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> En défendant plus énergiquement les droits de la Turquie, l'Empereur compte sur le patriotisme du pays, sur l'alliance intime de l'Angleterre et sur les sympathies des gouvernements d'Allemagne.

» Ces gouvernements ont constamment déclaré qu'ils voulaient, aussi résolument que nous, maintenir l'équilibre européen, faire respecter l'intégrité et l'indépendance de l'empire ottoman. Il n'y a pas d'autre question engagée dans le débat.

>> L'attention se tourne vers l'Autriche, que sa position appelle à jouer un rôle actif et important. L'Autriche s'est toujours prononcée avec une grande fermeté en faveur des points qui ont été établis dans le protocole de la conférence de Vienne du 5 décembre dernier.

>> Nous avons toute confiance dans la loyauté et le caractère chevaleresque du jeune Empereur d'Autriche; nous trouvons, en outre, une garantie des dispositions de son gouvernement dans les intérêts de ses peuples, intérêts qui sont identiques aux nôtres. » Dans les circonstances générales de la politique européenne, la France, forte de ses intentions loyales et désintéressées, n'a rien à redouter de la lutte qui se prépare. Elle sait d'ailleurs qu'elle peut compter sur l'énergie autant que sur la sagesse de l'Empereur. >>

Il ne s'agit plus, on le voit, de demander si c'est la paix, si c'est la guerre. La situation est éclaircie, les sous-entendus ne sont plus de mise, les efforts de la diplomatie sont restés impuissants, il faut recourir à des moyens plus efficaces.

CHAPITRE IV.

LA GUERRE DÉCLARÉE.

cation.

Récriminations, appels aux peuples, préparatifs de guerre : manifeste du Tsar, modération diplomatique et mysticisme fanatique. Sommation d'évacuer les Principautés adressée à la Russie par la France et l'Angleterre; l'Autriche l'appuie; la Prusse s'y refuse; oscillations continuelles des puissances allemandes; projet d'un traité à quatre; l'Autriche veut interdire à la Russie le statu quo, la Prusse se refuse à signer. Insinuations du gouvernement rasse relatives à l'Angleterre, réponse du gouvernement britannique, production des correspondances secrètes, effet de cette publication, essai de justifiDéclarations semi-officielles de l'Autriche et de la Prusse, nuances d'attitude. Discours de S. M. Napoléon III à l'ouverture des Chambres, annonce prématurée de l'alliance autrichienne, silence gardé sur la Prusse; inquiétudes de l'Autriche, ses armements, on cherche à la rassurer, ce ne sera pas une guerre révolutionnaire; hésitations de la Prusse, ses scrupules dans l'affaire de la sommation, encouragements donnés à l'obstination russe. Réponse de la Russie à la sommation des puissances, on ne répondra pas, on ne déclarera pas la guerre; déclaration indirecte à ce sujet, l'intervention passionnée. Messages des gouvernements de France et d'Angleterre dénonçant l'état de guerre, dernière protestation en faveur de la paix ; adhésion unanime en France, récriminations peu dignes dans le parlement anglais. Principes posés au début de la guerre, le droit des neutres, les lettres de marque, la guerre civilisée.

Entre les derniers jours de mars, époque de la déclaration de guerre, et les derniers jours de février marqués par l'abandon de toute espérance de paix, se place une période de temps remplie par les récriminations, par les appels aux peuples dont les armées vont s'entrechoquer, par les préparatifs de guerre.

Le lendemain même du jour où le Moniteur a constaté l'impuissance des négociations et la nécessité de la guerre, l'empereur

Nicolas adresse à ses sujets un manifeste habilement calculé pour simuler la modération aux yeux des puissances étrangères et pour exciter le fanatisme religieux des populations russes. A l'Europe, il ne parle que des procédés insultants des puissances protectrices de la Turquie et de ses ambassadeurs qu'il a fallu rappeler; à ses sujets, il montre la Russie orthodoxe prête à combattre les ennemis de la chrétienté, parmi lesquels il compte désormais la France et l'Angleterre. Et il rappelle, dans un langage mystique, les fastes mémorables de l'année 1812!

Nous, Nicolas Ir, empereur et autocrate de toutes les Russies, roi de Pologne, etc., etc.,

Nous avons déjà fait connaître à nos bien-aimés et fidèles sujets les motifs de nos différends avec la Porte ottomane.

Depuis lors, malgré le commencement des opérations militaires, nous n'avons pas cessé de désirer sincèrement, comme nous désirons encore anjourd'hui, le rétablissement de la paix. Nous avons même nourri l'espoir que la réflexion et le temps convaincront le gouvernement turc de son erreur, provoquée et entretenue par les intrigues astucieuses qui représentaient nos justes exigences, fondées sur les traités, comme des acles attentatoires à son indépendance, et cachant des desseins sur son intégrité.

Les gouvernements anglais et français ont pris fait et cause pour la Turquie, et l'apparition des flottes combinées à Tsargrad (Constantinople) a encouragé encore plus la Porte dans son entêtement.

Enfin les deux puissances occidentales, sans déclaration de guerre préalable, ont fait entrer leurs flottes dans la mer Noire, en affichant leur intention de défendre les Turcs et d'empêcher notre flotte militaire de naviguer librement pour la défense de nos propres côtes.

Après une conduite pareille, sans exemple parmi les puissances civilisées, nous avons rappelé nos ambassades de l'Angleterre et de la France, et nous avons rompu nos relations politiques avec ces deux États.

Ainsi donc l'Angleterre et la France se placent à côté des ennemis de la chrétienté, et contre la Russie qui combat pour l'orthodoxie!

Mais la Russie ne faillira pas à sa mission; et si ses ennemis attaquaient son territoire, nous sommes prêts à les recevoir avec la fermeté que nos ancêtres nous ont léguée. Est-ce que vous ne somines plus le même peuple dont l'année 1812 témoigne les hauts faits? Que le Tout-Puissant nous offre l'occasion de le prouver! C'est dans cette pensée que nous allons combattre pour nos frères opprimés, et qui professent la religion du Christ.

Unissons nos cœurs, et de la voix la plus forte de la Russie, écrions-nous : « Notre Seigneur, notre défenseur, qui pourra nous faire peur? Que Dieu ressuscite, et ses ennemis s'en iront en poussière! n

Le 27 février partirent de Paris et de Londres deux dépêches identiques contenant sommation formelle à l'Empereur de Rus

sie d'ordonner, dans les six jours qui suivraient la réception de cette communication, l'évacuation des Principautés danubiennes pour le 30 avril au plus tard. Le refus de S. M. l'Empereur de répondre ou d'obtempérer à cette communication, serait considéré comme une déclaration de guerre.

On se rappelle que le représentant autrichien, à la conférence de Vienne, avait eu le premier l'idée de cette sommation à bref délai. M. de Buol la fit appuyer à Saint-Pétersbourg, parle ministre d'Autriche. Il n'en fut pas de même de la Prusse. Il semblait déjà que son gouvernement regrettât l'énergie avec laquelle il avait repoussé, sans même les attendre, les propositions de M. le comte Orlof. Était-ce done que, des deux puissances allemandes, Punes'arrêterait toujours à temps pour paralyser l'autre ? Tout à l'heure, c'était l'Autriche qui formulait un projet de neutralité allemande, et la Prusse persistait loyalement dans ses engagements de Vienne. Maintenant, c'était la Prusse qui revenait aux idées de neutralité égoïste, et l'Autriche faisait accorder honorablement ses actes avec ses paroles. M. de Buol alla même plus loin: les ministres de France et d'Angleterre avaient proposé à la conférence un traité à quatre, dont les stipulations positives eussent engagé l'action de chacune des puissances signataires et qui eût présenté à la Russie la barrière infranchissable d'une formidable coalition. La Prusse refusa sa signature: le cœur lui avait manqué au moment de participer à un acte qui, accompli d'un commun accord, rendait sans doute la guerre impossible. L'Autriche, au contraire, ne trouva pas assez formelles les stipulations de ce traité, et demanda qu'on y introduisît une clause rendant impossible, pour la Russie, le rétablissement du statu quo ante.

Tandis que, par les défaillances de la Prusse, s'évanouissait une fois encore cette ligue européenne que tant d'efforts cherchaient à constituer, un incident étrange venait jeter sur les prétentions secrètes et sur la feinte modération de la Russie une lumière inattendue.

Nous avons raconté l'année dernière, à leur ordre de date, (Voyez l'Annuaire précédent, p. 66), les ouvertures faites à partir du 9 janvier 1855 par l'empereur Nicolas au représentant de

Ja Grande-Bretagne à Saint-Pétersbourg. Mais ce que nous ne pouvions dire alors, c'est de quelle manière furent révélés ces secrets qu'on eût pu croire ensevelis à jamais sous la poussière des chancelleries. C'est une récrimination du gouvernement russe qui mit sur la trace de ces documents confidentiels et qui en nécessita la publication.

On aura déjà remarqué la différence d'attitude de la chancellerie russe à l'égard de l'Angleterre et de la France. Cette irritation, particulièrement dirigée contre l'Angleterre, fut plus ouvertement encore manifestée dans un document semi-officiel que son importance nous a engagé à joindre aux autres pièces rapportées par nous dans l'Appendice. C'est un article du Journal de Saint-Pétersbourg, à la date du 2 mars, dans lequel le gouvernement russe se plaignait avec amertume des épithètes un peu vives, appliquées à sa conduite par lord John Russell, dans la séance de la Chambre des communes du 17 février. On y attribuait la marche fatale des événements à une regrettable méfiance contre la Russie. Mais si cette méfiance était jusqu'à un certain point excusable dans le gouvernement français, comment la comprendre dans le gouvernement britannique?

Vous du moins, disait-on à l'Angleterre, vous n'aviez aucune raison de douter de nos intentions, puisque, à une époque antérieure à la mission du prince Menchikof, l'empereur Nicolas communiquait spontanément avec la Reine d'Angleterre et ses ministres, afin d'établir entre eux un accord intime, dans le cas d'une dissolution de l'empire ottoman. On ajoutait que, pas plus tard qu'en janvier 1853, pendant la courte administration de lord John Russell au foreign-office, l'ambassadeur britannique à Saint-Pétersbourg avait eu, sur le même sujet, avec l'Empereur de Russie, des conversations particulières et détaillées qui avaient servi de point de départ à une correspondance secrète.

Cette fois encore, l'habileté fut déjouée par la loyauté. Si on avait espéré à Saint-Pétersbourg que ces demi-révélations jetteraient entre l'Angleterre et la France des germes de division, l'événement prouva qu'on s'était bien trompé. Interpellé dans le Parlement, le cabinet britannique n'eut, pour se disculper, qu'à produire les pièces auxquelles on avait fait allusion.

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