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Ce n'est pas cependant qu'il n'y ait en des réclamations dans l'intérêt des cultes. Mais loin qu'elles tendissent à donner aux principes de l'un une préférence exclusive sur les principes des autres, elles n'avoient au contraire pour objet que de leur assurer à tous une égale faveur.

Les Cours d'appel se sont récriées contre le Projet de Code civil, non parce qu'il admettoit le divorce, qui n'est pas dans les principes des Catholiques, mais parce qu'il repoussoit la séparation qui leur en tient lieu (1).

Au Tribunat, une voix s'est élevée même contre le projet de loi, qui cependant rétablissoit la séparation de corps. On l'a accusé de ne pas ménager la religion de la plupart (2). Voici, a-t-on dit, sur cent François, quatre-vingt-dix Catholiques qu'on va exposer, de gaité de cœur, à ce qu'il y a de plus cruel pour le cœur de l'homme, c'est-à-dire, à des remords, à des regrets éternels. Et pourquoi? De peur d'exposer dix non-Catholiques à ce qu'il y a de plus léger et de plus ordinaire dans la vie, c'est-àdire, à une simple privation » (3).

Cependant ce discours n'alloit pas à faire passer

(1) Observations de la Cour d'appel de Montpellier, page 14; – de Naney, pages 4 et 15; — de Nimes, pages 7 et 8; — d'Orléans, pages 13, 14 et 15; — de Toulouse, pages 7 et suiv.—(2) M. Carrion-Nisas, Tribun. Tome Ier, vage 478 .—(3) Ibid., page 472 et 473.

dans nos lois les principes des Catholiques au préjudice de ceux des autres religions. Son auteur admettoit au contraire le divorce. Il pensoit seulement qu'on devoit l'abandonner à un pouvoir discrétionnaire qui, pour le permettre, se régleroit sur les circonstances et aussi sur l'opinion religieuse de chacun, et que l'offrir aux Catholiques avec des conditions et des formes qui permissent de le regarder comme assuré, c'étoit les exposer à fausser leur croyance (1).

On étoit donc généralement d'accord que le Législateur n'étoit pas obligé de prendre exclusivement pour bases de la loi les principes d'un culte quelconque, fût-ce le culte de la majorité, et que, sous ce rapport, les questions relatives au divorce et à la séparation de corps devoient être « discutées, abstraction faite de toute idée religieuse (2), en respectant toutefois le principe politique de la liberté des cultes.

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Abordons maintenant les questions générales qu'il s'agissoit de décider.

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(1) M. Carrion-Nisas, Tribun. Tome Ier, pages 477 et 478. — (2) M. Treilhard, Exposé des motifs, Procès-verbal du 19 ventôse an 11, tome 11, page 540.

Ire QUESTION.

LE DIVORCE DEVOİT-IL ÊTRE MAINTENS EN FRANCE?

IL importe de bien saisir d'abord le point de vue sous lequel cette question devoit être envisagée.

Se plaçant ensuite dans ce point de vue, il faudra rendre compte des motifs qui ont fait admettre le divorce par la politique.

Il restera enfin à fixer l'esprit dans lequel il a été admis dans notre législation nouvelle.

Ire DIVISION.

Sous quel Point de vue la question devoit étre envisagée.

ÉCARTONS d'abord les faux points de vue sous lesquels on peut considérer la question.

On la présentera ensuite dans son véritable jour.

A

Ire SUBDIVISION.

La question ne devoit être envisagée ni sous le rapport de la liberté civile en général, ni sous celui des avantages que le Divorce en soi peut avoir.

On a pensé que la faculté du divorce est une conséquence nécessaire de la liberté. Ce sentiment étoit celui des auteurs de la loi de 1792, qui a introduit le divorce en France. Ils s'étoient déterminés à le décréter, et même par voie d'urgence, parce qu'il importoit, suivant eux, de faire jouir les François de la liberté individuelle dont un engagement indissoluble seroit la perte ( 1 ).

On a pensé aussi que le divorce, en lui-même, est une institution si essentiellement bonne, que tout Législateur sage doit se hâter de l'accueillir.

L'une et l'autre opinion sont des erreurs qui viennent de la fausse manière de voir l'institution du divorce.

I. « Ce n'est pas la liberté constitutionnelle qui en est la base; car elle ne donne point de droits arbitraires : elle n'existe au contraire que lorsque l'usage de la liberté individuelle est soumis à des règles qui l'empêchent de troubler l'ordre public; et voilà pourquoi la loi permet et défend » (2).

(4) Préambule de la loi du 20 septembre 1792.—(2) M. Portalis, Procès-verbal du 14 vendémiaire an 10, tome 1er, page 298.

Ainsi, en traitant la question dans ses rapports avec la liberté civile, on l'envisageoit sous des rapports qui n'existent point.

II. Il étoit également impossible de se déterminer par l'utilité du divorce, car cette institution n'est pas d'une bonté absolue.

Pour s'en convaincre, il est utile de se rappeler les raisons par lesquelles le divorce considéré en soi a été attaqué et défendu.

1

« Ses avantages et ses inconvéniens ont été diversement présentés par les différens auteurs qui ont écrit sur cette matière » (1).

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Les uns ont parlé du divorce comme d'une institution presque céleste ét qui alloit tout purifier; des autres en ont parlé comme d'une institution infernale et qui acheveroit de tout corrompre; icile divorce est le triomphe; là c'est la honte de la raison. Si nous croyons ceux-ci, l'admission du divorce devoit déshonorer le Code; ceux-là prétendent que son rejet eût laissé ce Code dans un état honteux d'imperfection » (2).

Mais il faut entrer dans le détail des raisons qui ont fait embrasser deux opinions si contraires.

« On a dit, pour le divorce, qu'on ôte toute la douceur du mariage, en déclarant son indisso

(1) Discours préliminaire du Projet de Code civil, page xxx. — (2) M. Treilhard, Exposé des motifs, Procès-verbal du 19 ventòse an 11, tome 11, page 541.

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