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TITRE PREMIER.

DE LA CONTRAINTE PAR CORPS EN MATIÈRE DE COMMERCE.

Art. 1er. La contrainte par corps a lieu en matière de commerce (1) :

time si elle était appliquée pour des dettes ordinaires dont le non-payement ne peut léser que le créancier, sans froisser aucun intérêt général, car l'intérèt purement privé du créancier ne peut être mis en balance avec la liberté du débiteur.'» (Exposé des motifs.)

(1) « Dans quel cas convient-il d'autoriser la contrainte par corps en matière de commerce? Cette question présente de grandes difficultés.

« Entre négociants il n'y a pas de doute que la contrainte doit être autorisée pour toute dette résultant d'un acte que la loi qualifie acte de commerce. Cette règle est suffisamment justifiée par les considérations générales qui militent en faveur de la contrainte par corps en matière de commerce. Faut-il l'appliquer même aux dettes commerciales contractées par un négociant envers un particulier, à l'égard desquelles la loi du 15 germinal n'admet pas l'exécution par corps? Le projet a adopté l'affirmative. Il est conforme au Code de procédure des Pays-Bas, d'après lequel la contrainte par corps a lieu contre tous commerçants pour dettes de commerce contractées même envers des non commerçants. Le nouveau Code de commerce pour le royaume de Sardaigne, promulgué le 30 décembre 1843, contient la même disposition. La loi française du 17 avril 1832 et le Code de Genève n'admettent pas de distinction de personne. Cependant il faut reconnaître que, quand le créancier n'est pas commerçant, l'exécution de l'engagement a des conséquences moins graves que quand il est commerçant. Dans le commerce il n'y a pas de dette au payement de laquelle le créancier seul soit intéressé. Le négociant, nous l'avons déjà dit, qui est créancier vis-à-vis d'un individu, est débiteur envers un autre ; ce dernier est à son tour dans la même position vis-à-vis d'un troisième, et ainsi de suite; entre commerçants toutes les transactions se lient tous les capitaux sont ordinairement déjà engagés avant leur entrée, de sorte que l'inexécution d'un seul engagement entrave l'exécution d'une série d'autres obligations et porte une perlurbation plus ou moins grande dans le commerce. Il en est autrement lorsque le créancier n'est pas commergant; hors du commerce les engagements ne se succedent pas avec la même rapidité, et l'inexécution de l'obligation ne nuit ordinairement qu'au créancier. Mais il est juste de considérer que, dans le dernier cas comme dans le premier, le créancier s'est attaché principalement à la personne du débiteur et non à sa fortune, essentiellement mobile et incertaine ; qu'il s'est mis en quelque sorte à la discrétion d'un débiteur dont les biens n'offrent qu'une garantie peu solide et qui peut, s'il est de mauvaise foi, éluder tous les moyens d'exécution ordinaires. Il y a plus : quand le créancier non commerçant se trouve en concurrence avec des créanciers commerçants du même individu, sa position serait fort désavantageuse si la loi lui refusait l'exécution par corps, car il est probable que le débiteur payerait de préférence ceux envers qui il a engagé sa personne et ses biens, et que ceux à qui il n'a engagé que ses biens seulement viendraient en dernier lieu. De sorte que la loi qui n'accorderait le bénéfice de la contrainte par corps qu'aux créanciers négociants, établirait en leur faveur, et au détriment des créanciers non commer

1° Contre tous commerçants pour dettes de commerce, même envers des non-commercants (2);

2o Contre toutes personnes qui ont signé des lettres de change comme tireurs, accepteurs ou

çant, une espèce de privilége qui serait souverainement injuste.

« Les motifs d'intérêt public qui exigent que les commerçants soient soumis à la contrainte par corps, n'existent pas à l'égard des particuliers qui ont fait un acte de commerce isolé. La fortune du particulier offre des garanties plus solides que l'actif du négociant. Il ne contracte ordinairement pas des engagements au delà de son capital. Ce capital n'est pas constamment en circulation, ni engagé dans des affaires chanceuses. Ses rentrées sont mieux assurées, et sa solvabilité ne peut être gravement compromise par le fait de ses débiteurs, ni par les événements fortuits qui, d'un instant à l'autre, peuvent causer la ruine d'un négociant. Ses ressources sont plus certaines et beaucoup mieux connues que celles des commerçants. Le commerçant qui traite avec lui, prête aux biens plutôt qu'à la personne, et quand il n'est pas suffisamment rassuré sur le sort de sa créance, il exige une hypothèque ou d'autres sûretés qui se demandent rarement entre commerçants dans leurs relations habituelles. Il n'est nullement à craindre qu'en refusant au commerce la garantie de la contrainte par corps contre des particuliers, la loi tarisse la source du crédit et paralyse l'industrie.

« S'il est vrai, comme l'a dit, en 1848, le tribunal de commerce de Paris, que c'est surtout dans l'intérêt de l'emprunteur et comme moyen de crédit, que la contrainte par corps doit être maintenue en matière de commerce, il est inutile lorsque cet emprunteur est étranger au négoce. Dans son propre intérêt et dans celui du commerce, il importe qu'il ne jouisse pas, pour se livrer à des spéculations commerciales, d'un crédit qui n'est pas amplement garanti par ses biens, et dans l'intérêt public, il est à désirer qu'il n'en obtienne pas un plus grand en engageant sa liberté. Autoriser contre lui la contrainte par corps, ce serait favoriser, parmi les non commerçants, celte tendance mercantile qui a sa source dans la cupidité, dans la manie trop générale de faire une fortune rapide et qui présente, dans la plu part des cas, tous les inconvénients des jeux de hasard.

« Enfin, le non commerçant n'ayant pas la ressource de la déclaration de faillite pour faire cesser l'emprisonnement, il s'ensuit que l'exécution par corps est une mesure plus sévère à son égard qu'envers le commerçant avec lequel il a contracté. A la vérité, il peut recouvrer sa liberté en demandant la cession des biens. Mais il ne faut pas perdre de vue que peu de débiteurs peuvent profiter de ce remède dont l'application est restreinte par des exceptions si nombreuses, qu'elles forment en réalité la règle. La loi exclut même tous ceux dont l'insolvabilitité n'est pas la suite de malheurs (Code civil, art. 1268, 1945, Code de procédure, art. 905), et cette catégorie comprend tous les débiteurs qui se sont ruinés par leur propre faute, par exemple, par leur légè– reté, leur imprudence, leur imprévoyance, ou par le défaut d'ordre dans leurs affaires. Aussi, le chiffre des cessions de biens ne s'est-il élevé en Belgique, qu'au chiffre minime de huit, pendant la période de 1831 à 1850. » (Exposé des motifs.)

(2) « Sous les lois qui nous régissent encore, il y avait controverse sur le point de savoir si la con

endosseurs, ou qui les ont garanties par un aval (1);

Toutefois, les non-commerçants ne sont pas soumis à la contrainte par corps, lorsque les

trainte par corps s' s'étendait à tous les actes, qualifiés actes commerciaux par le Code de commerce. La cour de cassation de France soutenait la négative, les tribunaux de commerce l'affirmative; ceux-ci s'autorisaient du Code de commerce, ceux-là de la loi de germinal an vi et de l'art. 637 du Code de commerce. La loi française de 1832 a donné législativement raison aux premiers. Le gouvernement vous propose un système nouveau, fondé sur des raisons qui ont pleinement convaincu la section centrale. Il déclare la contrainte par corps applicable contre les commerçants, pour fait de commerce, même envers des noncommerçants. Il établit donc, a contrario, que le non commerçant qui aura fait un acte de commerce, ne sera pas contraint par corps à l'exécution de son engagement. A ce principe, toutefois, il admet deux exceptions l'une en faveur des lettres de change, l'autre en faveur des contrats maritimes. Le billet à ordre, même causé pour faits de commerce, ne donnera pas lieu à la contrainte par corps, s'il n'est pas souscrit par un commerçant. » (Rapport à la

chambre.)

(1) « La lettre de change est l'instrument le plus actif du commerce et de la circulation des capitaux. C'est une valeur commerciale qui fait en quelque sorte l'office de la monnaie. Dans l'intérêt public, il importe que cette espèce de monnaie offre les garanties les plus solides à la confiance du commerce. La contrainte par corps est une garantie indispensable pour les tiers dont la confiance dans ces titres serait détruite ou affaiblie si tous les signataires commercants et non commerçants n'en garantissaient pas le payement en engageant, non-seulement leurs biens, mais aussi leur liberté.

« Au yeux des législateurs des Pays-Bas, de Genève et de France, l'exemption de la contrainte par corps, si elle était accordée au signataire non commerçant des lettres de change, serait de nature à déprécier ces valeurs commerciales. L'exemple de ces pays doit être pour nous d'une grande autorité.

« Cette innovation pourrait d'ailleurs tourner contre les non négociants qui peuvent avoir besoin de recourir au contrat de change, soit comme tireurs, soit comme endosseurs, pour recouvrer des créances civiles dans des lieux éloignés de leur domicile et pour escompter les effets de commerce au moyen desquels des remises de fonds leur ont été faites. Ces opérations rencontreraient de grandes difficultés si, à défaut de la garantie résultant de la contrainte par corps, le crédit des banquiers se retirait des lettres de change signées par des particuliers étrangers an commerce. Il importe d'ailleurs que nos lois relatives à cette matière soient en harmonie avec celles des pays qui nous entourent, car le contrat de change sert très-fréquemment à faciliter les relations avec les pays étrangers. » (Exposé des motifs.)

«La rédaction du S 2 du projet du gouvernement, combinée avec les explications de l'exposé des motifs, semblait ne garantir par la contrainte par corps que les seules lettres de change, à l'exclusion de tous autres billets et effets de change, notamment des billets à domicile portant remise de place en place. La section centrale pensa que les raisons invoquées pour le maintien de cette voie d'exécution, en faveur des premières, militaient pour l'application de cette mesure comme garantie du payement des seconds,

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<< Contre toutes personnes qui signent des effels de change, etc. Ces derniers mots ne pouvaient évidemment s'appliquer qu'aux effets ou billets portant remise de place en place, et devaient exclure par leurs termes mêmes les billets à domicile n'ayant pas ce caractère.

«La section centrale ne s'arrêta guère à l'idée que, par la disposition proposée, elle étendait l'application de la contrainte par corps à des cas nouveaux. Il lui sembla que des motifs identiques devaient amener des conclusions identiques; que les effets négociables par endossement et renfermant le contrat de change devaient tous, au point de vue de la confiance qu'ils exigent et partant au point de vue de la garantie spéciale de la contrainte par corps, être placés sur la même ligne. Son intention d'adoucir la législation en cette matière se manifestait par de nombreux amendements à un projet de loi qui réformait déjà radicalement les lois existantes.

« Le sénat n'agrée pas la disposition nouvelle de l'article. Il semble résulter des discours qui furent prononcés dans son sein qu'à ses yeux cette rédaction n'établit pas une distinction suffisante entre les billets à domicile portant remise de place en place, c'est-à-dire ayant le caractère de change et ceux n'ayant pas ce caractère et rentrant dans la classe des billets à ordre, pour lesquels la loi nouvelle n'admet la contrainte par corps que lorsqu'ils émanent de commerçants et qu'ils sont relatifs à une opération de commerce.

« On crut aussi que les raisons impérieuses qui font garantir par la voie de la contrainte par corps le payement des lettres de change souscrites, endossées, etc., par des non-commerçants, n'existent pas en matière de billets à domicile, même réunissant les conditions d'effets de change, et l'on en revint simplement au projet primitif du gouvernement.

"

«Le rétablissement de rédaction à l'alinéa 1er aurait dû amener le remplacement du mot effets, dans le 2e alinéa, par le mot lettres. Toutefois l'intention du sénat de considérer ces deux mots comme synonymes étant évidente, la section centrale ne croit pas devoir, en vue d'une simple correction de style, proposer un amendement qui nécessiterait le retour du projet au sénat et retarderait la publication d'une loi impatiemment attendue. » (Dernier rapport à la chambre.) D'après la loi du 15 germinal an vi, le signataire non commerçant d'un billet à ordre n'est pas contraignable par corps. L'art. 637 du Code de commerce a maintenu le principe de la loi de germinal; mais il a admis une exception à ce principe, lorsqu'une cause commerciale vient se joindre au titre négociable; il soumet le signataire non commerçant à la contrainte par corps, lorsqu'il s'est engagé par billet à ordre à l'occasion d'opérations de commerce, trafic, change, banque ou courtage. Le projet a adopté le système de la loi de germinal. Il n'autorise

dans aucun cas la contrainte par corps contre les signalaires et donneurs d'aval, non commerçants, de ces effets et des lettres de change réputées simples promesses en vertu de l'art. 112 du Code de commerce. Lorsque ni la nature du titre, ni le caractère commercial de l'opération n'entraînent la contrainte par corps, il ne serait pas rationnel d'accorder plus d'effet à la réunion de ces deux circonstances.

« La controverse qui s'est élevée concernant la question de savoir si le non commerçant qui a garanti, par un aval, le payement d'un billet à ordre ou d'une lettre de change réputée simple promesse est contraignable par corps, vient donc à cesser. » (Exposé des motifs.)

M. FORGEUR : « Je déclare que je n'ai soumis à M. le ministre de la justice qu'une seule observation, parce que le projet de loi qu'il nous a présenté m'a paru réaliser un grand progrès et améliorer d'une manière heureuse la législation existante.

« J'en félicite done sincèrement le gouvernement, j'espère bien que ce n'est là qu'un premier pas dans la voie des améliorations; et que tôt ou tard on reconnaîtra enfin que le commerce et le maintien du crédit n'exigent pas que, pour le contraindre à l'exécution de ses engagements, un citoyen belge puisse être privé de sa liberté.

« Je tiens infiniment, messieurs, à la liberté individuelle; et je considère la contrainte par corps, mise en œuvre pour obtenir le payement d'une dette, comme un moyen de coercition qui ne doit être employé qu'avec la plus grande réserve, la plus grande circonspection.

་་

Voici, messieurs, l'observation que j'ai soumise à M. le ministre de la justice et sur laquelle je me permets d'appeler l'attention de la commission du sénat et par suite du sénat tout entier.

« L'art. 1er du projet de loi dit d'abord que la contrainte par corps a lieu en matière de commerce : « Contre tout commerçant pour dettes de commerce même envers des non commerçants;

« Contre toutes personnes qui signeront des effets de change comme tireurs, accepteurs ou endosseurs ou qui les garantiront par un avak.

Toutefois, les non-commerçants ne sont pas soumis à la contrainte par corps, lorsque les effets de change signés ou garantis par eux sont réputés simples promesses aux termes de l'art. 112 du Code de

commerce.

« Ainsi la contrainte par corps est stipulée contre toutes personnes qui signeront des effets de change, mais il est déclaré que cette contrainte n'a pas lieu lorsque ces effets de change sont considérés comme de simples promesses.

<< D'un autre côté, il existe dans la loi sur la contrainte par corps une disposition qui n'est que l'application, le corollaire de celle-ci et qui déclare Loute stipulation par laquelle un individu se soumet, pour l'exécution de son engagement, à la contrainte par corps, radicalement nulle.

« On n'a pas permis à un citoyen belge d'aliéner ainsi sa liberté.

«Eh bien, malgré cette disposition formelle, il arrivera, si la loi n'est pas interprétée comme je le désire, qu'un individu sera toujours soumis à la contrainte par corps lorsqu'on lui aura fait signer une obligation qui n'aura de la lettre de change que l'apparence, que le nom. - Je m'explique.

>> Un jeune homme, un dissipateur, un individu qui éprouve le besoin d'emprunter se présente chez un de ces prêteurs douteux qu'on qualifie quelquefois avec raison, qu'ils exercent la grande où la petite banque, sous le nom d'usuriers.

« Cet individu a besoin d'argent; il ne peut stipuler pour l'exécution de son engagement la contrainte par corps

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signait un acte par lequel il dirait à son prêteur: «Je m'engage vis-à-vis de vous pour le cas où je ne rembourserais pas à l'échéance, à vous permettre de m'incarcérer, de me procurer la jouissance de la prison cellulaire, » cet acte serait nul. Eh bien, voici le moyen qu'on emploie; on dit à l'individu : Vous allez signer une lettre de change. Qu'est-ce qu'une lettre de change? C'est un simple petit morceau de papier par lequel vous déclarez que vous ferez payer à Londres, à Paris, dans quinze jours, dans trois semaines, que vous ferez enfin remplir votre engagement.

« C'est bien là le caractère de la lettre de change; la lettre de change est, ou la transmission d'une valeur qui existe actuellement ou la promesse de faire arriver à une époque déterminée une valeur certaine; voilà la lettre de change vraie; la lettre de change simulée, celle que l'on fait signer à mon emprunteur est réputée simple promesse d'après les dispositions de la loi, de sorte que l'emprunteur léger, inconséquent, ne sera pas contraignable par corps s'il se trouve en présence de celui au profit de qui il a souserit; mais cette promesse est endossée, elle passe de main en main et arrive à l'échéance. Je demande à M. le ministre de la justice si le souscripteur de cette lettre de change apparente, qui n'est en réalité qu'une simple promesse, sera contraignable par corps vis-à-vis des tiers porteurs d'une pareille lettre de change.

« Je désirerais que le gouvernement pût donner une solution à cette question dans un sens ou dans. l'autre, pour la prochaine séance.

« Quant à moi, je suis d'avis qu'il ne peut pas en être ainsi, je suis d'avis que si la pensée du gouvernement était que dans ce cas la contrainte par corps doit être applicable, il faudrait modifier la loi ; mais j'ai peine à croire que ce soit là sa pensée, d'après les explications qui m'ont été fournies par deux honorables membres de la chambre des représentants, lesquels m'ont autorisé à livrer leurs noms à la publicité; je veux parler de mes collègues en représentation de Liége, MM. Muller et Deliége.

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Lorsque je leur ai exposé la question; lorsque je leur ai dit qu'il y avait là une innovation à introduire dans la loi, ils m'ont répondu que je combattrais, au sénat, des moulins à vent; que la loi avait été conçue et interprétée dans ce sens dans les discussions auxquelles elle avait donné lieu en commission; que si on lui donnait une interprétation contraire, ils auraient, par ce fait, volé le contraire de ce qu'ils croyaient voter.

« Voilà ce qui m'a été affirmé avec autorisation d'en donner connaissance en pleine séance.

«Eh bien, j'insiste fortement pour que le ministre déclare que c'est un moulin à vent que j'ai combattu, je serais heureux qu'il en fût ainsi, j'insiste pour que M. le ministre de la justice déclare que l'interprétation que je désire donner à la disposition est bien celle qui a prévalu dans sa pensée, et celle qui devra prévaloir lors de l'application de la loi.

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Remarquez, messieurs, que le commerce n'est pas intéressé à ce qu'il en soit autrement, remarquez que le crédit public relativement à la spécialité de la lettre de change n'a rien à voir ici; ce que je veux, c'est protéger la famille qui en définitive finit tonjours par payer lorsque les engagements inconsidérés que l'on a fait signer à l'enfant prodigue peuvent être exécutés par la voie de la contrainte par corps. « Je dis que le commerce n'a rien à voir à tout

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ceci, et tous ceux qui s'occupent d'affaires commerciales me comprendront; lorsqu'on accepte une lettre de change, on ne l'accepte pas à raison de la signature bonne ou mauvaise de celui qui l'a tirée, on l'accepte parce qu'on est en rapport avec celui au profit de qui elle est tirée et qui en fait l'endosse

ment.

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Or, remarquez-le, l'endosseur d'une lettre de change qui serait réputée simple promesse vis-à-vis du tireur, l'endosseur, dis-je, d'une pareille lettre de change n'en reste pas moins contraignable par corps.

« Tout ce que je veux, c'est que la disposition de l'art. 2 soit entendu dans ce sens que les non commerçants ne sont pas soumis à la contrainte par corps vis-à-vis de tous les porteurs de la lettre de change lorsque l'effet de change qu'ils ont signé ou garanti est réputé simple promesse.

«Voilà, messieurs, la modification principale que je désire voir introduire dans la loi relative à la contrainte par corps.

<< Il est une autre disposition qui a également fixé mon attention. Lorsque la contrainte prononcée par une sentence a été suivie d'un emprisonnement prolongé pendant une année, il est facultatif au débiteur de se présenter en justice et de demander que la contrainte vienne à cesser.

« C'est là une innovation heureuse, car il faut convenir que lorsque le malheureux débiteur d'une dette commerciale a passé une année en prison, il a bien prouvé par là qu'il ne possédait pas de biens cachés, au moyen desquels il pourrait faire face à ses engagements; il faut reconnaître que lorsqu'il aura subi sa peine dans les prisons du genre américain qu'on nous fait, lorsqu'il aura payé de sa personne, l'impossibilité de payer de sa bourse ne pourra plus être mise en doute."

« Cet individu, usant de la faculté qui lui est laissée, se présente donc devant le tribunal qui a prononcé la contrainte par corps et demande son élargissement; le tribunal peut le lui accorder, mais il peut aussi le lui refuser et dans ce cas la loi déclare la décision souveraine, irrévocable; c'est le projet tel qu'il a été voté à la chambre ; je crois que la commission l'a amendé. >>

M. LE BARON D'ANETHAN : « Oui. >>

M. FORGEUR : «<Avec raison, selon moi ; ainsi dans le cas que je viens de prévoir, il n'existe aucune espèce d'appel; un tribunal mobile, variant dans sa composition, dispose souverainement lorsqu'il a à décider le point de savoir si la liberté d'un citoyen doit lui être rendue, il dispose souverainement sans que sa décision puisse être contrôlée.

« Je crois que c'est là un abus et qu'il y a lieu, dans ce cas, d'introduire l'appel.

<< Mais M. le ministre de la justice, dans une conversation sur ce sujet, m'a fait une observation juste. Si vous introduisez l'appel, me disait-il, vous allez donner naissance à des frais considérables. Cela est vrai; il faut parer à cet inconvénient, et le moyen est très-simple; la discussion sur le point de savoir si la contrainte par corps doit ou ne doit pas durer après une année, peut se faire sans formalité, sans difficultés.

« Le débiteur est conduit devant la cour; il est en face de son créancier; il explique sa position, et la cour d'appel, qui contrôle toutes les décisions des tribunaux de commerce, la contrôle dans le cas spécial qui nous occupe; cela me paraît juste et rationnel.

«Quant à moi, je vous avoue que je suis effrayé de voir qu'on pourrait accorder à un tribunal, sans

contrôle, le droit de déclarer que l'emprisonnement devra se prolonger pendant un temps indéfini.

« Veuillez remarquer qu'il n'y a plus, après ce premier appel, un second appel ouvert pour le débiteur; ainsi, s'il n'obtient pas son élargissement, il devra, si son créancier est intraitable ou que la charité publique n'intervienne pas, subir un emprisonnement de cinq années.

« Je sais bien qu'en général on est excessivement humain dans notre pays. Mais je sais aussi par expérience que la contrainte par corps est souvent mise à exécution contre des malheureux; ce n'est pas au haut commerce, ce n'est pas pour de grandes opérations qu'on l'appliquera. Les statistiques le prouvent. C'est pour de petites dettes qu'en général on appliquera la contrainte par corps, et qu'elle s'exécute avec une inhumanité à nulle autre pareille.

<< M. le ministre de la justice fait un signe négatif; je lui déclare que dans deux circonstances, à ma connaissance, le fait que je signale s'est produit; que, dans ces deux occasions, j'ai ouvert des souscriptions pour faire sortir le débiteur de sa prison et que j'ai rencontré partout l'accueil le plus sympathique.

« Je dis donc que lorsqu'il s'agit d'un intérêt aussi important que la contrainte par corps et lorsqu'elle s'est prolongée pendant une année, je ne voudrais pas laisser aux seuls tribunaux de commerce le soin de disposer souverainement de la vie de l'incarcéré pour une période qui pourra se prolonger pendant quatre ans.

«Voilà, messieurs, l'observation essentielle que je désirais présenter.

«Certainement si j'avais fait cette loi, je l'aurais faite plus humaine encore.

« Je déclare que sous ce rapport je suis humanitaire au plus haut point, mais je suis bien obligé de subir les exigences de la position qu'on crée et qu'on croit légitime et je ne demande que de voir améliorer la loi dans le sens des observations que je viens de soumettre au sénat.

« Vous m'excuserez, messieurs, si je cause un peu; c'est pour utiliser votre séance et afin que M. le ministre de la justice puisse demain répondre à mes observations.

<< Nous avons reçu une pétition des notaires de l'arrondissement de Bruxelles.

« Il y a du vrai dans la pétition des notaires de Bruxelles; mais tout ce qui s'y trouve n'est cependant pas exact.

«Ainsi, par exemple, on ne peut évidemment pas assimiler les ventes volontaires aux ventes forcées. Dans les ventes volontaires, le vendeur est libre de vendre ou de ne pas vendre; dans les ventes forcées, au contraire, c'est bien à regret, sans doute, que celui qui est l'objet d'une expropriation se voit dépouillé de son bien. On comprend donc parfaitement que la contrainte par corps soit prononcée dans un cas contre le fol enchérisseur et qu'elle ne le soit pas dans l'autre.

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Quoi qu'il en soit, vous comprenez, messieurs, que je ne puisse pas m'associer aux idées émises par la chambre des notaires de Bruxelles, puisque je suis, autant qu'on peut l'être, l'adversaire de la contrainte par corps et que si je pouvais l'abolir, je n'y manquerais pas. Dans cet ordre d'idées, je suis naturellement disposé à ne pas contribuer à améliorer la loi pour que la contrainte par corps puisse être exercée dans tous les cas indistinctement; et je considère déjà comme un bienfait que la loi ne permette de l'exercer que contre le fof enchérisseur sur expropriation forcée.

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Voilà, messieurs, tout ce que j'ai à dire pour le

moment sur la question de la contrainte par corps. » (Sénat. Séance du 22 décembre 1858.)

M. LE MINISTRE DE LA JUSTICE: « Messieurs, dans la discussion générale du projet de loi, l'honorable M. Forgeur a présenté quelques observations, notamment en ce qui concerne le no 2 de l'art. 1er.

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D'après cette disposition, la contrainte par corps est prononcée contre toutes personnes qui ont signé des effets de change comme tireurs, accepteurs on endosseurs ou qui les ont garantis par un aval. Toutefois les non commerçants ne sont pas soumis à la contrainte par corps lorsque les effets de change qu'ils ont signés on garantis sont réputés simples promesses aux termes de l'art. 112 du Code de commerce.

« L'honorable M. Forgeur a demandé quelle était l'interprétation à donner à ce paragraphe, et notamment si le souscripteur d'une lettre de change apparente qui n'est, en réalité, qu'une simple promesse, sera contraignable par corps vis-à-vis des tiers porteurs d'une pareille lettre de change.

« Je dois répondre affirmativement à cette question. Le souscripteur d'une lettre de change apparente sera contraignable par corps sous l'empire de la loi projetée, dans les mêmes cas que sous l'empire du Code actuel, c'est-à-dire que vis-à-vis des tiers porteurs de bonne foi qui ignorent les vices de la lettre de change le souscripteur sera contraignable par corps.

«Elle ne sera réputée simple promesse que vis-àvis de ceux qui connaîtront les vices de la lettre de change.

« Il doit en être ainsi dans l'intérêt du commerce. « Personne n'ignore que la lettre de change est aujourd'hui la monnaie du commerce.

«Si l'on déclarait que la lettre de change sera réputée simple promesse vis-à-vis de tout le monde, vis-à-vis des tiers porteurs de bonne foi, il arriverait que ceux-ci seraient tenus de vérifier, pour leur sécurité, les conditions de la lettre de change, son origine, la nature de l'opération qui y a donné lieu, à s'assurer de la qualité, de la profession de la personne qui l'a créée.

« Ce serait porter à la confiance dont doit jouir la lettre de change une sérieuse atteinte, et c'est ce qu'on ne peut admettre pour éviter des inconvénients individuels, si je puis m'exprimer ainsi, qui ne peuvent être mis en parallèle avec ceux qui atteindraient le commerce si l'on adoptait le système de l'honorable M. Forgeur.

« Cette question a été très-vivement discutée en France lorsqu'on y a revisé la législation sur la contrainte par corps. On a maintenu le système existant dans la législation antérieure. C'est celui que nous proposons également.

«Je trouve dans le rapport de votre commission propos de ce même article quelques observations sur lesquelles je crois devoir donner quelques explications. Le rapport porte :

« On a substitué aux mots : lettres de change ceux d'effets de change, pour y comprendre le billet à doa micile qui, d'après le rapport fait à la chambre, a les «< caracteres essentiels de la lettre de change. Cette << assertion est très-contestable (Pardessus, no 486), «<et votre commission ne voit pas pourquoi le billet « à domicile serait rangé dans une autre catégorie « que le billet à ordre ordinaire. Elle ne croit pas « néanmoins devoir proposer d'amendement ; elle se a borne à déclarer qu'elle ne donne pas aux mots effets de change une autre signification que celle << attachée aux mots lettres de change. »

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Messieurs, il a deux espèces de billets à domi

cile. Les uns ne contiennent en réalité qu'une élec

tion de domicile pour le payement faite, soit pour la convenance du creancier, soit pour celle du débiteur.

« Votre commission a raison d'assigner à celle espèce de billets à domicile le caractère de billets à ordre, et je ne pense pas que dans ce cas il y ait lieu de prononcer la contrainte par corps.

«Mais il y a une autre espèce de billet à domicile, celui qui n'a eu pour cause qu'une remise d'argent d'un lieu sur un autre.

« C'est là une véritable opération de change. Ce billet participe de la nature de la lettre de change et il doit être garanti par les mêmes voies d'exécütion.

<«< C'est là une distiuction que la jurisprudence a également faite, et la commission pourrait, je pense, en raison de cette application, se rallier à la rédaction adoptée par la chambre. »

M. LE BARON D'ANETHAN : « Messieurs, je suis complétement de l'avis de l'honorable ministre de la justice relativement à la première question qu'il a traitée. Je pense avec lui que l'opinion de l'honorable M. Forgeur ne peut pas être admise.

« Je regrette vivement que cet honorable membre n'ait pu se rendre au sénat pour soutenir les idées qu'il avait émises et pour répondre aux objections de M. le ministre de la justice et aux miennes contre son opinion.

« L'honorable M. Forgeur m'a écrit pour me faire connaître son empêchement et il m'a indiqué en même temps différentes modifications qu'il désire voir introduire dans la loi.

« Quoi qu'il en soit, cet honorable sénateur ayant développé longuement le système que vient de combattre M. le ministre de la justice, je crois devoir en dire un mot.

«Je me rallie à l'opinion de M. le ministre de la justice. Il est impossible, comme il l'a dit, d'admettre l'opinion de l'honorable M. Forgeur sans détruire la confiance dont doit jouir la lettre de change; ce serait exiger que les tiers porteurs, avant de recevoir un effet, vérifiassent la solvabilité de tous les endosseurs et surtout du tireur.

« La confiance dans la lettre de change est basée sur la solidarité des endosseurs et du tireur. C'est l'ensemble de ces signatures qui inspire cette confiance et qui fait de la lettre de change, comme l'a dit l'honorable ministre de la justice, une véritable monnaie courante. Le tireur ne peut donc se soustraire à la contrainte par corps.

<< Je me demande encore s'il serait juste, relativement aux endosseurs, d'admettre le système de l'honorable M. Forgeur? Comment! l'endosseur serait contraignable par corps et celui-ci ne trouverait, lorsqu'il voudrait prendre son recours contre le tireur, qu'un homme de paille! Cela n'est pas soutenable et cela ne peut être admis si l'on veut que la lettre de change continue à jouer le rôle utile qu'elle a dans le commerce.

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J'ajoute que ce qu'a dit M. Forgeur relativement aux dangers de cette disposition me paraît

inexact.

<< M. Forgeur s'est un peu trop occupé, selon moi, de l'intérêt du jeune homme qui trop légèrement signerait une lettre de change à un usurier.

« Je crois au contraire très-utile d'appliquer la contrainte par corps à ces cas; quand le jeune homme aura en perspective la prison cellulaire, il n'ira plus aussi facilement lever de l'argent chez un usurier. Dans l'intérêt de ces jeunes gens eux-mêmes, comme dans l'intérêt des familles, cette législation doit donc être maintenue.

« J'aborde la deuxième question traitée par M. le

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