majeur ou de mineur, de soumis à la puissance paternelle ou à l'autorité d'un tuteur, d'émancipé, de prodigue, d'interdit ou soumis à un conseil judiciaire, de célibataire ou de marié, de père ou de fils légitime, ou naturel, ou adoptif, de vivant ou de mort civilement.

Tous reconnaissent qu'il est nécessaire de faire régler l'état juridique de la personne par une loi unique, pour éviter l'inconvénient d'un état mobile. Les défenseurs mêmes de la rigoureuse maxime: leges non valent extrà territorium statuentis,

et le troisième. On remarquera cependant qu'il n'y a rien d'absolu dans ces matières. M. Valette cite, à ce propos, dans son cours, le cas d'un prince allemand, affaire du duc de Brunswick, dont l'interdiction fut privée de tout effet en France, parce qu'elle avait été prononcée à l'étranger par des motifs en partie politiques.

Parmi les auteurs qui admettent que le statut personnel étranger gouvernera également l'état et la capacité des étrangers résidant en France, par une juste réciprocité de ce que le Code civil décide pour les Français, les uns, avec M. Demangeat, prétendent qu'une fois admis à établir son domicile en France, l'étranger ne s'y trouve plus régi, quant à son état et à sa capacité, par la loi de son pays, mais par la loi française. Les autres soutiennent, avec les annotateurs de Zachariæ, MM. Aubry et Rau, avec MM. Delvincourt et Demolombe, que l'autorisation accordée à un étranger d'établir son domicile en France ne lui rend pas applicable le statut personnel français; il n'en reste, en effet, pas moins étranger. S'il est placé sur la même ligne que le Français quant à la jouissance des droits civils, il en résulte bien qu'il est, comme ce dernier, admis à l'exercice de ces droits dans la limite de sa capacité personnelle, mais nullement que cette capacité doive, comme celle des Français, être appréciée d'après la loi française.

Il est admis, en principe, dans presque tous les pays policés, que les étrangers restent soumis, en ce qui concerne leur état et leur capacité, à leur loi nationale. Cependant plusieurs législations, notamment celles des Pays-Bas et de la Russie, ont consacré, à cet égard, des règles différentes; et, parmi celles même qui ont reconnu ce principe, il s'en est trouvé plusieurs qui ne l'ont admis qu'avec d'importantes restrictions établies dans l'intérêt des nationaux. (Voir Fœlix, édition 1866, t. Ier, p. 60 et suiv., no 30. Voir Zachariæ, annoté par Aubry et Rau, 3e édition, t. Ier, p. 72 et suiv.) P. P. F.

ont fait une exception pour les lois personnelles, en admettant comme règle générale que celles-ci doivent aussi s'appliquer en territoire étranger, par réciproque utilité et pour la comitas gentium. Toute la difficulté, pourtant, est de déterminer quelle est la loi à laquelle la personne est soumise d'une façon permanente, et en cela les auteurs ne s'accordent pas.

41. La majorité admet que l'état de la personne doit être réglé par la loi du domicile. Boullenois, Rodenburgh, Hertius, Froland, Bouhier, Voët, Pothier et autres, soutiennent cette doctrine, qui est acceptée par Story, Savigny, Rocco, Westlake. Il ne manque point parmi nous d'éminents jurisconsultes qui la considèrent comme une communis opinio, et critiquent le Code italien qui, sans tenir compte de la tradition scientifique, a établi comme règle que l'état de chacun doit être réglé par la loi de sa nation.

Nous pensons, au contraire, qu'ils se hatent trop, ceux qui considèrent le principe établi par le Code italien (art. 6): « L'état et la capacité des personnes sont réglés par la loi de la nation à laquelle elles appartiennent (1), » comme une innovation absolue contre la communis opinio des écrivains du moyen âge et modernes. En étudiant, en effet, les auteurs anciens, nous trouvons que tous n'ont point interprété dans le même sens la formule: loi du domicile. Quelques-uns d'entre eux entendent désigner par ces mots la loi du domicile d'origine, laquelle, en résumé, équivaudrait à la loi de la patrie de chacun, ce que, par une expression plus moderne, on nomme loi nationale.

Froland, qui est cité par tous comme le plus ferme défenseur de la loi du domicile, lorsqu'il traite la question de savoir si, le domicile étant changé, l'état de la personne doit être réglé par la nouvelle loi, s'exprime ainsi : « Si l'on parle de l'état de la

(1) Voici le texte de l'article 6 des Dispositions générales du Code civil italien « L'état et la capacité des personnes, comme les rapports de famille, sont régis par les lois de la nation à laquelle elles appartiennent. > P. P. F.

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