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exercer leurs fonctions auprès du Corps législatif, on peut considérer que, pendant la période longue et mouvementée comprise entre 1827 et 1892, l'existence de cette famille s'est confondue. avec notre histoire parlementaire, se mêlant même par moments à nos vicissitudes nationales.

C'est à eux qu'il fut donné, à plusieurs reprises, de créer, pour nos diverses assemblées, les salles nécessaires à leurs délibérations, de permettre,

par exemple (1828-1832), à la Chambre de la Restauration, de siéger au Palais Bourbon sur le même emplacement que le Conseil des Cinq Cents; en 1848, à l'Assemblée constituante et à ses 900 membres de trouver provisoirement un abri dans la cour d'honneur de cet ancien

hôtel du prince de Condé; ce furent chaque fois des tours de force professionnels et des prodiges de rapidité. Mais ce n'était rien encore pour l'architecte du Corps législatif auprès des tribulations que lui

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valut l'«< année terrible » quand il fallut improviser, au grand théâtre de Bordeaux, les premières séances de notre Assemblée nationale, puis quand il fallut, en douze jours, la transférer au palais de Versailles, plus tard encore, quand il fallut permettre à la Constitution de 1875 de jouer matériellement par la coexistence de deux chambres susceptibles d'être réunies parfois en congrès. Edmond de Joly était passé maître dans ces transformations

magiques auxquelles il avait habitué son entourage et qui lui valurent d'être consulté pour les cas embarrassants de cette nature par les jeunes régimes parlementaires de l'Europe. On peut dire qu'il influa même sur la tournure des événements politiques quand il pesa, de ses objections techniques, sur les hésitations de M. Thiers qui préférait Fontainebleau à Versailles pour l'Assemblée nationale, car le chef du pouvoir exécutif n'eût peut-être pas trouvé, dans l'ex-résidence impériale, les avantages offerts par celle de Louis XIV pour triompher de la Commune. Ce fut enfin un véritable rôle diplomatique que fit jouer au père de Georges de Joly notre gouvernement de Défense nationale quand il lui demanda de négocier, avec le prince de Bismarck, l'évacuation militaire de Versailles pour y permettre les délibérations de la nouvelle assemblée; il déploya, dans cette mission si inattendue, une dignité et une maîtrise qui impressionnèrent le Chancelier de fer.

Tels furent les exemples et les souvenirs qui formèrent et encadrèrent la première enfance de Georges de Joly.

Son père lui fit faire ses études secondaires au lycée Louis-leGrand (1); il les termina au collège Stanislas, toujours dans les plus brillantes conditions, ayant remporté plusieurs prix au concours général.

Il fut admis à l'École Polytechnique avec le n° 6, en 1883, étant âgé de moins de dix-neuf ans.

Il en sortit quatrième, en 1885, et choisit la carrière des Ponts et Chaussées, de préférence à celle des Mines où il pouvait cependant prétendre. C'était encore l'époque où les récents programmes de M. de Freycinet ouvraient sur cette voie de larges perspectives.

M. de Joly entrait donc le premier de sa promotion dans le Corps auquel il voulait se consacrer, et il conserva ce rang pendant la presque totalité des trois ans qu'il donna à la vieille maison de la rue des Saints-Pères; une émulation assez vive mar

(1) Bachelier ès lettres en juillet 1881.

qua cependant le passage, à l'École des Ponts et Chaussées, de sa génération; cette émulation, l'Élève-Ingénieur de Joly contribua d'ailleurs grandement à l'aviver de sa propre ardeur.

On l'y voit se distinguer notamment en droit, en économie politique, en allemand, en composition littéraire ; ses rapports de missions (dans les Basses-Pyrénées et le Service maritime du Nord) - - une note sur les mines de fer espagnoles de Soumorostro, un mémoire sur les formes de radoub de Dunkerque lui valurent une mention particulière; ses projets d'architecture ne furent, bien entendu, pas ceux auxquels il portait le moindre intérêt, et son père pouvait se réjouir comme ceux qui croient vite aux prédestinations auraient pu s'amuser-de le voir, au concours de 1886 comportant, cette année-là, un projet de « phare du premier ordre », se disputer la meilleure note avec M. Blondel qu'il devait retrouver plus tard au même service des phares et balises pour s'y distinguer comme lui à tant de titres.

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Il quitta l'École des Ponts en 1888, avec le no 2, laissant le souvenir d'un élève hors ligne. Il fut chargé aussitôt (Arrêté du 23 juillet), selon l'usage attaché à son rang, d'une mission dans les pays scandinaves et en Russie.

L'Administration lui ouvrait vite la voie des relations avec l'Étranger où les circonstances, ses aptitudes et sa réputation l'appelèrent tant de fois à recueillir des succès et des satisfactions d'un ordre rarement accessible aux fonctionnaires.

Rentré en France, il compléta sa première année de missions. tant au Secrétariat du Conseil général des Ponts et Chaussées qu'auprès de M. l'Inspecteur général Dupuy à qui était alors confiée l'étude des questions relatives à la résistance des ouvrages métalliques (1er février 1889-1er mai 1890).

Il quitta la résidence de Paris le 1er novembre 1889 pour celle de Vannes, où il fut nommé Ingénieur de l'arrondissement sud des services ordinaire et maritime du département du Morbihan; il se retrouva, comme dans sa première mission, sous les ordres de M. Georges Forestier, avec lequel des relations de famille le lièrent toujours; ces deux illustres Ingénieurs professèrent vite

l'un pour l'autre une grande admiration et une profonde estime réciproques.

Le séjour de M. de Joly à Vannes coïncida avec le moment où l'on dotait nos îles métropolitaines d'abris et de ports facilitant, pour leur population maritime, l'industrie de la pêche à laquelle elle se consacrait naturellement. L'Ingénieur de Joly eut ainsi l'occasion de diriger pour plus de deux millions et demi de travaux à Groix et à Belle-Ile; les ports à jetées convergentes fondées sur enrochements naturels (disposés par catégories et revêtus de blocs artificiels) de Port-Tudy et du Palais, leurs quais, cales, briselames, etc., lui sont dus en majeure partie; il en est de même pour d'autres améliorations entreprises sur cette côte qui compte tant de havres de pêcheurs (jetée de Port-Navalo).

M. de Joly eut déjà l'occasion de se signaler alors par de premiers et importants services rendus à notre éclairage maritime; il participa en effet à l'installation de la nouvelle machinerie du grand phare de Belle-Ile qui devait être éclairé par un arc électrique et pourvu, avec un groupe de moteurs à air chaud, d'un signal sonore à air comprimé, plus avantageux que son ancienne sirène à vapeur; il monta les feux des deux ports insulaires qu'il avait terminés; il collabora aux projets et études des phares de Port-Maria de Quiberon et de Port-Navalo.

Ses dispositions architecturales le firent évidemment rechercher pour la construction d'un nouvel hôtel des Postes et des Télégraphes dans le chef-lieu du Morbihan, de même qu'il dota ensuite sa résidence de Saint-Nazaire du plus bel ensemble décoratif que possède cette ville neuve avec l'hôtel de sa Chambre de Commerce et le bâtiment de l'Administration des Postes.

Ces œuvres lui valurent d'être nommé officier d'Académie, le 28 juin 1895.

Les grandes qualités de M. de Joly ne tardèrent pas à être remarquées par le Ministre lors d'une de ses tournées officielles sur les côtes du Morbihan où il était accompagné de M. de Kerviler, alors Ingénieur en chef à Saint-Nazaire; les services de ce port venaient de traverser une période délicate; les difficultés politiques s'ajoutaient aux autres. Elles n'effrayèrent

pas M. de Joly lorsque M. de Kerviler, frappé des éloges dont il le voyait l'objet, le pressentit pour devenir son collaborateur à Saint-Nazaire, et son chef, M. Forestier, tout en écrivant qu'à nul autre qu'à M. de Joly il ne conseillerait de courir ce risque, l'aida, en dépit de ses regrets, à triompher des compétitions que déterminait cette vacance importante. M. de Joly fut nommé à son nouveau poste le 1er décembre 1891, après deux ans seulement de séjour à Vannes. Il devait savoir surmonter les difficultés qu'on lui avait fait entrevoir et qui ne cessèrent pas avec son arrivée.

La nouvelle entrée du port de Saint-Nazaire était alors envisagée; on se proposait de doubler, par un sas accessible aux plus longs navires et orienté vers le Sud dans le prolongement du grand axe des deux bassins, l'ancienne entrée orientée vers l'Est, car celle-ci débouchait perpendiculairement à la grande longueur de l'ancien dock et conduisait à une présentation et à un évitement très difficiles pour les paquebots.

M. de Joly eut ainsi l'occasion de donner la mesure de sa valeur technique sur ce vaste théâtre qui ne représentait pas moins de 12 millions et demi de travaux, selon l'estimation faite à l'époque. Il s'agissait de constituer un avant-port à l'aide de deux jetées convergentes en maçonnerie de 1.200 mètres de développement total (fondées à l'air comprimé et réunies par un batardeau provisoire), de creuser à sec, dans le gneiss, l'avantport et son chenal de liaison avec les bassins, de construire, sur ce chenal, une écluse à sas de 220 mètres de longueur, de 25 mètres de largeur (portée à 30 mètres en exécution), avec un radier naturel arasé à (— 6).

M. de Joly contribua notamment à faire admettre, non sans peine, en un projet personnel qu'il présenta parallèlement à d'autres, que l'alignement du nouveau chenal prolongeât exactement l'axe des bassins, solution très avantageuse au point de vue des mouvements de la navigation. Toutes ses prévisions sur les conditions nautiques, sur les chances d'envasement et sur le mode d'exécution de la nouvelle entrée, se trouvèrent vérifiées

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