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modernes. Nous avons eu sur eux l'avantage d'une foi absolue en la bonté des méthodes techniques des constructeurs de Charmes. Il nous fallait bien en conclure que c'est la conception même, le projet de l'ouvrage, qui se trouvait en défaut sur un point à trouver. L'affaire n'était autre qu'un problème de résistance des matériaux.

La tâche du constructeur dans l'établissement d'une digue est purement et simplement de la rendre capable de supporter toutes. les épreuves auxquelles elle sera pratiquement soumise en exploitation. Ces épreuves ne diffèrent de celles auxquelles se trouvent soumis tous les remblais que par la présence de la retenue d'eau dont le niveau maximum est en rapport avec la hauteur des ouvrages, et qui doit faire l'objet presque toujours d'un remplissage et d'une vidange annuels.

Pour ce constructeur donc, les facteurs d'où dépendra la stabilité ou la non-stabilité de la digue seront exclusivement les suivants :

A. La forme et les dimensions du remblai.

B. L'état physique des corrois, tel qu'il résulte :
a) Des propriétés naturelles des terres employées;
b) De leur mode de mise en œuvre ;

c) De leur protection plus ou moins efficace contre les influences susceptibles de produire une diminution de leur

résistance.

Les données du problème étant ainsi délimitées, il s'agit de fixer le rôle et l'importance respective des deux facteurs A et B et d'en tirer des lois générales. En raison de l'imperfection de tous les moyens mathématiques connus à ce moment, nous ne pouvions guère nous adresser, pour arriver à nos fins, qu'à l'expérience c'est donc surtout par l'étude comparative pure et simple des grandes digues en terre existantes que nous avons recherché la clef de l'énigme de la digue de Charmes.

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I. DOCUMENTATION SUR LES OUVRAGES EXISTANTS

Nos recherches se sont portées, au moment de l'élaboration du projet de réparation de l'accident de 1909, sur une douzaine de digues en terre, toutes de hauteur supérieure à 10 mètres : on verra plus loin que nous étions en droit de nous limiter à cette dimension minima, la question de hauteur jouant effectivement un rôle primordial.

Quatre d'entre elles, la digue de Charmes comprise, ont été déjà citées pour avoir été victimes d'un ou plusieurs glissements de talus. Ce sont les suivantes :

Digue de Torcy-Vieux (canal du Centre, achevée à sa hauteur actuelle en 1831);

Digue de Cercey (canal de Bourgogne, construite en 18341836);

Digue de Wassy (canal de Saint-Dizier à Wassy, construite en 1881-1883);

Digue de Charmes (canal de la Marne à la Saône, construite en 1902-1906).

Les huit autres paraissaient d'une stabilité éprouvée ; ce sont les suivantes :

Digue de l'Étang Berthaud (canal du Centre, construite sous sa forme actuelle en 1832-1836);

Digue de Montaubry (canal du Centre, 1859-1861);
Digue de Torcy-Neuf (canal du Centre, 1883-1887);
Digue de Panthier (canal de Bourgogne, 1867-1873);
Digue de Grosbois (canal de Bourgogne, 1898-1904);

Digue de la Liez ou de Lecey (canal de la Marne à la Saône, 1880-1886);

Digue de Villegusien ou de la Vingeanne (canal de la Marne à la Saône, 1901-1905 ;

Digue du Bourdon (canal du Loing, 1901-1905).

A cette dernière liste nous sommes en mesure d'ajouter les noms qui suivent :

Digue de l'Auron (canal du Berry, construite en 1840-1842); Digue de la Marmande (canal du Berry, 1842-1845) ;

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Digue de Marengo (Oued Meurad; irrigation de la plaine de Milianah (Algérie), 1853-1872),

que nous ne connaissions pas encore à ce moment et qui permettent de clore, croyons-nous, la nomenclature des digues françaises en terre corroyée de hauteur supérieure à 10 mètres (1).

A. FORME ET DIMENSIONS DU REMBLAI.

Nous avons indiqué déjà qu'après quelques hésitations de début la quasi unanimité des constructeurs de digues françaises avait fini par se rallier à un dispositif de profil en travers presque invariable, un « type passe-partout ».

La caractéristique principale de ce type réside dans l'inclinaison moyenne assignée au talus amont, laquelle est de 1,5 de base pour 1 de hauteur. Depuis 70 ans il ne s'est présenté que deux dérogations à cette règle du talus à 1,5/1 : nous voulons parler des digues déjà citées plus haut, en terre extrêmement argileuse, de. Panthier (exhaussement de 1867-1873) et de Grosbois (18981904). Encore devons-nous noter en passant que, si la prudence des dispositions de la première, justifiée par la mauvaise assiette des corrois neufs sur un vieux remblai de solidité douteuse, avait été universellement approuvée par tous les techniciens, il n'en a pas été absolument de même pour la seconde : plusieurs constructeurs éminents avaient jugé le projet de la digue de Groskois

(1) Nous n'avons pas fait mention, dans ce qui précède, de la belle digue d'Orédon (Hautes-Pyrénées, voir une Notice de M. MICHELIER, Annales de 1887, 2, p. 327) ni de la digue d'Aubert, très analogue, actuellement en construction dans la même région, Ces deux digues, en effet, ont une physionomie tout à fait à part et ne se prêtent, au point de vue qui nous occupe, à aucune comparaison avec les ouvrages ci-dessus. Outre leur mode d'exécution très spécial (remblais effectués hydrauliquement), elles présentent la particularité essentielle d'offrir, comme protection de leur talus amont, un revêtement en maçonnerie extrêmement épais et solide, derrière lequel, par surcroît, règne un réseau de drainage achevant d'isoler les terres du contact de l'eau sous pression. Il doit être bien entendu que nos études se sont exclusivement portées sur les digues du type français proprement dit, dans lequel le remblai n'est protégé qu'au moyen d'un revêtement mince, agencé en principe de manière à suivre toutes les déformations résultant du tassement des terres et n'apportant aucune garantie d'étanchéité non plus qu'aucune contribution à la stabilité générale : le seul objet de ce revêtement est de protéger la terre contre l'action mécanique des eaux.

trop peu hardi; et eussent voulu — bien à tort — voir remplacer par le talus habituel à 1,5/1 le talus à profil concave si heureusement conçu par M. Galliot.

Nous n'avons pas à nous occuper ici de la succession de gradins indépendants dont se composent en réalité les talus amont de la plupart des grandes digues. Pour l'étude d'un mouvement d'ensemble comme celui qui nous occupe, les lignes moyennes seules sont intéressantes.

Enfin, nous ne notons que pour mémoire, et en nous attendant à ne les voir exercer qu'une influence négligeable sur la stabilité du talus amont, les caractéristiques du talus aval — en général adouci et souvent décomposé en deux ou trois gradins d'inclinaison décroissante du haut en bas, séparés par des banquettes -; ainsi que de la plateforme de couronnement, presque toujours large de 5 à 6 mètres (sauf les cas particuliers où elle est empruntée par un chemin carrossable), et protégée par une banquette à laquelle nous ne nous intéresserons pas plus que de raison ici.

La hauteur de chaque digue excède peu celle de sa retenue: la << revanche » varie de 0 m. 75 à 2 mètres si on la compte à partir de la crête du talus amont; 1 m. 75 à 3 mètres depuis le dessus de la banquette de couronnement.

Nous avons représenté synoptiquement, en un tableau A ciannexé (planche 9) les profils en travers schématiques de toutes les digues en terre étudiées. Nous attirons dès à présent l'attention sur ce fait qu'ils ont tous été relevés dans la région de plus grande hauteur de chacune d'elles.

A l'examen de ce tableau on reconnaîtra que la digue de Charmes ne paraît pas au premier abord d'une conception plus hardie que la plupart des autres grands ouvrages de même

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Il est connu depuis

a) PROPRIÉTÉS DES TERRES NATURELLES. longtemps que l'on ne saurait apporter trop d'attention à la nature de la terre qui doit constituer une digue; et pour les anciens constructeurs, qui ne disposaient pas de nos procédés modernes

de corroyage, la question primait toutes les autres. Leurs idées là-dessus étaient, croyons-nous, très justes; les renseignements qu'ils nous ont laissés sont parfois malheureusement un peu vagues.

Voici comment ces idées ont été résumées et mises à jour par M. de Mas (1):

Le remblai constitutif de la digue doit présenter un mélange d'argile et de sable dans des proportions telles que chaque grain de sable soit parfaitement empâté dans l'argile, et que celle-ci ne soit nulle part en assez grande quantité pour permettre au mélange d'être compressible. M. Mary et M. Vallée estimaient déjà que la bonne terre à corroi est celle qui, composée principalement de sable, ne contient que juste ce qu'il faut d'argile pour lier entre elles les particules sablonneuses, le plus gros sable étant le meilleur. parce que chaque grain une fois à sa place a plus de stabilité. Suivant l'observation du dernier de ces deux éminents ingénieurs, on obtient avec des terres de cette espèce, après battage et dessiccation, un remblai tellement dur que le pic est nécessaire pour y creuser une fouille et que l'on éprouve, pour se servir de cet outil, autant de difficultés que dans les terres vierges qui, par leur nature, se rapprochent le plus du rocher.

La proportion la meilleure est celle de 2/3 de sable et 1/3 d'argile. C'est la composition naturelle des terres que l'on trouve sur une grande partie du parcours du canal du Centre, en France, et cela suffit à expliquer pourquoi les nombreux réservoirs établis pour l'alimentation de ce canal comportent tous des digues en terre.

Pour la construction de la digue du réservoir de Mittershem, la terre employée contenait à peu près moitié de sable et moitié d'argile. On la mélangeait d'une faible proportion de chaux hydraulique en poudre ou en lait selon que la terre était plus ou moins humide (12 litres de chaux en poudre par mètre cube de corroi en moyenne). Le résultat a été très satisfaisant, mais il convient de remarquer que la digue de Mittersheim est d'une élévation modérée.

Pour la digue du réservoir de la Liez, au canal de la Marne à la Saône, les terres dont on pouvait disposer étaient encore plus argileuses; elles ne contenaient guère qu'un tiers de matières sablonneuses (2). Or, nous verrons plus loin que l'emploi de terres trop

(1) Cours de navigation intérieure de l'École Nationale des Ponts et Chaussées, Canaux, p. 378.

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(2) Nous avons trouvé davantage. Les chiffres donnés plus loin au tableau B sont la moyenne des essais fort comparable entre eux de quatre échantillons prélevés au hasard en différents points des emprunts ayant servi à la construction de la digue. Nous nous en tiendrons à ces chiffres.

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