QUELQUES MOTS SUR L'ORIGINE DES BÉGUINES. I SOMMAIRE. Exposé des différentes opinions sur l'origine des béguines... II et III.-Motifs pour lesquels nous attribuons l'origine des béguines à Lambert Le Bègue. IV. Réfutation du seul argument favorable aux opinions contraires.-V. Cause probable de la propagation rapide de l'institut des béguines et de quelques autres institutions religieuses aux XIIe et XIIIe siècles. VI. Époque de la fondation des béguinages proprement dits (curtes beghinarum, beggynhoven). Documents concernant les béguinages de Malines et d'Aerschot. I. VII. Tous les historiens affirment que l'institut des béguines est né en Belgique ; mais ils ne sont pas d'accord lorsqu'il s'agit de déterminer l'époque et l'auteur de la fondation. Quelques-uns, prétendant que les béguines doivent leur nom et leur existence à sainte Begge, font remonter les premiers béguinages au vi siècle; d'autres en attribuent l'origine au prêtre Lambert Le Bègue, qui mourut à Liége vers la fin du xir* siècle. La première de ces deux opinions se répandit au XVI et principalement au XVII° siècle. Elle eut pour défenseurs les écrivains qui, soit pour flatter l'amour propre de nos princes, soit pour attirer leur bienveillance et leur protection sur les béguinages que les troubles du XVIe siècle avaient ruinés en grande partie, firent remonter les béguinages à sainte Begge, qui appartenait à la famille dont sont issus les souverains du Brabant. La deuxième opinion fut généralement admise par les chroniqueurs des XIII, XIV et XVe siècles. Une troisième opinion, qui ne date que du xvir siècle, prétend que le nom de béguines fut donné à ces pieuses filles à cause de leur manière de vivre. Ce nom, disentils, dérive soit du flamand beginnen, soit de l'anglo'saxon beghan, prier, servir, mendier. Toutes ces opinions sont longuement exposées par le père Terwecoren dans l'ouvrage intitulé: Notre-Dame de Consolation à Vilvorde1. Le révérend pére y développe, avec une lucidité et une impartialité remarquables, les arguments qui militent pour et contre ces différentes opinions. II. Nous embrassons avec une pleine et entière conviction l'opinion qui attribue l'origine des béguines à Lambert Le Bègue, pour les motifs suivants : 1) Bruxelles, 1852, in-12, pp. 12-72. 2) On pourra aussi consulter les ouvrages suivants : -- COENS, Disquisitio historica de origine beghinarum, Leodii 1629, in-12; A RYCKEL, Vita S. Beggae, ducissae Brabantiae, Lovani: 1631, in-4; — MIRABUS, Chronicon cisterciense, Coloniae 1614, in-12, pp-198-208; -WICHMANS, Brabantia Mariana, pp. 516-518; - HALMANN, Die Geschichte des Ursprungs der belgischen Beghinen, Berlin 1843; WAUTERS, Histoire des environs de Bruxelles, Bruxelles 1855, II, pp. 499 et svv.; rique, I, pp. 264 et svv.; VI, pp. 360 et svv.; X, SVV.; Messager des sciences historiques, année - KERSTEN, Journal histopp. 530 et svv., pp. 584 et 1850, pp. 241 et svv.; enfin les Acta sanctorum Belgii, et, en général, tous les auteurs qui ont écrit la vie de sainte Begge. Nous avons d'abord le témoignage formel d'un historien consciencieux et contemporain, Gilles d'Orval. Voici ce qu'il dit: Cum erroribus jam irretita tene"retur Legia, et eisdem contaminata esset, suscitavit "Deus spiritum sancti cujusdam sacerdotis, viri religiosi, qui Lambertus Le Bègue, quia balbus erat, de sancto Christophoro dicebatur, a cujus cognomine mulieres et puellae, quae caste vivere proponunt, béguines gallice cognominantur, quia ipse primus exstitit, qui eis praemium castitatis verbo et exemplo praedicavit1. " " " Il est un autre document remarquable, émané de Henri de Gueldre, évêque de Liége, en l'an 1266, que le père Fisen cite en latin, dans son histoire de Liége, et le père Terwecoren traduit de la manière suivante : Considérant de quelle manière cette sainte institution de religieuses filles et dames, qu'on appelle béguines, a pris depuis longtemps origine dans la " cité et le diocèse de Liége, y a poussé des rejetons "et, étendant au long et au large ses rameaux, produit des fleurs presque par toute la terre, nous nous réjouissons dans le Seigneur de ce que nos dites " sœurs exaltent ainsi partout et comblent des plus grands éloges la cité et le diocèse2. " " " Le P. Terwecoren cite encore le témoignage de plusieurs autres historiens dignes de foi, qui défendent notre opinion. Des auteurs pour ainsi dire contemporains attribuent donc à Lambert Le Bègue la fondation de l'institut des béguines, et nous fournissent, par conséquent, un ar 1) Chapeaville, Gesta pontificum Leodiensium, II, p. 126. *) TERWECOREN, ouvrage cité, p. 26. gument concluant en faveur de notre opinion, qui est aussi confirmée d'une manière indirecte par le silence absolu des chroniqueurs et des documents authentiques au sujet des béguines et des béguinages avant l'époque de Lambert Le Bègue. Aucun monument historique, aucun acte ne parle des béguines avant la fin du XIIe siècle, et cependant entre la mort de sainte Begge et la mort de Lambert Le Bègue cinq siècles s'écoulèrent. Ce silence est moralement impossible si, en réalité, sainte Begge avait fondé les béguines. M. Alphonse Wauters, notre savant historien, fait ressortir cette anomalie dans l'introduction au troisième volume de la Table chronologique des chartes et diplômes, qui comprend les actes de 1190 à 1225. Voici ses paroles : De nombreux priviléges et des donations sans nombre " enrichirent, vers cette époque, les monastères appartenant aux ordres de Prémontré et de Cîteaux. "Il est fréquemment question des léproseries qui se multiplièrent à l'infini, mais on ne parle pas encore (sinon dans des actes suspects) des béguinages; " preuve manifeste que leur prétendue fondation par "sainte Begge, femme d'Anségise, n'a pas de fonde#ment sérieux. " " Pour les autres fondations religieuses les actes sont nombreux dès le moment de leur existence. L'ordre de Citeaux est fondé en 1098 et saint Bernard érige le monastère de Clairvaux en 11141. En moins d'un demi 1)« L'ordre de Citeaux, qui était, dans l'origine, une réforme de l'ordre de Saint-Benoît, fut fondé en 1098, dans la forêt du même nom, en Bourgogne, par saint Robert, abbé de Molesmes. Saint Bernard, qui y avait pris l'habit, fonda, en 1114, l'abbaye de Clairvaux, aidé par les libéralités d'Hugues, comte de Champagne. Celui-ci donna au saint la vallée d'Absinthe siècle, les abbayes cisterciennes ou bernardines se multiplient dans notre pays d'une manière étonnante, et les actes de fondation, les donations pieuses ainsi que les priviléges accordés à l'ordre sont innombrables. La même chose a lieu pour l'ordre de Prémontré. Fondé par saint Norbert, en 1120, il se répandit bientôt dans notre pays. En 1124, l'abbaye de SaintMichel d'Anvers est fondée, celles de Tongerloo, Grimberghen, Averbode, Parc, Tronchiennes, Floreffe, Ninove, Furnes, Heylissem, Postel, Bern et plusieurs autres, toutes du même ordre, étaient établies avant la fin du XIe siècle. Les chroniques sont remplies de détails qui les concernent; les actes et les documents contemporains, qui leur accordent des priviléges ou confirment les donations faites en leur faveur, sont sans nombre. Les léproseries, qui avaient certainement beaucoup moins d'importance que les abbayes, ne montent pas à une époque antérieure au XIIe siècle; et, malgré cela, les documents et les chroniques contemporaines contiennent une multitude de détails qui les touchent. Les fondations religieuses plus anciennes que celles que nous venons de nommer ne sont pas oubliées dans les documents et les chroniques. Les abbayes bénédictines et les chapitres de chanoines, par exemple, y sont avec toutes ses dépendances. Cette filiation issue de Citeaux procura tant d'accroissement à l'ordre, qu'en peu d'années saint Bernard fonda ou agrégea à son abbaye soixante-sept monastères... Les disciples de saint Bernard formèrent ainsi la plus grande partie des communautés cisterciennes et le nom de Bernardins, donné primitivement aux religieux dépendants de Clairvaux, passa bientôt à tous les autres». Voyez NAMÈCHE, Cours d'histoire nationale, II, p. 746. |