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l'autre des capitales de l'Europe, pour y représenter le Gouvernement français, les délégués habituels du Département des Travaux publics. Sa compétence, ses relations personnelles, son expérience en ce genre de réunions désignaient incontestablement M. de Joly pour y participer; c'est pourquoi, bien qu'il fût à Toulouse, se vit-il confier les fonctions de secrétaire de la délégation française au congrès de navigation intérieure et maritime qui eut lieu à Pétrograd, au début de juin 1908.

Ces circonstances, jointes à la vacance qui venait de se produire au Service des Phares par le fait de l'admission à la retraite du baron Quinette de Rochemont, directeur de ce Service, déterminèrent vite le retour de M. de Joly; il abandonna Toulouse pour Paris à la date du 1er novembre 1908. Mais il ne devait pas seulement y occuper, à la tête du Service central des Phares, la place de M. Ribière promu aux fonctions de directeur; l'Administration tint à le charger en même temps d'une section de la Seine fluviale, entre Paris et Rouen.

A ce dernier titre, il eut à se mêler aux vives discussions qui partageaient encore l'opinion sous le terme symbolique de « Paris, port de mer >>; il eut à s'occuper de l'avant-projet général d'amélioration de la Basse Seine qui a abouti à décider l'augmentation de la profondeur en rivière jusqu'à 4 m. 50 tout au moins, la régularisation des formes et de la section du chenal, l'accroissement du tirant d'air sous les ponts. Le projet de reconstruction du barrage de Martot, le plus rapproché en amont de Rouen, était également à l'étude; il devait être abandonné par la suite dans le but de permettre à la marée de remonter le plus loin possible et d'accroître ainsi la puissance hydraulique du fleuve.

Le mouvement d'idées auquel prit part M. de Joly à cette époque lui valut de continuer à s'occuper des questions générales intéressant le port de Paris dans les commissions constituées pour cet objet, même après qu'il eut quitté la Navigation de la Seine.

M. de Joly ne devait pas tarder d'ailleurs à sentir lourdement le double poids des deux grands Services dont on l'avait chargé simultanément; il ne résista que par son excellente constitution Ann. des P. et Ch., MÉMOIRES, 1920-I.

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à cette période de surmenage intense qu'aggravait la préparation simultanée de sa première année de cours à l'École des Ponts et qui correspondait en réalité à la tâche de plusieurs ingénieurs; il demanda donc à être relevé du Service de la Seine qu'il abandonna à M. Mahieu, le 1er octobre 1909; il n'en emportait pas moins, pour son court passage de onze mois dans ce dernier service, les regrets de ses administrés. (Manifestation de la Chambre syndicale de la Marine et de la Batellerie.)

Le Service central des Phares et Balises était loin de représenter, au surplus, la totalité des attributions qui se trouvaient alors imparties à M. de Joly.

Entre ses diverses occupations, il faut compter tout d'abord son professorat à l'École des Ponts et Chaussées et la composition des publications et ouvrages techniques parallèles à son enseignement.

C'est dès son retour de Toulouse qu'il fut appelé à succéder au baron Quinette de Rochemont dans la chaire du cours de Travaux maritimes; il avait déjà, le plus souvent à l'improviste, suppléé maintes fois son éminent prédécesseur pendant ses absences que rendait plus fréquentes, dans les dernières années, son mauvais état de santé.

M. de Joly devait garder pendant onze ans (1908-1919) ce titre de professeur qui a tenu une si large place dans sa vie administrative, qui a rehaussé et rehaussera peut-être encore sa réputation scientifique de tout le relief de son enseignement oral auprès de nombreuses générations d'élèves, de toute la solide et brillante renommée qui paraît réservée à la publication de son enseignement écrit, de toute l'autorité qu'il sut rapidement acquérir dans le corps enseignant de l'École des Ponts.

A ses leçons si condensées, si nourries, il voulait bien ajouter, en une causerie familière avec ceux de ses auditeurs et ils

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étaient nombreux auxquels il avait réussi à communiquer sa passion pour les travaux maritimes, des explications, des commentaires propres à achever d'éclairer sa pensée si rapide, à faire pénétrer les nouveaux initiés dans l'âme de ces questions que son esprit dominait avec autant de maîtrise que d'aisance.

Il s'établissait ainsi, de professeur à élèves, un faisceau de liens si rares et si appréciés que les vicissitudes de la carrière ne les rompaient généralement pas; une correspondance demeurait entre maint jeune ingénieur, trop isolé pour ses débuts, et l'homme si apte et si disposé à le guider de ses conseils. C'est pourquoi l'on retrouve dans ses papiers de nombreuses lettres où les avis sur le choix d'un poste alternent avec les consultations techniques demandées à l'occasion d'un projet original, d'une difficulté inopinée. Cet échange de vues et d'idées qui prenaient ainsi naissance à la suite du cours pour se perpétuer dans la vie active faisait en quelque sorte de M. de Joly un véritable chef d'école, au sens que revêtait chez les anciens la fonction éducative.

Si la mort a suspendu trop tôt cette amicale et charmante communion de pensées entre le maître et ses disciples, ceux-ci pourront encore retrouver, à défaut de l'aide précieuse d'un conseiller écouté, le secours de son immense savoir, car le fruit de ses méditations et de sa vie laborieuse se verra matérialisé dans le cours écrit que des sollicitations instantes et l'impatience générale le pressaient de préparer en vue d'une rapide publication.

Une connaissance complète qu'il acquérait de tous les travaux en cours sur le littoral, à la faveur de ses inspections d'éclairage maritime, une documentation qu'il étendait au monde entier grâce à ses missions et à ses relations auprès des Ingénieurs de tous les pays permirent, en effet, à M. de Joly, de rassembler les matériaux d'un véritable monument consacré à la vaste matière des travaux maritimes et de préparer, pour les jeunes générations d'Ingénieurs formées à son enseignement, une œuvre bien précieuse, pleine d'aperçus didactiques lumineux sur la plupart des questions.

Il comptait constituer son cours en trois volumes et il en amassait, de longue date, les matériaux divers, notant, découpant, classant tout ce qui lui semblait intéressant dans les nombreuses publications techniques méthodiquement parcourues chaque jour.

Dans sa première partie (1), il donnait libre cours à son amour de la mer qu'il sut inculquer à tant d'adeptes, et sa description des phénomènes généraux de la marée, des vents et des lames, laissera peu de lecteurs indifférents; il avait pénétré d'ailleurs les besoins profonds et véritables du marin, si difficiles souvent à bien exprimer et dégager, parce qu'il en connaissait le métier et en sentait la complexité qui échappe au profane: ce don si rare ajouta toujours à l'autorité de ses avis en matière d'établissements à la mer.

Il apporta notamment ses plus grands soins à l'exposé de la question qui est peut-être, en théorie et en pratique, la plus complexe de l'art de l'Ingénieur, celle de la propagation de la marée dans les fleuves et de l'amélioration des rivières maritimes; cet important chapitre est, à lui seul, un véritable traité sur la matière; les diverses études antérieures y sont magistralement rappelées et discutées, comme celles de Bourdelles et de Franzius; elles sont suivies d'une monographie assez détaillée des travaux de régularisation de nos grands estuaires : la Seine, la Loire et la Garonne que M. de Joly connaissait également bien.

Dans la seconde partie, consacrée aux ouvrages extérieurs des ports et à leurs accès, on remarque particulièrement le chapitre des digues où la multiplicité des types d'ouvrages réalisés dans le monde offrait à sa documentation un champ de développement et à son expérience une occasion de critique comparative dont les lecteurs du cours tireront ultérieurement le plus grand profit.

La troisième partie réunit tout ce qui est relatif aux ports proprement dits, à leurs ouvrages intérieurs, leur outillage, leur exploitation; à ces sujets, comme aux précédents, il a apporté les immenses ressources de ses connaissances encyclopédiques, les appuyant de renseignements numériques innombrables, qu'il possédait d'ailleurs à la mémoire presque aussi sûrement que dans ses fiches. La classification qu'il adopta, en cette matière

(1) La mer et la navigation maritime.

complexe et touffue, y fait très clairement ressortir des directives générales et ajoute à l'intérêt de l'exposé, où la question de l'outillage des quais, celle des ponts du plus récent modèle ont reçu des développements particulièrement poussés.

Si cet aperçu succinct a pu donner une idée de l'immense labeur accompli par M. de Joly pour la constitution de cette œuvre, on sentira combien il eût été regrettable de la voir perdue pour le monde savant, faute de quelques parachèvements que devaient retarder et empêcher finalement le surcroît d'activité déployé par l'auteur pendant la guerre, la maladie qui en résulta et la disparition rapide de cette si large et si bienfaisante intelligence.

Heureusement, ce travail immense n'aura pas été préparé en pure perte, car il va recevoir les compléments qui en empêchaient la publication et il viendra. doubler à son heure, en le rajeunissant, le cours de Quinette de Rochemont.

Ses fonctions professorales appelaient aussi M. de Joly au Conseil de perfectionnement de l'École, subsidiairement à la Commission des Annales des Ponts et Chaussées, auxquels il apportait, même en dehors de sa compétence spéciale, le concours d'un esprit tout empreint de clarté et de franche décision.

Il collabora largement de sa plume à notre publication professionnelle; on ne compte pas moins de seize articles signés de son nom dans les Annales. Diverses dispersions d'épaves, ses travaux de dragages à Saint-Nazaire, quelques notes sur l'éclairage des côtes et sur certains établissements remarquables (phares d'Eckmühl et de Chassiron), sur la vision des feux associés, les conditions de leur perception distincte, les phénomènes d'irradiation, avec la revision des règles de M. Léonce Raynaud et la substitution d'une formule pratique à des relations théoriques infirmées par l'expérience, la résistance des ciments, des notices sur les ports étrangers de Hambourg, d'Italie, de Russie, d'Amérique et des Grands Lacs (1), des articles biographiques

(1) Le Mémoire relatif à l'étude de quelques ports maritimes de la côte d'Atlantique et à la Navigation des Grands Lacs de l'Amérique du Nord,

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