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janvier 1914), secrétaire du Comité de l'Association des Ingénieurs des Ponts et Chaussées et des Mines.

C'est au milieu de ce vaste ensemble d'occupations si diverses et si absorbantes que s'écoulèrent rapidement, pour M. de Joly, les années qui précédèrent la guerre. Le 1er août 1914 l'arracha à cette vie si remplie et déjà si fatigante, au moment où il allait prendre un des rares congés qu'il se laissait accorder. Il devait, par sa lettre de service, remplir, en cas de mobilisation, auprès du préfet maritime de Cherbourg, les fonctions de conseiller technique pour l'éclairage et le balisage des côtes, service qui passait automatiquement alors dans les attributions des commandants de nos arrondissements côtiers.

Il s'acquitta de cette tâche nouvelle et très complexe avec tout le tact désirable, s'efforçant d'obtenir, malgré les émotions inévitables du début de cette guerre, que les légitimes exigences de notre défense maritime n'aggravent pas inutilement les risques déjà courus par la navigation commerciale. Il fit souvent prévaloir ses points de vue, tour à tour fermes et conciliants, pour limiter les effets de décisions trop hâtives, pour éviter des mesures irréparables, notamment lors de la menace d'évacuation de notre littoral septentrional.

Il apporta quelques autres concours subsidiaires à la Marine, soit par ses connaissances en langue allemande, soit du fait de ses notions sur la configuration des rivages ennemis.

Son départ, au début du huitième mois de la guerre, fut vivement regretté, et ses services avaient été assez appréciés pour qu'il eût été l'objet d'une proposition de promotion dans la Légion d'honneur (1).

C'est dans des conditions bien tristes qu'il quittait son poste de mobilisation: il venait d'y perdre (17 février 1915), après une

(1) Il ne devait obtenir la rosette qu'à dater du 10 juillet 1918, au titre du Département de la Guerre, où il comptait alors, par rattachement au 4 bureau de l'Etat-major de l'Armée.

courte et foudroyante maladie, sa plus jeune fille, âgée de onze ans seulement, dont le gracieux enjouement était le charme des trop rares moments que M. de Joly pouvait consacrer à la vie de famille.

Ce premier ébranlement laissa chez lui des traces profondes et il s'y ajouta bientôt la préoccupation de voir son fils rejoindre au front le corps d'artillerie où il s'était engagé.

Il essaya d'effacer un peu les souvenirs pénibles que devait lui rappeler Cherbourg en acceptant à Paris (Arrêté du 22 février 1915) les fonctions d'adjoint au Commissaire technique des ports maritimes et en s'absorbant dans cette lourde tâche pour laquelle sa compétence indéniable l'avait fait désigner.

La Commission des ports maritimes était un organisme mixte centralisant les efforts des Départements de la Guerre et des Travaux publics en vue d'utiliser nos ports avec le meilleur rendement, et notamment pour assurer les opérations des divers services militaires. L'importance de ces questions s'accroissait toujours en effet avec les besoins de nos importations, l'augmentation du nombre et du concours de nos alliances, les fluctuations des opérations sur terre qui obligeaient à renoncer momentanément à certains ports et à transférer à d'autres leurs installations spéciales.

Soit en qualité de Commissaire technique adjoint (mars 1915décembre 1916), soit plus tard sous les titres de Chef-adjoint et Chef du Service central d'Exploitation militaire et commerciale des Ports maritimes (1917-1918), soit enfin comme. Directeur des Ports maritimes (effectivement de juillet à octobre 1918), M. de Joly mit son immense activité au service des importantes fonctions qui ressortissaient à nos ports et leur communiqua là vive impulsion dont son âme d'organisateur et ses sentiments patriotiques lui révélaient l'impérieuse nécessité.

Les circonstances commandaient alors d'instaurer, au lieu de la liberté quasi absolue qui caractérisait naguère l'exploitation de nos ports, une organisation et une discipline qui furent de plus en plus strictes, de plus en plus indispensables et se révélèrent de plus en plus fructueuses.

Il contribua ainsi à accroître, dans une forte proportion, la puissance de nos déchargements par l'acquisition, à l'étranger, d'un grand nombre d'engins de levage, par l'organisation du travail continu avec les ressources en mains-d'œuvre prisonnière, coloniale ou étrangère mises successivement à sa disposition et par une bonne répartition de cette main-d'œuvre; il contribua à accélérer beaucoup l'évacuation des marchandises par une meilleure utilisation de la voie d'eau, de meilleures liaisons avec le réseau ferré, une concentration convenable des services de camionnage.

L'importation des charbons, des aciers, des céréales, la création ou l'extension des bases de nos alliés anglais et américains étaient au premier rang des préoccupations; elles durent à M. de Joly une bonne part des résultats obtenus, et ceux-ci comptèrent parmi les facteurs de la victoire finale.

Nombreux furent les travaux qu'il fallut, à cet effet, entreprendre et achever en pleine guerre, les postes de déchargement qui furent créés de toutes pièces ou complétés, les adjonctions de voies, de raccordements et de faisceaux de triage supplémentaires qui furent décidées et réalisées avec le concours des réseaux et du génie militaire, les constructions de camps pour la main-d'œuvre embrigadée, les parcs de camionnage qui surgirent dans la plupart de nos ports.

Pour consacrer le meilleur de son temps et de son labeur à ces œuvres de guerre, M. de Joly ne négligeait pas de prévoir la reprise, après la paix, des travaux ou des programmes d'extension de nos grands ports, tant pour parer à une crise possible à la fin des hostilités que pour ne pas encourir un retard préjudiciable au maintien de notre outillage national à la hauteur des futures circonstances économiques; les ports du Havre, de Dunkerque, etc., bénéficièrent notamment de l'activité éclairée qu'il déployait lui-même et iuspirait aux autres dans tous les objets dignes de ses préoccupations.

En dehors de ses fonctions officielles au Ministère des Travaux publics et de ses conférences presque quotidiennes avec les représentants du Ministère de la Guerre ou ceux des missions

alliées en France, M. de Joly ne laissait pas que d'être souvent désigné pour des commissions administratives de l'ordre de celles qui faisaient si souvent rechercher son concours avant la guerre, comme la question du renouvellement de la concession des services maritimes entre la France et l'Amérique du Nord (21 juillet 1915), les questions intéressant la marine marchande au point de vue de l'administration du domaine public maritime et des concessions corrélatives d'établissements fixes ou mobiles (25 octobre 1915), les questions relatives au port de Paris qui revenaient à l'ordre du jour (5 septembre 1917); c'est ainsi encore qu'il fut temporairement chargé des fonctions de rapporteur-adjoint au Comité consultatif de règlement amiable des entreprises de travaux publics et des marchés de fournitures (mai 1915).

Quand son état de santé nécessita, en se prolongeant, son remplacement comme Directeur, ce fut encore une mission spéciale qu'on lui confia en vue de la reprise des relations commerciales (19 juillet 1919); il s'agissait d'étudier l'amélioration des conditions d'évacuation des ports et les soudures à établir avec les chemins de fer pour la meilleure desserte des lignes de passagers.

Au moment où il fut chargé, à la fin de 1917, de gérer plus directement l'ensemble des affaires intéressant les travaux et l'aménagement des ports, les phares, la défense et l'aménagement des côtes, le domaine maritime, il fut appelé (Décret présidentiel du 2 octobre 1917) à prendre part, avec voix consultative, aux séances du Conseil d'État où devaient se discuter les affaires de son ressort. Et ce ne dut pas être l'une des moindres satisfactions de sa carrière si brillante que de se voir ouvrir ainsi la porte de cette haute Assemblée dont des liens de famille très étroits l'avaient de tout temps rapproché.

L'action de M. de Joly dans le service des ports maritimes fut cependant loin d'être continue pendant les années de guerre qu'il passa à l'Administration des Travaux publics. Elle fut interrompue une première fois en décembre 1916 quand les dif

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ficultés considérables rencontrées pour l'exécution de nos transports sur mer déterminèrent le rattachement des questions les concernant.au Sous-Secrétariat d'État des Transports. Le Ministre, ainsi chargé de ces délicates et nouvelles fonctions, ne crut pas pouvoir mieux choisir son collaborateur qu'en s'adressant pour cette lourde tâche à M. de Joly.

Comme chef de ce Service improvisé, il s'essaya, avec son esprit de méthode habituel, avec le dévouement et l'énergie inlassables qu'on lui connaissait, décuplés encore à la vue de toute l'énormité des difficultés accumulées devant lui et de l'importance nationale de l'enjeu à défendre, il s'essaya donc à introduire autant d'ordre que possible dans notre situation et à tirer parti de nos moindres ressources. Il prêta au gouvernement l'appui total de son expérience, de son jugement et de son énorme puissance de travail. Ce fut la période la plus pénible, la plus fébrile, la plus héroïque de sa carrière; c'était aussi (février-mars 1917) l'époque la plus critique de la lutte maritime, où l'intensification des torpillages rendait singulièrement difficile la tâche de celui qui avait mission d'assurer nos transports sur mer. Tout nouvel incident ébranlait en lui les fibres les plus vibrantes de son organisme surmené, et l'anxiété patriotique s'ajoutait au sentiment professionnel pour lui faire vivre des heures véritablement angoissantes dont le sommeil même ne parvenait plus à réparer les effets. Ceux qui ont vu M. de Joly, en ces moments tragiques, partagé entre les préoccupations officielles, les conférences ou réunions incessantes et le travail personnel qu'il savait n'y pas sacrifier entièrement, ceux qui l'ont vu également obligé de répondre à quiconque réclamait le secours de ses lumières, à des appels devant la Chambre, à des convocations au Conseil des Ministres parfois jusque fort avant dans la nuit, s'étonnent moins de la ruine de sa santé, sous cet effort démesuré, que de la résistance prolongée de son organisme en prise à un régime aussi

meurtrier.

Parmi ces causes d'épuisement physique et moral, devait encore se mêler l'obligation, plusieurs fois répétée, d'accompagner à Londres des personnalités politiques chargées d'impor

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