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Période antérieure à 1860. En 1830, le Rhône était, au point de vue navigation, à peu près à l'état sauvage. Il existait bien, sur le cours du fleuve, et principalement dans la partie inférieure, des ouvrages très anciens; et depuis plusieurs siècles de grands efforts avaient été faits par les communes ou par les propriétaires riverains, opérant isolément ou réunis en associations syndicales quelquefois très étendues, pour la défense de la vallée contre les corrosions ou les débordements.

Ces ouvrages consistaient presque exclusivement en perrés de protection de rives, en épis défensifs, ou en digues insubmersibles contre les inondations: mais ils n'ont eu que très exceptionnellement et accessoirement pour objet l'amélioration de la navigabilité du fleuve, surtout en permettant sur certains points un passage plus facile aux équipages de halage. Ils étaient entrepris sur des sections isolées, sans plan ou programme général, sans entente entre les deux rives, sans lien entre eux; ils n'ont produit que rarement des résultats utiles à un bon mouillage, et même sur un grand nombre de points, leur tracé défectueux a constitué un obstacle sérieux aux améliorations qui ont été projetées plus tard. Il en est résulté cependant, dans certains cas, une fixité relative des rives; et les divagations du lit mineur du fleuve, autrefois très étendues, avaient déjà été sensiblement réduites dans quelques sections.

Malgré cela, sur bien des hauts fonds, le mouillage descendait à l'étiage jusqu'à 0,50 et même 0m.40, ce qui rendait pratiquement impossible le passage des bateaux, même à très faible charge. D'autre part, les équipages de remonte rencontraient de grandes difficultés à raison de l'interruption du chemin de halage par les faux bras, lônes et affluents; et le halage devenait mêmé impossible quand le chemin était noyé d'une trop grande hauteur, par des eaux à 3m,25 environ sur l'étiage, soit un mois en moyenne chaque année.

La navigation se faisait au moyen de deux types de bateaux : les cesselandes, ou seysselandes, avaient une longueur de 24,20, une largeur de 4,40 leur permettant de passer dans beaucoup de canaux, et un tirant d'eau maximum de 1,80; les savoyardes, avec leur longuenr de 29,00 et leur largeur de 6m,30, admettaient un charge

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dises; par eaux moyennes, la descente se faisait en 12 heures, la remonte en demandait de 75 à 90 (1).

Par une circulaire du 1er Septembre 1833, l'Administration demanda des rapports détaillés sur le régime du fleuve, ses accidents principaux, l'état actuel de la navigation et les perfectionnements qu'elle pouvait exiger.

Les Ingénieurs entre lesquels se répartissait alors le service du Rhône ont répondu à cette demande, la première dont il ait été trouvé trace, en insistant sur la nécessité d'améliorer les conditions du halage, et en signalant comme nécessaires des défenses de berges et des extractions d'écueils : ils se sont, en général, peu préoccupés d'augmenter le tirant d'eau, et l'un d'eux constate même que, si la navigation est obligée d'alléger en basses eaux sur bien des points, < cet inconvénient, qui se rencontre sur toutes les rivières, n'a lieu » que pendant une très petite partie de l'année, et ne se présente » pas tous les ans, et les dépenses qu'il faudrait faire pour y >> remédier complètement seraient extrêmement considérables ».

On trouve cependant, dans ces rapports, quelques indications sur un premier programme d'amélioration du fleuve. Il y est constaté l'inutilité des dragages, qui ne peuvent réussir que si « le peu de » profondeur est dû à la nature du sol, qui a résisté à l'action » corrosive des eaux »; que l'amélioration par barrages éclusés coûterait beaucoup trop cher, et ne donnerait qu'une navigation sujette à être interrompue par les grosses eaux et par une foule d'autres circonstances; que mieux vaudrait construire un canal latéral, comme il avait été projeté quelques années auparavant par M. l'Ingénieur Cavenne. On ne propose pas, toutefois, d'abandonner toute amélioration du chenal; et on envisage la réunion de toutes les eaux basses ou moyennes dans un lit mineur d'une largeur proportionnée au débit (mais pas trop réduite pour ne pas créer une vitesse excessive), au moyen de digues à 4m,00 sur les basses eaux, servant au halage; les eaux d'inondation seraient contenues par

(1) Le premier bateau, Le Pionnier, fut mis en service le 11 Juillet 1829; il fit le voyage de remonte d'Arles à Lyon, portant 115 tonnes de marchandises, eu 88 heures de marche. Trois autres bateaux analogues furent mis en service en 1830.

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des levées insubmersibles placées plus ou moins loin du lit mineur.

A la suite de cette enquête, qui fut probablement étendue à d'autres fleuves ou rivières, une loi du 30 juin 1835 consacrait au perfectionnement de la navigation du Rhône, en 1836, une somme de 400.000 fr. et ajoutait qu'un crédit spécial serait porté annuellement à cet effet au budget du Ministère de l'Intérieur. C'était un crédit absolument insuffisant, alors surtout qu'il devait se répartir entre les Ingénieurs en chef des services ordinaires riverains, chargés des travaux du Rhône, chacun dans l'étendue de son département; et rien d'utile ne put être fait, que quelques améliorations du chemin de halage.

En 1840, fut créé le service spécial du Rhône, avec attributions restreintes (jusqu'au 1er janvier 1843) à la préparation des études d'un projet général et d'ensemble de perfectionnement du fleuve. Ce projet fut dressé en Janvier-Février 1843 par M. Josserand, Ingénieur en Chef, pour la section de la Saône à Donzère, et par M. Surell, Ingénieur ordinaire, pour la partie de Donzère à Arles et présenté par M. Bouvier, Ingénieur en Chef, Directeur de la Vallée du Rhône: il comportait une dépense totale de 25 millions. Les Ingénieurs partaient de cette donnée que, avec un débit d'étiage de près de 400 mètres cubes, un lit de 180 mètres de large, offrant une pente de 0,60 par kilomètre (pente réduite du fleuve entre Lyon et Donzère), devrait avoir, moyennement, une profondeur de 1,50, strictement nécessaire pour les bateaux à pleine charge; et ils se proposaient de réunir toutes les eaux dans un seul lit d'une largeur exactement déterminée, afin de les obliger à le creuser elles-mêmes : c'est l'amélioration par resserrement.

Devant l'impossibilité et le danger de contenir les eaux des grandes crues dans un lit suffisant, entre deux digues insubmersibles, ils projetaient de créer un lit mineur de 180 à 200 mètres, entre des ouvrages peu élevés. Dans les sinuosités, les berges concaves seraient défendues par des enrochements, et on laisserait s'avancer naturellement le gravier de la rive convexe; dans les parties où le lit change fréquemment, il faudrait défendre une berge, tout en faisant sur l'autre rive une digue submersible, et

en évitant les redressements, qui augmenteraient la vitesse. Les digues ou défenses de berges auraient une hauteur de 1,50 sur les basses eaux ordinaires, ou 2,00 sur le plus bas éliage; on élèverait à 3m,00 sur l'étiage, les ouvrages susceptibles d'être empruntés par les équipages de halage.

A la suite de la présentation de ce programme, l'Administration décida qu'il devait être procédé à l'amélioration de la navigation du Rhône, non par la voie d'un crédit total et la présentation d'un projet général d'ensemble des travaux, mais au moyen d'une dotation annuelle et sur le vu de projets partiels ; que, toutefois, et pour éclaircir autant que possible la question considérée dans son ensemble, il convenait de faire procéder immédiatement à une reconnaissance générale du cours du Rhône. Elle prescrivait, en conséquence, de lever un plan général du cours du fleuve, pour servir à la préparation des projets partiels; et elle constituait une commission composée des Ingénieurs et de représentants de la navigation, avec mission de réunir tous les renseignements qui pourraient éclairer la question de la régularisation et de l'amélioration du Rhône.

De nombreux projets furent présentés, approuvés et exécutés à partir de 1844 ; ils avaient, en général, encore pour objet de faciliter le halage, de réunir les eaux dans un même bras, de redresser certaines courbes, d'extraire des écueils dangereux, et, dans bien des cas, de défendre les plaines contre les inondations ou les rives contre les corrosions. Une part très importante des crédits annuellement affectés aux ouvrages neufs du Rhône fut absorbée par cette dernière catégorie de travaux, qui étaient à peu près entièrement étrangers à l'amélioration proprement dite de la navigation.

Celle-ci était cependant toujours en progrès: si les équipages de halage avaient presque disparu, descendant de 6.000 chevaux en 1830 à 840 chevaux en 1843 et 120 chevaux, seulement, en 1853, la batellerie à vapeur s'était développée, principalement au moment de la disette [des blés en 1846-1847. Des quantités considérables de grains arrivèrent alors de Russie directement jusqu'à Arles, et furent remontées à Lyon, soit par des vapeurs porteurs, soit par des barques remorquées par des vapeurs à grappins, à des prix, qui,

Ann. des P. et Ch. MÉMOIRES, 1911-VI.

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