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SUPPLIQUE

Des habitants de l'Ile d'Oleron à Son Altesse Royale Monseigneur le duc d'Orléans, régent du royaume (1).

(Communication de M. l'abbé E. Clénet.)

Monseigneur,

Les pauvres habitans de l'Isle d'Olleron prennent la liberté. de se jetter aux pieds de votre Altesse Royalle, Monseigneur, pour lui représenter qu'ils souffrent la plus dure opression qu'aucun peuple ait jamais soufferte depuis que M. Demontgon est gouverneur de cette pauvre isle.

A commenser par les dragons des millices de cette isle qui vous remontrent avec la soumission la plus respectueuse que M. Demontgon a tellement l'avarice en teste, que depuis qu'il est dans l'isle, il a toujours tenu des dragons au piquet chez lui, à la citadelle, chés les capitaines gardecostes et d'autres dans les extrémittés de l'isle. Ces sortes de piquets, Monseigneur, n'avaient coutume d'estre établis qu'en temps de guerre, encore faloit-il que les ennemis du Royaume fussent armés et en estat de faire des dessentes, sans quoi ces piquets sont inutilles. M. Demontgon, pour épargner la penne de ses vaslets, entretient ce piquet sous prétexte du service du Roy, au lieu que ce n'est que pour son service particulier et de M. et de Mme la Majore, car ces dragons sont obligés jour et nuit de marcher pour porter tout ce qui leur est nécessaire pour la vie ou autre chose, mesme jusques au poisson qu'on porte de quatre grandes lieux qui en font huit de France. Ce piquet réduist à l'aumosne une infinité de familles qui ne vivent que du jour à la journée, et qui, par conséquant, perdent leur subsistance et de leur famille; il s'en est même trouvé pendant cet hiver un grand nombre qui ont fait huit grandes lieues dans les temps les plus détestables pour aller à la citadelle, si bien qu'ils estoient trempés jusques à la peau. Ils mettoient la plus part deux journées à leur voyage, et il n'y a point de dragon à qui il ne couste du moing trente sols pour

(1) Le duc d'Orléans fut régent du royaume du 1er septembre 1715 au 15 février 1723.

vivre et son cheval. Votre Altesse Royale, Monseigneur, voit bien en quel état peuvent être ces pauvres paisans après une dépense si forte et qui perdent leurs journées et en ayant desja plus de 500 d'employées, ce qui empesche que beaucoup de terres ne soient cultivées. Ils ont eu beau avoir recours à M. Demontgon, c'est un homme inexorable, sans pitié ni charité et le plus emporté qu'il y ait peut estre en France; on n'entent jamais sortir de sa bouche que des ventre, des sacre et des mort.

Il a retenu et fait consigner dans la citadelle les charpentiers, menuisiers et massons pendant trois et quatre mois, les a fait travailler, ainsi que les serruriers, vitriers, peintres et autres ouvriers sans les payer, pendant que les familles de la plus part n'avaient pas de pin. Il a pris et fait enlever des matériaux soit pierre, chaux, bois et planches chez les pauvres habitans qu'il leur doit encore et dont ils ne peuvent tirer un sol.

Il c'est avisé, Monseigneur, de son othorité, de faire armer les huguenots, une partie des quels qui sont principallement en la paroisse de Saint-Pierre au centre de l'isle, qu'il a mis capitaines, lieutenants et enseignes contre les déclarations du Roy. Votre Altesse Royalle est suppliée de faire reflection sur le sort que cella fait à l'église et à toutte cette isle; à l'église en ce que ayant obtenu ce qu'ils soittoient depuis longtemps, il n'y a pas d'aparance que jamais plus aucun se convertisse; et à l'isle par raport aux mauvais traittements et aux meurtres qu'ils ont comis contre les eclésiastiques et les bons catholiques de cette isle dont la mémoire nous fait encore trembler, et qu'il ne manqueroit pas de nous arriver de pareils traittements dans le moindre désordre qu'une guerre pourrait aporter.

Pour justifier de sa viollence, Monseigneur, les dits habitans prendront la liberté de représenter à Votre Altesse Royalle ce qui c'est passé il y a peu de jours. Il a envoyé un ordre au juge de Saint-Denis de cette isle de se rendre à la citadelle (1) en disant qu'il vouloit le faire mourir sous le baston ou le faire jetter à la mer. Heureusement pour lui qu'il ne s'est pas trouvé dans l'isle, estant allé à la Rochelle pour ses afaires, mais pour ne le pas manquer, il a envoyé, le 15 de ce mois, la compagnie des grenadiers du régiment de Guienne qui est en garnison à

(1) Sans avoir aucune sorte de respect ni considération pour Madame de Biron, abbesse de Saintes, et cet officier.

Recueil.

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la citadelle pour aller demeurer à Saint-Denis distant de quatre lieues du pays qui en vallent huit de France, afin de le prendre si le malheur vouloit qu'il arrivast à Saint-Denis, et le traisner à la citadelle pour exécuter le dessin qu'il a formé de le faire mourir. Nous croyons, Monseigneur, que ces viollences et ces détachements ne se peuvent faire sans les ordres de Votre Altesse Royalle, et comme il en peut arriver autant aux autres habitants de l'isle, nous sommes tous dans la dernière consternation. Car, Monseigneur, il n'aime auprès de lui que ceux qui lui ont presté de l'argent, ou quelques-uns qui sont en horreur à tout le public, disant que les autres, sans en excepter même les eclésiastiques, sont des fripons, des manants et des coquins, et en ayant de ceux qui lui ont presté de grosses sommes, que par force et viollences aux collecteurs de la paroisse du Chasteau, il a fait diminuer de la plus grande partie de leur taille, que ces mêmes collecteurs ont esté obligé de regetter sur des pauvres ; le sieur Duverger l'un des plus opullants de la paroisse est de ce nombre.

De plus, Monseigneur, nous prendrons la liberté de représenter à Votre Altesse Royale qu'il a fait aficher un règlement par lequel il ordonne à tous les officiers des millices de l'isle de lui dresser tous les jours un mémoire exact de tous ceux qui y viennent, de leurs noms, de leurs alaires, et le temps qu'ils y doivent rester, si bien que nos voisins qui sont de Marennes et de La Rochelle, seuls commerçants que nous ayons en ce pays, ne veulent plus y venir pour n'estre pas contraints, si leurs afaires retardoient d'un jour, d'estre conduits à la citadelle. Ainsi, Monseigneur, voillà cette pauvre isle hors d'état de payer les tailles et les capitations sy la bonté de Votre Altesse Royalle n'y a égard, ne pouvant faire de négoce ni aucun comerce que les habitans de Marennes et de La Rochelle, ayant le malheur de n'avoir aucun port de mer en cette isle où les vesseaux puissent aborder.

Ses sortes d'ordres ne se sont jamais donnés qu'en temps de guerre et pour des visages inconnus que l'on peut soubsonner estre espions, mais nos voisins qui sont connus de tout le monde de la même province et qui ont même plusieurs parens dans l'isle, sont naturellement exceptés de ce cas, qui fait, Monseigneur, que lesdits habitants qui sont dans la plus dure cituation et opression qu'ils ayent jamais été, se trouvent obligés

aujourd'hui d'avoir recours à Votre Altesse Royalle et la suplie en toutte humilité de vouloir faire cesser leurs maux, qui deviendront tous les jours plus grands et qui rendront cette isle déserte, où se forme les meilleurs matellots que le Roy ait à son service, et ils seront obligés, Monseigneur, de prier continuellement Dieu pour la santé et prospérité de Votre Altesse Royalle. Les habitants de l'isle d'Oleron.

ACTE D'ASSEMBLÉE

des habitants de l'Isle d'Oleron

(Communication de M. L'ABBÉ Clénet).

Aujourdhuy neuvième jour du mois de décembre mil sept cens cinquante trois sur les neuf heures du matin, étant dans l'assemblée généralle des principaux habitans de l'isle l'Oleron tenue au bourg de Saint-Pierre, convoqués par maître Pierre Godeau leur syndic général, luy présent, et à la quelle a été invité Me Gillet subdélégué de Monseigneur l'intendant de la généralité de La Rochelle aussi présent. Par devant le notaire royal en Saintonge résident en la dite isle, en présence des témoins bas nommés, le quel dit sieur Godeau a dit et exposé aux dits sieurs habitans que les différens abus qui se sont commis tant dans la fabrication des futailles qui servent à renfermer les vins et eau de vies qui se recueillent et fabriqués dans l'étendue de cette dite généralité, que dans la fabrication même des dites eau de vies, auraient donné lieu à un premier arrêt du Conseil d'Etat du Roy du dix sept août mil sept cens quarante trois, et à un second du vingt huit may de la présente année, les deux rendus en forme de règlement qui prescrivent des moyens pour assurer la fidélité dans la fabrication des futailles, et en écarter les fraudes qui se sont commises cy devant, et encore pour fabriquer l'eau de vie dans la proportion de force, goût et qualité, où elle doit être, les quels réglemens ont leur exécution dans la ville de La Rochelle, et autres lieux principaux de cette généralité; mais comme tous les articles contenus dans ces deux arrêts ne peuvent avoir d'exécution dans l'étendue de cette isle, eu égard aux différentes précautions qui y sont prescrites, et qui seraient impraticables dans cette dite isle, il a néanmoins

été remontré au dit sindic général qu'il est très important d'y faire exécuter les principaux articles qui sont la fidélité dans la fabrication et jauge des futailles qui servent à renfermer l'eau de vie, et dans la fabrication de l'eau de vie même dont le commerce et débouché fait le principal revenu de la dite isle; et le dit sindic général ne peut dissimuler qu'il s'est commis presque toutes les années par quelques personnes des fraudes condamnables, principallement sur la jauge et mesure, ce qui a discredité peu à peu le pais et tenu cette denrée beaucoup au dessous du prix où elle était dans les lieux voisins, tandisqu'autrefois elle valoit quelque chose de plus par la force et la bonne qualité qu'elle avait acquise tant chez l'étranger que dans les lieux du royaume où s'en fait la consommation.

C'est donc pour arrêter la suite des fraudes, et faire rétablir la bonne réputation des eaux de vie de cette isle et leur donner par ce moyen l'ancienne préférence qu'elles ont méritée et par conséquent le prix qu'elles doivent avoir, que le dit sindic avait convoqué le vingt cinq du mois dernier une première assemblée générale qui fut tenue au présent bourg et dans la quelle il fut délibéré que les habitans de chaque paroisse s'assembleraient dimanche dernier, chacun dans leur dite paroisse, et délibéreraient sur l'exposé du dit sindic général et qu'ils nommeraient six des principaux habitants de chacune dicelles pour faire raport du résultat des assemblées de leurs dites paroisses, pour en faire leur raport à l'assemblée générale indiquée à ce jourdhuy. Et à ces fins ont comparus en leurs personnes: sieur Pierre Geremy Boyleve, seigneur en partie de la Gombaudière (1), major général, garde cote de la capitainerie de cette isle; Me François Villain et Pierre Barbier juge et procureur fiscal de ville et baronnie du Château; sieurs Pierre Patrouilleau et Charles Moyse Neau, négocians, et Antoine Vacherie, sindic, tous habitans de la dite ville et paroisse, d'une part; Messire Barthelemy Michel de Saint-Dizant, seigneur du Treuil (2) et en partie de la baronnie du Château, chevalier de l'ordre royal et militaire de SaintLouis, ancien capitaine général garde cote de cette dite isle ; Messire François Horie Chevalier, seigneur de la Rochetallay et en partie de Merée (3), S' Arthur Collet, François Coutan,

(1) Com. du Château d'Oleron.
(2) Com. de Dolus, île d'Oleron.
(3) Com. de Dolus, île d'Oleron.

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