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Alors, affranchie et calmée, elle ne pourrait qu'inspirer à l'Europe la sécurité dont elle jouirait elle-même; et alors aussi les Puissances qui réclament aujourd'hui contre la conduite de son Gouvernement, s'empresseraient de rétablir avec elle des rapports d'amitié véritable et de mutuelle bienveillance.

Il y a long-tems que la Russie signale ces grandes vérités à l'attention des Espagnols. Jamais leur patriotisme n'eut de plus hautes destinées à remplir. Quelle gloire pour eux que de vaincre une séconde fois la Révolution, et de prouver qu'elle ne saurait exercer d'empire durable sur cette terre où d'anciennes vertus, un fond indélible d'attachement aux principes qui garantissent la durée des sociétés, et le respect d'une sainte réligion, finiront toujours par triompher des doctrines subversives, et des séductions mises en œuvre pour étendre leur fatale influence. Déjà une partie de la Nation s'est prononcée. Il ne tient qu'à l'autre de s'unir dès à présent à son Roi pour délivrer l'Espagne, pour la sauver, pour lui assigner dans la Famille Européenne une place d'autant plus honorable qu'elle aurait été arrachée, comme en 1814, au triomphe désastreux d'une usurpation militaire.

En vous chargeant, M. le Comte, de faire part aux Ministres de Sa Majesté Catholique des considérations développées dans cette dépêche, l'Empereur se plait à croire que ses intentions et celles de ses Alliés, ne seront pas méconnues. En vain la malveillance essayeraitelle de les présenter sous les couleurs d'une ingérence étrangère, qui prétendrait dicter des Lois à l'Espagne.

Exprimer le désir de voir cesser une longue tourmente, de soustraire au même joug un Monarque malheureux et un des premiers Peuples de l'Europe, d'arrêter l'effusion du sang, de favoriser le rétablissement d'une Administration tout-à-la-fois sage et nationale; certes, ce n'est point attenter à l'indépendance d'un Pays, ni établir un droit d'intervention contre lequel une Puissance quelconque ait raison de s'élever. Si Sa Majesté Impériale nourrissait d'autres vues, il ne dépendrait que d'elle et de ses Alliés de laisser la Révolution d'Espagne achever son ouvrage. Bientôt tous les germes de prospérité, de richesse et de force, seraient détruits dans la Péninsule; et si la Nation Espagnole pouvait aujourd'hui supposer des desseins hostiles, ce serait dans l'indifférence et dans l'immobilité seules qu'elle devrait en trouver la preuve.

La réponse qui sera faite à la présente déclaration va résoudre des questions de la plus haute importance. Vos Instructions de ce jour vous indiquent la détermination que vous aurez à prendre si les dépositaires de l'Autorité Publique à Madrid, réjettent le moyen que vous leur offrirez d'assurer à l'Espagne un avenir tranquille et une gloire impérissable.

Le Comte de Bulgari.

NESSELRODE.

(3).-Le Comte de Nesselrode au Chargé d'Affaires de Russie à Madrid. (Supplémentaire.)

Vérone, le

MONSIEUR LE COMTE, Novembre, 1822. DANS l'Instruction que vous recevez aujourd'hui, nous avons attaqué sans ménagement la Constitution votée par les Cortès en 1812, et nous n'avons pas balancé à attribuer au mode d'administration qu'elle consacre, presque tous les malheurs dont gémit l'Espagne.

Tant de faits démontrent cette vérité, que certainement personne en Europe n'osera la revoquer en doute. Une Charte qui établit pour le Peuple un Droit de Souveraineté, dont l'exercice est heureusement impossible, mais dont la simple théorie, une fois admise, enfante encore des calamités; une Charte qui n'appelle à la confection des Lois que la seule classe intéressée à leur absence, qui ne laisse pas même au Monarque la faculté de se choisir librement une Epouse, et qui dissémine, pour ainsi dire, la Puissance publique entre les mains d'Autorités sans nombre, qu'instituent les 500 Articles dont elle se compose: une telle Charte ne saurait trouver pour défenseur aucun publiciste éclairé, aucun des hommes qui savent que l'ordre et la paix sont les premiers buts, comme les premiers élémens du bonheur des Sociétés.

Mais plus le Système de la Charte Espagnole est vicieux, plus les révolutionnaires s'efforceront de le maintenir, et par conséquent, plus ils chercheront d'argumens en faveur de leur ouvrage. Au nombre de ceux qu'ils essayeront de faire valoir, vous verrez probablement, M. le Comte, figurer en première ligne, la reconnaissance et la garantie de la Constitution des Cortès, stipulées en 1812, par le Traité de Welyky-Louky.*—Il est donc indispensable que je vous fasse connaître à cet égard, la pensée de l'Empereur et l'explication cathégorique que vous aurez à donner.

Lors de la conclusion du Traité de Welyky-Louky, Ferdinand VII. était captif, et il n'existait en Espagne d'autre Autorité Espagnole que les Cortès réunis à Cadix. A la même époque, la Russie, en s'armant contre l'ennemi commun, devait nécessairement s'allier à l'Espagne. Elle le devait dans son propre intérêt, elle le devait dans l'intérêt de l'Europe, elle le devait enfin, dans l'intérêt, de l'Espagne elle-même, qui ne pouvait recevoir ni trop d'encouragemens ni trop de secours. Mais dans l'état où les choses se trouvaient alors, toute Négociation avec le Roi était impossible. Il fallait conséquemment négocier avec les Cortès, et, en négociant avec eux, reconnaître et garantir le Régime National qu'ils venaient de créer pour leur Patrie. D'autre part, cette reconnaissance et cette garantie devaient nécessairement avoir le

* Extract of the Treaty of Friendship and Alliance between Russia and Spain. Wiliki Luki, July, 1812.-Art. III. Sa Majesté l'Empereur de toutes les Russies reconnait pour légitimes les Cortès Généraux et Extraordinaires réunis aujourd'hui à Cadix, ainsi que la Constitution qu'ils ont décrétée et sanctionnée.

caractère que portait ce Régime lui-même. Promulgué durant l'absence et la captivité du Roi, il exigeait la Sanction Royale dès que Sa Majesté Catholique serait rendue à la liberté. Il ne pouvait donc être et n'était réellement que provisoire et conditionnel, lors de la signature du Traité de Welyky-Louky. De-là aussi la nature provisoire et conditionnelle de la garantie accordée dans le temps par le Cabinet de St. Pétersbourg. Cette réserve n'avait pas besoin d'être exprimée d'une manière spéciale, car elle résultait implicitement de l'essence des objets auxquels la garantie elle-même était applicable. Et comment, en effet, stipuler une garantie perpétuelle, pour un acte qu'un tiers avait encore le droit de changer et de modifier à sa volonté ? Ce changement ne tarda point à s'accomplir, et le Roi, rentré dans ses Etats, abolit la Constitution des Cortès. Ni l'Espagne, ni la Russie n'invoquèrent alors la garantie du Traité de 1812; l'Espagne, parce qu'elle voyait son Monarque user d'un pouvoir dont le légitimité était incontestable; la Russie, parce qu'elle se serait attribué une autorité supérieure à celle du Roi, si elle avait voulu maintenir contre son gré, la Charte de Cadix. Depuis ce moment, l'Empereur a toujours regardé comme aussi nulles de droit que de fait, une reconnaissance et une garantie stipulées dans des conjonctures où elles étaient nécessaires, sans jamais pouvoir être indéfinitivement obligatoires.

D'ailleurs, supposé même que cette nullité n'existait pas, ou qu'elle fût moins évident, la Russie est trop franche, trop sincèrement amie de la Nation Espagnole, pour qu'un Traité quelconque puisse lui faire désirer la prolongation d'un régime qui a attiré sur ce Peuple si glorieux et si estimable, tous les maux de l'anarchie, tous les excès d'une révolution sanglante, et toutes les pertes que traînent à leur suite le crime joint à l'imprévoyance.

Dans une pareille situation, Sa Majesté ne peut reconnaître d'autre loi que celle du salut de l'Espagne, et c'est aussi la seule qu'elle soit décidée à suivre.

Tel est, M. le Comte, le langage que vous voudrez bien tenir, si dans les explications que vous allez avoir avec le Ministre Espagnol, ce dernier essaye de réclamer le bénéfice des Stipulations du Traité de Welyky-Louky, ou s'il prétend faire à la Russie le reproche de manquer à ses engagemens. Recevez, &c.

Le Comte de Bulgari.

NESSELRODE.

(4.)—Le Prince de Metternich au Chargé d'Affaires d'Autriche, à

MONSIEUR,

Madrid.

Vérone, le 2 Décembre, 1822.

La situation dans laquelle se trouve la Monarchie Espagnole à la suite des évènemens qui s'y sont passés depuis deux ans, était un objet de trop haute importance pour ne pas avoir sérieusement occupé les Cabinets réunis à Vérone. L'Empereur, notre Auguste Maître, a voulu

que vous fussiez informé de sa manière d'envisager cette grave question; et c'est pour cet effet que je vous adresse la présente Dépêche.

La révolution d'Espagne a été jugée pour nous dès son origine. Selon les décrets éternels de la Providence, le bien ne peut pas plus naître pour les Etats que pour les individus, de l'oubli des premiers devoirs imposés à l'homme dans l'ordre social; ce n'est pas par de coupables illusions, pervertissant l'opinion, égarant la conscience des peuples, que doit commencer l'amélioration de leur sort ; et la révolte militaire ne peut jamais former la base d'un Gouvernement heureux et durable.

La révolution d'Espagne, considérée sous le seul rapport de i'influence funeste qu'elle a exercée sur le Royaume, qui l'a subie, serait un évènement digne de toute l'attention et de tout l'intérêt des Souverains Etrangers, car la prospérité ou la ruine d'un des Pays les plus intéressans de l'Europe, ne saurait être à leurs yeux une alternative indifférente; les ennemis seuls de ce Pays, s'il pouvait en avoir, auraient le droit de regarder avec froideur les convulsions qui le déchirent. Cependant une juste répugnance à toucher aux affaires intérieurs d'un Etat indépendant, déterminerait peut être ces Souverains à ne pas se prononcer sur la situation de l'Espagne, si le mal opéré par sa révolution s'était concentré et pouvait se concentrer dans son intérieur. Mais tel n'est pas le cas: cette révolution, avant même d'être parvenue à sa maturité, a provoqué déjà de grands désastres dans d'autres Pays; c'est elle qui, par la contagion de ses principes et de ses exemples, et par les intrigues de ses principaux artisans, a créé les révolutions de Naples et de Piémont, c'est elle qui aurait embrâsé l'Italie toute entière, menacé la France, compromis l'Allemagne, sans l'intervention des Puissances qui ont préservé l'Europe de ce nouvel incendie. Par-tout, les funestes moyens employés en Espagne pour préparer et exécuter la révolution, ont servi de modèle à ceux qui se flattaient de lui ouvrir de nouvelles conquêtes. Partout la Constitution Espagnole est devenue le point de réunion, et le cri de guerre d'une Faction, conjuré contre la sûreté des Trônes et contre le repos des Peuples.

Le mouvement dangereux que la révolution d'Espagne avait imprimé à tout le midi de l'Europe, a mis l'Autriche dans la pénible nécessité de recourir à des mesures peu d'accord avec la marche pacifique qu'elle aurait voulu invariablement poursuivre. Elle a vu une partie de ses Etats entourée de séditions, cernée par des complots incendiaires, à la veille même d'être attaquée par des conspirateurs dont les premiers essais se dirigeaient contre ses frontières. Ce n'est que par de grands efforts et de grands sacrifices que l'Autriche a pu rétablir la tranquillité en Italie, et déjouer les projets dont le succès n'eût été riens moins qu'indifférente pour le sort de ses propres Provinces. Sa Majesté Impériale ne peut d'ailleurs que soutenir dans les questions

relatives à la révolution d'Espagne les mêmes principes qu'elle a toujours hautement manifestés. Dans l'absence même de tout danger direct pour les peuples confiés à ses soins, l'Empereur n'hésitera jamais à désavouer et à réprouver ce qu'il croit faux, pernicieux et condamnable dans l'intérêt général des sociétés humaines. Fidèle au système de conservation et de paix, pour le maintien duquel elle a contracté avec ses Augustes Alliés des engagemens inviolables, Sa Majesté ne cessera de regarder le désordre et les bouleversemens, quelque partie de l'Europe qui puisse en être la victime, comme un objet de vives sollicitudes pour tous les Gouvernemens, et chaque fois que l'Empereur pourra se faire entendre dans le tumulte de ces crises déplorables, il croira avoir rempli un devoir dont aucune considération ne saurait le dispenser. II me serait difficile de croire, M. le Comte, que le jugement énoncé par Sa Majesté Impériale sur les évènemens qui se passent en Espagne, puisse être mal compris ou mal interprété dans ce Pays. Aucun objet d'intérêt particulier, aucun choc de prétentions réciproques, aucun sentiment de méfiance ou de jalousie ne saurait inspirer à notre Cabinet une pensée en opposition avec le bien-être de l'Espagne.

La maison d'Autriche n'a qu'à remonter à sa propre histoire pour y trouver les plus puissans motifs d'attachement, d'égard et de bienveillance, pour une Nation qui peut se rappeler avec un juste orgueil ces siècles de glorieuse mémoire où "le soleil n'avait pas de couchant pour elle"; pour une Nation qui, forte de ses institutions respectables, de ses vertus héréditaires, de ses sentimens religieux, de son amour pour ses Rois, s'est illustrée dans tous les tems par un patriotisme toujours loyal, toujours généreux, et bien souvent héroîque. A une époque peu éloignée de nous, cette Nation a encore étonné le Monde par le courage, le dévouement et la persévérance qu'elle a opposée à l'ambition usurpatrice, qui prétendait la priver de ses Monarques et de ses lois, et l'Autriche n'oubliera jamais combien la noble résistance du Peuple Espagnol lui a été utile dans un moment de grand danger pour ellemême.

Ce n'est donc pas sur l'Espagne, ni comme Nation, ni comme Puissance, que peut porter le langage sévère dicté à Sa Majesté Impériale par sa conscience et par la force de la vérité; il ne s'applique qu'à ceux qui ont ruiné et défiguré l'Espagne, et qui persistent à prolonger ses souffrances.

En se réunissant à Vérone à ses Augustes Alliés, Sa Majesté Impériale a eu le bonheur de retrouver dans leurs conseils les mêmes dispositions bienveillantes et désintéressées qui ont constamment guidé les siens. Les paroles qui partiront pour Madrid constateront ce fait, et ne laisseront aucun doute sur l'empressement sincère des Puissances à servir la cause de l'Espagne, en lui démontrant la nécessité de changer de route. Il est certain que les embarras qui l'accablent se sont accrus depuis peu dans une progression effrayante. Les mesures

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