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quoique beaucoup plus éclairé que ceux qui l'ont précédé, grâce à lui, mais surtout grâce au temps, n'a pas su voir le moment précis où il fallait se modifier; il a outrepassé le but qu'il fallait atteindre, il n'a pas vu le moment de s'arrêter; et, qu'il me soit permis de le dire, estce par ses propres lumières, par ses propres inspirations qu'il a modifié sa conduite?

Vous vous en souvenez, M. Molé, président du Cabinet, qui a apporté les lois de non-révélation et de disjonction, M. Molé président de ce Cabinet, serait l'homme qui a su discerner le jour où la résistance n'était plus de saison, où il convenait de s'arrêter? Le pensez-vous ? Non, Messieurs, le Cabinet du 15 avril n'a pas vu le jour où il fallait s'arrêter, il n'a pas eu ce que M. le comte Molé appelait tout à l'heure du tact, du discernement. On vous a apporté toutes les lois que vous avez justement repoussées, et l'on nous a donné l'amnistie le lendemain d'une défaite. »

Sur la question de politique extérieure, l'orateur trouvait en outre que les difficultés s'étaient accumulées sur le Cabinet, et que l'abandon de l'Espagne, de l'Italie et probablement de la Belgique, n'avait abouti qu'à présenter, à tous propos, à la France, l'alternative de la guerre ou de la paix.

Puis, voulant de nouveau justifier sa conduite, et prouver qu'elle n'était pas le résultat de l'ambition dont on prétendait l'accuser, M. Thiers en résumait les motifs à peu près en ces termes :

Il y a une manière d'être dévoué, c'est de suivre un gouvernement toujours, même dans ses fautes; c'est de ne pas oser lui dire la vérité ; c'est de ne pas avoir le courage de se séparer de lui. Il y a un autre dévouement beaucoup meilleur, qui sauverait les gouvernements s'il était toujours pratiqué: il consiste à savoir, à ses dépens, se séparer de lui; à lui dire la vérité; à ne pas le suivre dans ses erreurs.

En voyant se séparer de l'administration tant d'hommes qui avaient servi le pays et que l'on ne pouvait considérer ni comme des insensés, ni comme des coupables; au lieu de les blâmer, il fallait réfléchir et se demander s'il n'arrivait pas à ce gouvernement, comme à ceux qui l'avaient précédé, de dépasser son but; et, en le dépassant, de Jaisser sur sa route les amis qui l'avaient le plus fidèlement servi à toutes les époques. »

Dans une chaleureuse réplique, M. le ministre de l'intérieur révendiquait aussi pour le Cabinet et pour lui, l'épithète de libéral et de réformateur, prudemment pro

gressif. Il croyait représenter le parti gouvernemental, c'est-à-dire, tout à la fois le parti de la résistance et le parti de la conciliation; il rappelait les temps d'épreuves et d'orages que, lui aussi, avait traversés lors du procès des ministres de Charles X, après la mort de Casimir-Périer, et pendant la guerre civile de la Vendée; il était donc resté fidèle à la politique de résistance quand elle avait été nécessaire, à la politique pacifique et conciliatrice, quand elle avait été possible.

M. Passy, se voyant, avec regret, dans la nécessité de manifester ses dissentiments avec le pouvoir, critiquait la direction imprimée à la politique, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Il signalait, notamment, l'abandon de la cause constitutionnelle en Espagne, et l'altération de l'alliance suisse, comme de graves imprudences; d'un autre côté, les empiétements du clergé, et même les pétitions pour la réforme électorale, servaient à prouver qu'une administration faible, faisait souvent autant de mai qu'une administration mal intentionnée.

En effet, continuait l'orateur, tout est factice dans cette ardeur qui se manifeste pour le changement de la loi électorale; il est évident, pour moi, que la main ardente des partis est là pour recueillir et développer un nouveau germe de désordre. Si l'attitude du gouvernement était ferme, si l'administration imprimait au public cette confiances dans ses actes, qui serait si nécessaire, vous ne verriez pas ces pétitions.»

La persistance du Cabinet à rester au timon des affaires, prouvait, suivant l'honorable membre, qu'il n'avait pas pour la pensée de la Chambre, la déférence désirable; toute modification serait insuffisante; chaque ministère devait avoir sa signification propre, et être l'émanation d'une opinion parlementaire; d'autre part, la majorité qui, jusques-là avait soutenu le ministère du 15 avril, pouvait se rappeler que plus d'une fois les hommes les plus dévoués au pouvoir, en ne sachant pas se sé

parer à temps d'une administration ou trop faible ou trop passionnée pour remplir sa mission, avaient laissé s'aggraver des situations qu'il était facile de rectifier à leur origine. Convenait-il encore à cette majorité, dans l'intérêt du pays, de seconder une administration évidemment incapable de présider à ses destinées ?

A M. Passy, dont le discours avait excité les acclamations des extrémités, et de fréquentes interruptions des centres, succéda M. Roul.

Dans son opinion, les hommes éminents, placés à la leur tête de la coalition, avaient déserté leurs principes; renommée en souffrait aussi bien que l'État, dont l'honneur et la force étaient fondés sur la sagesse de ses grands citoyens. N'était-il pas déplorable de voir ces mêmes hommes feindre des tendances qui n'existaient pas, et accuser dans le seul but de condamner? Ce désappointement de la foi polilique était mille fois plus redoutable que l'émeute sur la place publique, parce que celle-ci concentre et excite le courage des bons citoyens, tandis que l'autre les divise, émousse leur force morale, et tue leur patriotisme. Ce que les conjurés voulaient, avant tout, c'était le renversement du ministère. Ce but était bien plus manifeste dans le projet d'Adresse soumis à la Chambre, que dans l'Adresse des 221. L'orateur en tirait cette conséquence inévitable, que ce projet d'Adresse frappait une autorité au-dessus de celle des ministres ; car il renfermait une injonction qui n'était motivée ni par l'opinion du pays, ni par l'état des choses.

Dans un plaidoyer fort étendu, M. Billaut examinait avec beaucoup de clarté les reproches dirigés contre le ministère ; il ne pouvait croire qu'il n'y eût au fond de pareils débats, que des questions de personnes. Comment se refuser à reconnaître le peu de confiance inspirée par le Cabinet, lorsque M. Dupin, lui-même, qui l'avait long

temps déclaré insuffisant, le regardait aujourd'hui comme impossible? Toutes les lois de rigueur, présentées par le ministère, n'avaient-elles pas été repoussées par la majorité, les lois d'utilité publique, ajournées ou péniblement débattues? Enfin, ce gouvernement dont personne n'avait oublié l'origine, n'était-il pas sous le poids d'un doute déplorable? Non, en aucun point, mais surtout en ce qui concernait la politique extérieure, la marche du ministère ne ressemblait à celle du Cabinet présidé par Casimir-Périer. En présence de l'affaiblissement du pouvoir de la couronne et du pays, menacés par l'impuissance de l'administration, M. Billaut votait pour l'Adresse.

M. Martin (du Nord) vint rendre justice à la coalition, en reconnaissant qu'elle avait pour but non pas seulement un changement de ministère, mais encore un changement de système.

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car

Cette concession faite, le ministre des travaux publics se plaça sur le terrain de la défense: le reproche que l'on faisait au Cabinet de n'être pas parlementaire, était vague et bannal, et les accusations de servilité et de corruption, sans fondement; au surplus, le Cabinet pouvait se glorifier de tous ses actes, ils avaient tourné à l'utilité publique, depuis l'amnistie jusqu'à la conclusion des différents avec Haïti. Cependant, les ministres ne voulaient pas garder le pouvoir, malgré la majorité, et ils étaient prêts à se retirer devant un projet d'Adresse hostile, s'il était accepté par la Chambre.

Du reste, l'orateur voyait quelque chose d'effrayant dans cette alliance des opinions les plus diverses, contre le ministère du 15 avril; alliance qui ne pouvait porter que des fruits amers pour la France et pour le pays.

M. Duvergier de Hauranne, dans une réplique savante et étudiée, mais plusieurs fois interrompue par des mou

vements divers, exprimait son opinion sur les principes du gouvernement représentatif, dont il voulait la réalité. Le vice fondamental de la situation, était, à ses yeux, le manque de confiance de la Chambre dans la politique des ministres. Le refroidissement de la Suisse et de la Belgique, et l'attitude de l'Angleterre envers la France, donnaient de justes sujets de craintes, qu'il fallait attribuer à la conduite irrésolue des hommes du 15 avril. A l'intérieur, le ministère était faible, cherchant son point d'appui dans les intérêts privés; les inconvénients qui naissaient de sa situation peu parlementaire, devaient avoir pour résultats de fausser les règles les plus élémentaires du gouvernement représentatif, et d'affaiblir le pouvoir en compromettant la couronne. Comment pouvait-on prétendre que le Cabinet actuel suivit la même politique que ceux du 13 mars et du 11 octobre ?

Est-ce une seule et même politique, s'écriait l'orateur, que de former l'alliance des états constitutionnels ou de la dissoudre; que de protéger l'indépendance des petits états voisins, ou de la menacer; que de prendre Ancône ou de l'évacuer ? Est-ce une seule et même politique que d'élever et de fortifier le pouvoir de la Chambre ou de l'abaisser et de l'affaiblir; que de gouverner par les convictions et à l'aide des forces parlementaires, ou en dehors de ces forces et par les intérets? Le 13 mars et le 11 octobre, cela est vrai, voulaient, comme le 15 avril, l'ordre et la paix, mais non la paix sans dignité, non l'ordre sans moralité. Ce que les amis du 13 mars et du 11 octobre peuvent reprocher au 15 avril, c'est, tout en conservant la lettre morte du programme de ses prédécesseurs, d'en avoir répudié l'esprit ; c'est de s'etre emparés, dans ce programme, de deux ou trois mots sans les comprendre, et d'avoir cru que cela suffisait.

Je prie d'ailleurs ceux qui prétendent que rien n'est changé dans la politique ministérielle, de vouloir bien comparer l'attitude des ministres du 13 mars et du 11 octobre devant la Chambre, et celle des ministres du 15 avril. Loin de se réfugier alors derrière l'inviolabilité royale, on lui servait de bouclier.

N'a-t-on pas dit que notre adresse était dirigée plus haut que le ministère ? C'est bien là se mettre à l'abri derrière l'inviolabilité royale.

Loin de refuser à la Chambre le droit d'exprimer ses griefs en termes respectueux et de faire connaître les conditions de son concours, on l'y engageait. Loin de s'indigner contre une commission qui ose dire que le trône est fondé sur la toute puissance du vœu national, on le

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