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CHAPITRE VIII.

Des

Division dans les conseils du prétendant. Texeiro et Maroto. titution momentanée de ce dernier. - Exécutions militaires d'Estella. Déclaration de D. Carlos qui met Maroto hors la loi, Contre-déclaration. Insurrection de Véra. - Premières conférences de Maroto avec Espartero.- Traité de Bergara.- Entrée de D. Carlos et sa famille en France. - Fin tragique du comte d'Espagne, - Cabrera. -Situation du gouvernement central. Modification du ministère. - Dissolution des Cortès. - Ouverture de la Session. Adoption de la loi des fueros. - Adresse hostile au ministère. Nouvelles prorogation et dissolution. Etat des partis. - Manifeste de Linage, aide-decamp d'Espartero.

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Deux partis se disputaient la conduite des affaires de don Carlos; l'un, celui des absolutistes purs, voulait le triomphe exclusif, sans merci, à flots de sang même de la cause du prince; l'autre ; celui des modérés ou plus justement, des transactionnistes, s'attachant au principe moteur de l'insurrection des provinces, plus encore qu'à la personne du prétendant, semblait disposé à entrer dans des voies plus humaines, plus possibles, et conséquemment plus pacifiques. En effet, les provinces ayant arboré le. drapeau de la révolte, avant même que don Carlos fut venu se réunir à elles, et seulement pour défendre, contre le gouvernement central leurs priviléges, devaient nécessairement se pacifier, du jour où leur seraient accordés des droits à leurs yeux aussi anciens, aussi sacrés que ceux de la royauté elle-même. Deux hommes personnifiaient alors cette double tendance: c'étaient, d'une part, le premier ministre de don Carlos, Texeiro; d'autre part, le commandant général de ses troupes, Maroto. Tous deux tenaient suspendu l'esprit incertain du prince. Un instant Texeiro avait réussi à faire révoquer Maroto de son commandement et à lui donner un successeur dans son propre lieutenant, Francisco Garcia, sans doute en vue de

lui créer des obstacles au sein même de l'armée dont il était le chef; mais la prudence ou la collusion de l'archevêque de Cuba, le père Cyrille, et de quelques autres conseillers de don Carlos, avait fait rapporter cette résolution. Cependant, le coup était frappé un intérêt de vengeance anima le général; un intérêt d'ambition régna sur le cœur de son lieutenant.

La passion de l'un fut assouvie par l'acte le plus sanglant; celle de l'autre fit de lui une victime. Les 17 et 19 février, Francisco Garcia et tous ceux qui pouvaient faire ombre à Maroto, Guergué, Iturriza, Pablo Sanz, le brigadier Carmona, les intendants Uriz et Ochoa, Ibanez, sous-secrétaire d'état de la guerre, et d'autres encore, tombèrent, à Estella, au nombre de treize, sous le glaive des soldats de Maroto. Et, comme il arrive toujours pour ces iniquités politiques et de guerre civile, une commission militaire avait jugé ces hommes condamnés à l'avance, arrêtés en quelque sorte dans leurs propres camps, sur divers points des provinces basques, livrés même par leurs propres soldats. On sait déjà quel était Garcia: Parmi les autres, Pablo Sanz, avait un des premiers (1855) donné son sang à la cause du prince: Guergué avait précédé Maroto dans le commandement en chef, et Ibanez, comme on vient de le dire, était, au moment où il fut frappé, sous-secrétaire d'état au ministère de la guerre. C'était là, sans doute, un acte effrayant, inoui; mais tout porte à croire que Maroto n'avait voulu que prévenir le coup dont il était lui-même menacé.

A la suite de cet épisode, l'un des plus déplorables de cette longue guerre civile, Don Carlos prit d'abord les mesures que lui conseillait sa dignité. Maroto déclaré coupable de haute trahison, fut destitué et mis hors la loi. Mais, presque en même temps (24 février), parut une proclamation signée de la main même du prince, où il décla

rait que de plus amples informations lui avaient appris que «<le lieutenant-général, chef de l'état-major, D. Rafaël Maroto, avait agi dans la plénitude de ses attributions, et d'après l'inspiration des sentiments d'amour et de fidélité qui le distinguaient..., Don Carlos espérait, il le disait, que si Maroto avait pu ressentir avec peine une déclaration offensante, la présente en devait faire cesser les effets, avec la certitude d'être rentré dans la faveur royale. »>

Que s'était-il passé? Comment les dispositions du prétendant avaient-elles si promptement changé? A la nouvelle de la première déclaration portée contre lui, Maroto, au lieu de s'avancer vers Pampelune, comme on s'y attendait, s'était dirigé avec résolution vers la cour du prince. Une entrevue avait eu lieu à Tolosa, et don Carlos avait accepté les conditions imposées par Maroto, qui demanda et obtint la destitution de tous les ministres, et particulièrement de Texeiro, comme aussi l'éloignement de tous leurs partisans. Pour sortir de cette position, le prétendant essaya de se rapprocher de ses bataillons navarrais encore dévoués à sa cause, en transportant d'Onâte à Estella son quartier général (juillet). Montenegro, son ministre de la guerre, auquel fat annoncée cette résolution, déclara à don Carlos que les ordres de Maroto s'opposaient à ce déplacement; en d'autres termes, qu'il était prisonnier de ce général. L'insurrection du 5e bataillon de Navarre, qui s'était retranché à Vera, avait semblé ouvrir au prince une autre voie de salut. Maroto s'était avancé contre les troupes restées fidèles à don Carlos : mais il y avait eu de la part de ces soldats une hésitation qui tourna encore une fois contre une cause si fortement menacée.

Une dernière entrevue eut lieu à Villaréal de Zumaraga entre le prince et son lieutenant! Elle demeura sans résultat; c'était à l'époque où le général Espartero, s'empa

rait de la ligne de Vittoria à Durango. Les choses étaient donc avancées! Cerné par son ennemi, par les hommes mêmes de son parti, le prétendant essaya dans une revue, d'agir par lui-même sur ses troupes; il les harangua, leur demanda s'il pouvait compter sur elles le cri de vive Maroto, poussé en même temps que celui de vive le roi, fut la seule réponse qu'il put obtenir. Il insista pour une manifestation plus catégorique, ce fut en vain. Le prince n'attendit plus alors que toutes les troupes eussent défilé devant lui; il s'en retourna par la route de Borunda, suivi de Villaréal, dont il s'était souvenu en ces temps de revers, et qu'il avait rappelé de l'exil, et vint descendre à Hurmende, hameau voisin du village de Loraza, dans la Borunda! C'était donc une cause désormais perdue!

Le général Espartero, aux titres duquel la reine avait récemment ajouté celui de duc de la Victoire, venait précisément d'occuper Onâte et Bergara. Maroto vint trouver le général constitutionnel; c'était à Eguela, entre Urquiola et Bergara. Six bataillons accompagnaient le lieutenant de don Carlos. Toutefois, cette première conférence n'eut point d'abord de résultats; mais le projet d'une transaction préparé d'ailleurs, depuis long-temps, et poursuivi par l'intermédiaire des agents de l'Angleterre et de la France, y fut formulé.

Des quatre propositions faites de part et d'autre, les trois premières, celle de la reconnaissance d'Isabelle II, du maintien des fueros, et de la conservation des grades des officiers carlistes, auraient d'abord été admises; mais le duc de la Victoire ne se croyait point autorisé à accéder à la quatrième, qui maintenait dans la famille de don Carlos, lui exclu, le droit de succession au cas où la descendance des deux filles de Ferdinand VII, viendrait à s'éteindre. Ainsi, le général qui abandonnait don Carlos, paraissait donc se détacher de sa personne plus encore que

de sa cause. Cependant les conférences furent reprises par les soins des commissaires anglais et français, pendant que le général Espartero s'avançait sur la rive gauche du Deva. Et le 31 août, fut conclu à Bergara, entre le duc de la Victoire et le général don Rafaël Maroto, le traité célèbre qui mit fin à cette longue guerre civile, et posait les principes qui devaient rassurer les provinces.

L'article 1er portait de la part du général des troupes de la reine, l'engagement de proposer aux Cortès, la concession ou la modification des fueros, et ceci était le point capital: c'était toute la question entre les provinces, qui tenaient à leurs priviléges, et le gouvernement central. Cette confirmation ou ces modifications, devaient, il est vrai, difficilement s'accorder avec les exigences des institutions représentatives, mais on sacrifiait un intérêt présent à un avenir qu'on ne pouvait trop chèrement acheter.

L'art. 2 maintenait dans leurs emplois, grades et décorations, les généraux, chefs et officiers de l'armée de Maroto. Il leur était loisible, et beaucoup profitèrent de la disposition, de continuer leur service dans les troupes de la reine. Les autres articles n'étaient qu'accessoires on réglementaires.

Cinq bataillons castillans, trois Guipuscoans, huit biscayens fraternisèrent aussitôt avec les troupes du duc de la Victoire. Ce général embrassa publiquement l'ex-commandant des armées de don Carlos.

Que faisait alors ce prince si malheureux ? La défection de Maroto n'était plus pour lui un mystère. En effet, dans une proclamation adressée le jour même aux peuples de la Navarre et de la Biscaye, l'infant dévouait aux peines des traîtres, le signataire du traité de Bergara. De son côté, Maroto essaya, dans un manifeste publié en même temps, d'expliquer sa conduite :

Convaincu par l'expérience, disait le général, que jamais don Carlos ne ferait le bonheur de ma patrie, uni de sentiments avec les chefs mi

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