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la commission, et qui résumait avec clarté l'état de la question, était ainsi conçu :

• Lorsque rien n'altère ni ne menace le mouvement libre et régulier de nos institutions, l'union qui fait notre force ne sera pas troublée. Les oscillations, suite naturelle de la division des pouvoirs publics, ne nuiront pas à la concorde : elle subsistera pour démontrer que la liberté dans la monarchie constitutionnelle n'exclut pas la stabilité qui est la condition nécessaire de la puissance des états. »

M. le comte de Montalembert monta le premier à la tribune, et soutint que la Belgique avait droit de constituer son indépendance et d'éluder le traité des 24 articles.

L'honorable pair voulait que Léopold conservât les provinces de Luxembourg et de Limbourg, en accordant toutefois une indemnité à la Hollande; son indignation se soulevait à la seule pensée de voir passer sous la puissance d'un gouvernement ennemi 700,000 sujets si fortement attachés à la Belgique par les idées, les institutions et la plus vive sympathie. Comment osait-on attenter à la dignité, à l'intégrité de la Belgique, au principe même des sociétés modernes, en payant des dettes fictives avec des âmes humaines? M. de Montalembert, admettant que l'Angleterre nous eût abandonnés dans cette question, démontrait que les intérêts de cette nation différaient des nôtres. L'Angleterre devait maintenir le royaume des Pays-Bas comme sa création et son œuvre. Y avait-il d'ailleurs entre elle et la Belgique, comme entre la Belgique et nous, identité de révolution ? Y avait-il identité de langue, de mœurs et de religion?

Puis, jetant un regard sur le système du ministère, l'orateur se résumait énergiquement par un seul mot: reculer. Dans son opinion, la politique du gouvernement était essentiellement rétrograde.

Revenu ensuite à son point de départ, le noble pair considérait la cause de la Belgique comme celle de notre révolation de juillet.

« Dans quelques jours, continuait-il, dans quelques semaines, si le gouvernement abandonne réellement la Belgique et entraîne l'approbation de la législature, que va-t-il arriver? on en viendra aux mains dans le Luxembourg; on aura le spectacle d'une nation faible par le nombre, mais forte par son union et le dévouement de son monarque, luttant pour la justice et pour la liberté. Je ne prétends pas qu'elle aura le dessus, mais je dis que le dernier mot pour une nation comme pour un roi, ce n'est pas la victoire c'est la dignité. Ce ne sera pas un de ces mouvements irréguliers qu'il est facile de transformer, d'altribuer à une poignée de factieux; non, ce sera à un peuple avec un roi à la tête, un roi élu, un roil gendre du roi des Français à la tête d'une armée disciplinée et ambitieuse de venger un affront immérité. Il y aura là une leçon et un contraste que la France ne manquera pas de saisir. Du haut des remparts de Thionville, de Longwy, de Metz, des oreilles françaises entendront le canon de la lutte, et ce canon réveillera tous les cœurs qui aiment la justice et qui n'ont pas encore adopté cette làche maxime: « chacun chez soi, chacun pour soi!... » La France tout entière se dressera au moins pour écouter et si cela dure, croyez-vous que vous pourrez la retenir, vous qui n'êtes pas sûrs de la majorité dans une Chambre. Si vous le pouviez, il faudrait que la France ne fût plus la France : il faudrait que la dernière goutte du sang de 92 fût épuisée dans ses veines; qu'elle fût noyée dans un océan d'intérêts matériels..

M. de Montalembert finissait en représentant la Belgique comme une victime de son alliance avec nous, et il y allait de notre honneur de sauver son indépendance.

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Ce discours plein d'une chaleureuse éloquence provoqua une réplique de la part du président du Conseil, qui attaqua, tout d'abord, la doctrine de l'honorable préopinant, laquelle faisait dépendre des circonstances l'exécution des traités. Suivant M. Molé, cette doctrine consacrait la loi du plus fort, et il la répudiait comme féconde en guerres et en désastres. Le ministre rappelait ensuite le texte de la demande faite par le plénipotentiaire belge à Londres, le 14 novembre 1851, dans le but de convertir en traité les 24 articles, la sanction donnée par les puissances signataires du traité de Vienne au gouvernement de la Belgique, la prise d'Anvers par les Français, et la convention provisoire de 1833, entre les deux peuples, qui en fut le résultat. Le chef du Cabinet voyait dans tous ces actes la confir

mation du traité des 24 articles, cité à la fois dans le moniteur belge et dans un discours de la couronne, comme la bas du droit public de la Belgique.

Alors, apostrophant M. de Montalembert :

Quoi! s'écriait-il, vous déclarez qu'il n'y a plus de traité? Est-ce bien le parti qui a provoqué le traité et qui l'a sanctionné à tant de reprises diverses qui a le droit de tenir ce langage? S'il n'y a plus de traité, ditesnous donc sur quoi repose notre indépendance? »

M. le comte Molé soutenait que la France avait constamment défendu les intérêts de la Belgique, en adoptant pour principe de la politique l'exécution des traités, et citait à l'appui de ses assertions, toutes les luttes que nous avions entreprises pour elle.

Quant à la dissidence qui existait entre l'Angleterre et la France sur quelques points de la question belge, la cause en était naturellement dans les interêts nationaux des deux peuples et non dans la répugnance du gouvernement anglais pour l'alliance française. Le ministre, tout en usant d'une extrême réserve, terminait par ces remarquables paroles :

"J'ai voulu seulement proclamer à la tribune, à la première occasion, le principe qui a dirigé la conduite du gouvernement dans cette grave affaire. On a traité un peu légèrement peut-être les conséquences que cette négociation pouvait éventuellement avoir, si elle arrivait à bonne fin. La question hollando-belge est la plus grave assurément de toutes celles qui peuvent être encore en suspens, et que la révolution a soulevées; elle porte dans ses flancs, pour l'Europe, la paix ou la guerre ; pour nous, la consolidation de nos alliances ou l'isolement. »

M. le comte d'Alton-Shée ayant annoncé qu'il avait des aveux à faire, un sentiment de curiosité générale se manifesta dans la Chambre. Il avouait qu'il avait eu tort de reprocher au ministère, dans la dernière session, d'être sans système et sans volonté. Puisque M. le président du Conseil avait affirmé que son système était tout entier dans ses actes; le noble pair, se bornant à examiner attentive.

ment les faits, se plaignait moins de ce que le traité de la quadruple alliance serait resté sans exécution, que de ce qu'il était interprété d'une manière évasive. La partie du discours de la couronne qui se rapportait à ce traité était donc purement illusoire. C'est ainsi qu'avec une police nombreuse et fort bien rétribuée nous étions parvenus à saisir 27 caissons et 60 chevaux sur un convoi de 600 chevaux qui se rendait en Espagne avec environ 120,000 fr. de numéraire. D'un autre côté, la princesse de Beira avait échappé à toutes nos recherches, ainsi que le prince des Asturies et le comte d'Espagne. Un grand nombre d'étrangers de distinction allaient, comme bon leur semblait, passer le temps de la guerre avec don Carlos, et revenaient ensuite prendre leurs quartiers d'hiver dans les salons de Paris. M. d'Alton doutait de la sincérité de nos relations amicales avec l'Angleterre, et n'avait trouvé même dans le discours royal que la froide assurance de l'estime de notre

alliée.

A l'égard de la Suisse, il y avait lacune l'affaire Conseil et l'expulsion de Louis-Bonaparte l'expliquaient

assez.

Quant aux deux signes intérieurs qui restaient encore de la révolution de juillet, c'est-à-dire l'occupation d'Ancône et la création de la nationalité belge, l'un était effacé, l'autre allait disparaître. Enfin, l'orateur rapportait les jugements de Casimir-Perrier et de Napoléon sur Ancône, et n'approuvait pas plus l'évacuation que l'indifférence du pouvoir pour la Belgique et l'Espagne. Sa conclusion était que des paroles de blâme fussent insérées dans l'Adresse contre le système suivi par le Cabinet jusqu'à ce jour.

M. le baron de Morogues prit la parole dans un sens tout à fait inverse. A la vue de la prospérité de la France qui ne faisait que s'accroître depuis 1850, il pensait, comme le ministère, en trouver la cause et les moyens dans le jeu libre

et régulier de nos institutions. Pénétré de cette idée, le noble pair désirait le maintien et le respect de la prérogative royale, et regardait toute coalition formée pour imposer au roi des ministres comme une grave atteinte à la charte constitutionnelle. En un mot, M. de Morogues voyait derrière les idéologies du jour, les idéologies républicaines, et derrière celles-ci, les idéologies antinationales, qui devaient nous conduire par l'anarchie à un despotisme inévitable; aussi voulait-il que, laissant de côté toute discussion sur la présidence réelle, et sur la prépondérance d'un pouvoir au détriment de l'autre, on se ralliât autour de la royauté : c'était dans l'intention d'atteindre ce but que le noble pair votait pour l'A

dresse.

Le baron Pélet de la Lozère ne partageait pas l'avis de l'honorable préopinant. A côté de la prospérité matérielle, il voulait une administration sage qui en assurât la durée, et il n'apercevait à l'extérieur que le relâchement successif de nos alliances. Des quatre pays qui, depuis 1830, étaient devenus nos alliés naturels, l'Angleterre, la Suisse, la Belgique et l'Espagne, nous avions abandonné les uns; les autres nous avaient abandonnés. A l'intérieur, où était le repos dont le discours du trône faisait mention? Partout, régnaient l'incertitude et la désunion. On devait donc ménager les hommes que l'empire et la révolution avaient créés; mais on ne pouvait y parvenir en cherchant à les diviser, et en continuant à gouverner, sans principes, dans un but d'intérêt privé.

Ici s'arrêta la discussion générale de l'Adresse.

M. Cousin, après quelques mots seulement, jetés en passant sur un système de gouvernement qui lui paraissait devoir amener la guerre, signalait, et comme membre de l'université, et comme pair de France, le retour des prétentions du clergé. Pour prouver qu'aucun motif d'inimitié n'animait ici son langage, il rappelait les paroles

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