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(Montaigne). C'est une faculté dont on jouit dans les réunions littéraires. On s'instruit on se guide, on s'excite, on s'encourage mutuellement. Là, dans des rapports intimes et journaliers, une louable émulation donne de l'essor aux idées et de l'enthousiasme pour les talents. Là, chacun met en commun sa fortune, et tous s'associent à la gloire de chacun. Ceux qui marchent en avant, entraînent ceux qui vont moins vîte; on se prête un secours réciproque, et l'on a plus d'une occasion de remarquer combien est fondée cette observation que les uns ont la renommée, et que les autres la méritent (1). Là, on est exempt de l'inconvénient que le savant, le littérateur et l'artiste éprouvent dans un cercle d'hommes médiocres, où ils ont toujours l'air de se trouver en visite de cérémonie.

Aux avantages de ces communications habituelles pour l'esprit, à cet amour de la gloire qui est à la fois le plus puissant mobile des grands et longs travaux, le gage des

(1) Quidam merentur famam, quidam habent.

JUSTE-LIPSE.

succès et l'apanage des belles âmes, il faut joindre les plus doux sentiments du cœur; car l'amitié resserre bientôt les nœuds qu'a formés le goût des beaux-arts. Égalité parfaite établie entre tous les membres du même Corps, conformité d'affections et d'études, jouissance profonde attachée au mérite de l'esprit, simplicité philosophique dans ces égards dont on s'acquitte tour-àtour et qui s'adressent purement à la personne; bienséance, estime réciproque, attachement, tout accroît de jour en jour les douceurs de la confraternité académique.

a

Quels charmes, s'écrie Voltaire chez lequel on se plaît à rencontrer cet élan de sensibilité, quels charmes l'amitié répand sur les travaux des hommes consacrés aux lettres! Combien elle sert à les conduire, à les corriger, à les exciter, à les consoler ! Combien elle inspire à l'âme cette joie douce et recueillie, sans laquelle on n'est jamais le maître de ses idées!» Enfin, cette précieuse amitié fait à son tour naître la vertu, ou lui prête un nouvel attrait; car on ne doit pas séparer des talents ces qualités morales, d'où le savant, l'artiste et l'homme

de lettres tirent une considération personnelle, indépendante même du génie; ces vertus domestiques, qui restent cachées tant que le mérite demeure obscur, mais que la réputation éclaire tout-à-coup et décèle au public; qui réfléchissent sur les talents je ne sais quel éclat plus séduisant, préparent plus sûrement des triomphes, les font chérir même à la rivalité et pardonner même à l'envie.

Le temple des beaux-arts est l'asile des mœurs.
LAHARPE.

Il serait superflu, sans doute, de développer les traits du tableau que je viens d'esquisser. Tous les avantages qu'offre la culture des sciences, des lettres et des arts, dans les États qui les protégent, et dont ils avancent et fixent la civilisation, en faisant tout à la fois la gloire des nations et le bonheur des particuliers; le mérite et l'utilité spéciale des compagnies savantes et littéraires ressortiront, sans effort comme sans prétention, de l'histoire même de l'Académie royale des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, si j'atteins le but que je me propose, et si mon travail n'est pas trop imparfait.

Fort de mon sujet, j'espère répandre quelqu'intérêt dans un précis historique sur l'Académie d'une cité qui, même pendant la courte durée du grand empire français, ne céda qu'à Rome le titre de seconde ville de cet empire, d'une Académie qui reçut Voltaire dans son sein, et qui sut inspirer à ce représentant de l'esprit national ces vers si

connus:

<<< Il est vrai que Plutus est au rang de vos Dieux,
Et c'est un riche appui pour votre aimable ville ;
Il n'a point de plus bel asile :

Ailleurs il est aveugle, il a chez vous des yeux;
Il n'était autrefois que Dieu de la richesse:
Vous en faites le Dieu des arts;

J'ai vu couler dans vos remparts

Les ondes du Pactole et les eaux du Permesse » (1).

Ainsi Voltaire s'était plu à rendre un hommage particulier à l'Académie de Lyon

(1) L'abbé Paul a traduit ainsi ces vers, en latin :

Est, Lugdunenses, in vestro Plutus Olympo,
Urbis et est columen vestræ prædives amœnæ ;
Nulla datur Divo sedes ornatior illâ :
Vulgò alibi cæcutit, apud vos lumine pollet;
Divitiis olim præerat tantummodò, vosque
Artibus ut præsit facitis: nam perfluit urbem
Pactoli vestram simul et Permessidos unda.

où il siégea plusieurs fois. Mesurant l'importance sociale du Corps et de la ville, il avait en leur faveur agrandi l'éloge qu'il avait fait des Académies de provinces; c'est lui qui, malgré son esprit de sarcasme, avait porté sur elles cette décision sage et méritée : « Les Académies, dans les provinces, ont produit des avantages signalés. Elles ont fait naître l'émulation, forcé au travail, accoutumé les jeunes gens à de bonnes lectures, dissipé l'ignorance et les préjugés de quelques villes, inspiré la politesse, et chassé, autant qu'on le peut, le pédantisme. »>

Je tracerai l'histoire de l'Académie avec l'assurance qui résulte de ses services et de la bienveillance que les habitants d'une ville distinguée en tout temps par son amour pour les arts doivent témoigner à ceux de leurs concitoyens qui se sont voués au culte des Muses. Je serai soutenu, dans l'accomplissement de mon projet, par l'espoir de le voir conforme au vœu du public à qui la littérature devient tous les jours plus chère. Je n'aurai d'autre mérite, en présentant ce travail, que d'en avoir réuni les éléments épars et de rendre, dans un même cadre, à

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