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Mais, à d'autres égards, combien la réalisation de cet avenir rencontrait d'obstacles ! Une défiance générale ne permettait pas d'espérer que les ratifications du traité concernant la séparation de la Belgique et de la Hollande vinssent, au terme fixé par la conférence de Londres, délivrer les peuples d'un appareil militaire en disproportion avec leurs ressources. On ne voyait partout que pronostics de guerre. Les fonds sur les principales places de l'Europe éprouvaient des variations subites qui tenaient à l'incertitude des événements. On songeait avec inquiétude que tous les sacrifices d'un système bien arrêté de concorde et de modération n'avaient pu obtenir des puissances étrangères ce désarmement dont le ministère ne cessait de se flatter. Bref, au milieu de tous les embarras d'une paix pleine d'ombrages, pour parler comme Tacite, il était impossible que le mouvement industriel et commercial de la France reprit toute son énergie.

Voilà les obstacles qui du dehors s'opposaient à un retour complet du crédit, de la confiance et de la prospérité du pays. Au dedans, ils se fortifiaient de la désunion des citoyens, de perturbations fréquentes, de soulèvements qui attestaient quelle peine la société profondément ébranlée avait à se rasseoir. Il semblait que les agitations populaires eussent passé de Paris dans les départements. Les gardes nationales ellesmêmes, dans plusieurs villes, s'étaient signalées par des actes d'opposition qui avaient entraîné leur licenciement.

Ges désordres, symptômes graves de malaise et d'irritation, avaient pour cause, ici, la détresse des classes ouvrières; là, le paiement des contributions; ailleurs, des mécontentements politiques fondés sur des regrets pour le passé, ou sur des espérances deçues pour le présent.

en

Entre les divers partis, celui qui se rattachait par ses affections et ses intérêts à la branche aînée des Bourbons levait la tête avec une audace croissante, continuait à troubler, à sanglanter la Vendée, et entretenait quelques départements du midi dans une fermentation menaçante. Il avait pris pour

mot d'ordre les anciens états généraux et le suffrage universel, dans cette foule de Gazettes qui surgirent sur tous les points, affectant de ressusciter la dénomination des anciennes provinces. Il se décelait en beaucoup d'endroits par des placards séditieux, des provocations à la révolte, des distributions de monnaies ou de médailles à l'effigie de Henri V. A ces signes on pouvait prévoir que des complots et des tentatives légitimistes ne tarderaient pas à éclater.

Le gouvernement n'avait pas moins à surveiller les machinations hostiles de l'opposition républicaine.

Car, telle est la marche des partis qui se placent en dehors du principe de la constitution: ils commencent par descendre sur la place publique, persuadés qu'ils vont entraîner la masse de la population et qu'une démonstration bruyante de leurs forces suffira pour renverser le pouvoir établi : c'est la période des émeutes. Quand une série d'épreuves plus ou moins longue les a convaincus que la nation n'est pas derrière eux, alors ils cherchent à suppléer à la puissance du nombre par la violence, et mettent leur espoir dans une surprise, dans un coup de main heureux : c'est la période des conspirations, des insurrections, celle où nous allons entrer.

Au reste, il y avait des griefs communs à l'opposition tout entière, malgré la disparité de ses nuances, et soit qu'elle tendit au rappel de la dynastie déchue, à l'établissement d'une magistrature suprême, élective et responsable, ou seulement à un changement de ministère et de système. Par exemple, on retrouvait dans les journaux de toutes les couleurs le reproche adressé à l'administration actuelle de négliger, dans sa préoccupation exclusive du besoin de la paix, la dignité et les plus précieux intérêts du pays au dehors. La presse constitutionnelle et la presse républicaine s'accordaient encore, sauf la différence des formes du langage, pour l'accuser de n'avoir point laissé porter ses fruits à la révolution de juillet, de méconnaître son vrai caractère, de conserver en place la pupart des fonctionnaires de la restauration, enfin de m anguer

de vigueur dans la répression des brigandages de l'ouest. Suivant une autre nuance d'opinion qu'on ne doit pas confondre avec la majorité de la Chambre des députés, bien qu'elle prêtât aussi son appui au ministère, les promesses de juillet avaient été dépassées; c'était contre le torrent des idées démocratiques qu'il fallait se défendre, et la France pêchait plutôt par excès que par le manque de liberté.

Ainsi ballottée entre des assurances de paix et des menaces de guerre, suspectant les intentions de l'Europe, divisée, agitée dans son intérieur, effrayée de la misère d'une grande partie de sa population, avec un commerce encore faible et une industrie languissante, la France ressemblait à un malade en proie à des mouvements fébriles et qui se retourne de cent façons différentes sans parvenir à trouver le repos. Cependant on se rappelait que les députés, dans leur réponse au discours du roi, à l'ouverture de la session, avaient reconnu la nécessité d'alléger la détresse des classes souffrantes, attribuée principalement à l'élévation et plus encore à la mauvaise répartition des impôts. L'attention publique, fatiguée par cinq mois de débats parlementaires, se réveillait donc au moment où la Chambre élective allait aborder la partie vraiment financière de la session. D'ailleurs l'opposition, battue jusqu'alors sur toutes les questions politiques, comptait trouver dans les lois de finances l'occasion d'une revanche contre le ministère. Après avoir soutenu tant de combats acharnés pour la défense de son système à l'intérieur et à l'extérieur, il lui fallait maintenant emporter la liste civile et le premier budget discuté depuis la révolution de juillet : c est-à-dire que la lutte allait recommencer avec de nouvelles difficultés.

CHAPITRE II.

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Chambre des députés : Projet de loi sur la liste civile. Protestation d'une partie des députés contre le mot sujet. Chambre des pairs: Règlement définitif du budget de 1829. Proposition sur la conti nuation des travaux législatifs d'une session à l'autre. Proposition sur l'abolition de l'anniversaire du 21 janvier. Loi sur la liste civile.

Le projet de loi sur la liste civile avait été présenté à la Chambre des députés, par le président du conseil, dans la séance du 4 octobre 1831. C'était, sous beaucoup de rapports, une des lois les plus importantes de la session. En présence d'une dynastie nouvelle, d'une charte consentie, tout le monde sentait que la discussion, cette fois, ne serait plus de pure forme et d'étiquette comme l'avait été celle de la liste civile de Charles X.

Deux points étaient destinés à appeler principalement l'at-· tention de la Chambre: la dotation immobilière et mobilière de la couronne et la fixation du chiffre de la liste civile proprement dite.

En ce qui concerne le choix des immeubles, le ministère s'était appliqué, avait dit M. C. Périer, à conserver à la royauté la majesté des souvenirs qui appartiennent à l'histoire, et à consulter en même temps les idées de bonne administration et d'utilité qui régissent aujourd'hui toutes les fortunes. C'est pourquoi, plusieurs des domaines compris jusqu'alors dans la dotation de la couronne en avaient été retranchés, parce que, privés de tout intérêt pour les arts, ils ne présentaient d'ailleurs aucun souvenir historique.

La dotation mobilière était formée des pierreries, des statues, des tableaux, des musées, des bibliothèques qui font l'ornement des palais et des établissements royaux. Dans la nécessité de conserver ces trésors acquis à grauds frais depuis

quatre siècles, objets d'admiration et d'envie pour toutes les nations de l'Europe, le ministère pensait qu'on ne pouvait mieux en confier la garde qu'à la royauté, ne fût-ce que pour empêcher leur conservation d'être mise en question chaque année par le vote des lois de finance.

Des raisons analogues conduisaient le président du conseil à demander le maintien dans la dotation royale de divers établissements d'industrie, tels que les mauufactures de Sèvres et des Gobelins, qui sont aussi des établissements nationaux, des ateliers modèles dont la perfection est d'une veritable utilité aux progrès des arts et des industries particulières sans jamais entrer avec elles dans une concurrence dangereuse.

Enfin, après avoir parlé des charges et des dépenses inhérentes à la royauté, M. Casimir Périer arrivait à la somme nécessaire pour constituer la liste civile (1). Mais, ne voulant pas aborder ce sujet, par un sentiment de convenance plus facile à saisir qu'à exprimer, le ministre annonçait que, d'accord avec une auguste volonté, il laissait à la Chambre le soin de résoudre cette question et même de la poser.

Avant que la commission chargée d'examiner le projet de loi dont nous venons de rapporter brièvement les motifs eût communiqué son travail à la Chambre, un des membres de cette commission, M. de Cormenin, avait commencé par publier dans les journaux des lettres sur la liste civile (2), qui firent une vive sensation. Elles abordaient toutes les questions relatives à la liste civile et s'appliquaient à les résoudre de manière à restreindre, dans les limites aussi étroites que possible, la double dotation de la royauté.

Il s'en fallut de beaucoup que les idées émises par M. de Cor

(1) Cette somme était fixée à 18 millions dans le projet de loi présenté par M. Laffitte, le 15 décembre 1830,

(2) Elles ont paru dans le Courrier français et dans le National des 24, 29 et 31 décembre 1831, et du 4 janvier 1832.

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