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pas à la pétition du prince, de lui garder le secret, sa vie pouvant courir un imminent danger, si l'on venait à découvrir une telle démarche.

L'écrit de cinq feuilles et la lettre étaient l'oeuvre d'Escoiquiz, on y insistait sur les mêmes points, et, cherchant à s'opposer à l'alliance antérieurement proposée entre le prince et la soeur de la princesse de la Paix, on insinuait le moyen d'arriver au mariage désiré avec une parente de l'empereur des Français. On s'y servait de noms supposés, et les conseils qu'on y donnait étant censés venir d'un moine, il ne paraissait pas étrange que, mêlant le sacré au profane, on recommandat avant tout, comme on le faisait, d'implorer la divine assistance de la Vierge. Il était aussi demandé, dans ces instructions, que le prince s'adressat à sa mère, en faisant un appel à ses sentimens de reine et de femme, elle dont l'amour-propre se trouvait offensé par l'ingratitude et les dédains de son amant en titre. Dans la corruption d'une si folle intrigue percent déjà cette naïve crédulité et cette ambition inquiète dont le chanoine Escoiquiz ne nous donnera malheureusement que trop de preuves dans le cours de cette histoire. On s'étonne, en effet, qu'il ait pu penser qu'un prince jeune et sans expérience aurait plus de crédit sur l'esprit de son père, qu'une épouse et un favori, auxquels la force de l'habitude autant que les liens d'une affection personnelle avaient donné un pouvoir absolu sur l'âme paresseuse de ce faible monarque. Mais bien qu'en examinant les papiers du prince on pût y remarquer un ardent désir de s'emparer de l'autorité et d'intervenir dans les affaires du gouvernement, il n'apparaissait néanmoins aucun projet formel de détrôner le roi, et moins encore le crime atroce d'un fils qui attente à la vie de son père. Et cependant, ils furent cause de la publication du fameux décret du 30 octobre, dont l'im

portance nous engage à l'insérer ici littéralement II était conçu en ces termes :

Dieu, qui veille sur ses créatures, ne permet « pas l'accomplissement de faits atroces, quand les « victimes sont innocentes. C'est ainsi que sa toutepuissance m'a préservé d'une catastrophe inouie. «Mon peuple, tous mes sujets connaissent parfai<< tentent mes sentimens chrétiens et la régularité « de mes mœurs; tous m'aiment, et je reçois de de respect, ainsi « tous des T'exigent preuves que « les égards dus à un père qui chérit ses enfans. «Je vivais persuadé de cette vérité, quand une main « inconnue me montre tout-à-coup et me découvre «<le plan monstrueux et inoui que l'on formait con«tre ma personne dans mon propre palais. Ma vie, «<tant de fois en péril, était devenue à charge à mon « successeur, qui, préoccupé, aveuglé et oubliant «tous les principes de foi chrétienne que lui enseiagnèrent mes soins et mon amour paternels, avait accepté une trame pour me détrôner. Je voulus << alors chercher à connaître par moi-même la vérité « du fait, et le surprenant dans sa propre chambre, «<je trouvai en son pouvoir le chiffre qui servait à «ses intelligences avec les scélérats, et les instruc«<tions qu'il en recevait. Je convoquai, pour l'exa«men de ces papiers, le gouverneur intérimaire du <«< conseil, afin qu'en s'associant à d'autres ministres, «ils s'occupassent conjointement des recherches né«cessaires. Tout a été fait, et il s'en est suivi la « découverte de différens coupables, dont j'ai dé«crété l'arrestation, ainsi que la mise aux arrêts de <«< mon fils dans sa demeure. Cette peine manquait à << toutes celles qui m'affligent; mais de même qu'elle <«<est la plus douloureuse, c'est aussi celle qu'il est « le plus important de faire expier à son auteur, « et, en attendant que j'ordonne de publier le ré

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sultat des poursuites, je ne veux pas manquer « de faire connaître à mes sujets mon affliction, qui << deviendra moindre par les preuves de leur loyau« té. Vous tiendrez cela pour entendu, afin d'en << donner connaissance en la forme convenable. San<< Lorenzo del Escorial, ce 30 octobre 1807. - Au « gouverneur intérimaire du conseil. » On assura plus tard que ce décret était de la main du prince de la Paix ainsi l'attestèrent quatre secrétaires du roi; mais l'original ne se trouve pas au dossier du procès.

Vers le même temps, Charles IV écrivit à l'empereur Napoléon, en lui faisant part de l'événement de l'Escurial. Il commençait sa lettre par lui donner à entendre combien il s'occupait des moyens de coopérer à la ruine de l'ennemi commun (c'est ainsi qu'il appelait les Anglais); puis, après lui avoir témoigné la conviction dans laquelle il avait été jusqu'alors que toutes les intrigues de la reine de Naples (expressions remarquables) avaient été ensevelies avec sa fille, il en venait à l'annonce de la terrible nouvelle du jour. Non content de lui parler du dessein qu'il supposait à son fils de vouloir le détrôner, le roi Charles accusait encore celui-ci d'une nouvelle et horrible machination contre la vie de sa mère, et concluait par la nécessité de châtier le prince héréditaire pour des crimes si atroces, et de révoquer la loi qui l'appelait à succéder au trône, en mettant à sa place un de ses frères; il terminait sa lettre en demandant l'assistance et les conseils de l'empereur. L'intention formellement indiquée, dans cet écrit, de priver Ferdinand du droit de succession, recélait peut-être les vues ultérieures du parti de Godoy et de la reine. Si elles existèrent, toutefois, elles furent bientôt déconcertées par des obstacles imprévus, au nombre desquels on peut compter un incident qui devait

aggraver la position du prince et de ses anus, si une justice impartiale eût présidé à l'affaire, et qui, au contraire, les sauva tous d'un funeste denoù

ment.

Le prince commençait à envisager avec une frayeur extrême les suites de son arrestation. Le 30, à une heure de l'après-midi, aussitôt que le roi fut parti pour la chasse, il adressa un message à la reine pour qu'elle daignât passer dans sa chambre, ou permettre qu'il allat chez elle lui parler d'une chose du plus haut intérêt. La reine se refusa à l'une et à l'autre demande; mais elle lui envoya le mar quis Caballero, ministre de la justice. Alors le prince lui déclara, sous sa signature, qu'il avait adressé, en date du 11 octobre, une lettre (la même dont nous avons déjà parlé) à l'empereur des Français, et qu'il avait expédié un décret, tout entier de sa main, avec la date en blanc et un cachet noir, qui autorisait le duc del Infantado à prendre le commandement de la Nouvelle-Castille aussitôt après la mort de son père; il lui déclara, en outre, qu'Escoiquiz était l'auteur de l'écrit copié par S. A., et lui indiqua les moyens dont ils s'étaient servis pour leur correspondance; ces révélations entraînèrent dillérentes arrestations. Dans sa lettre confidentielle à Napoléon, le prince (1) lui témoignait « l'estime et le

respect qu'il avait toujours eus pour sa personne » ; il l'appelait « le héros le plus grand parmi tous ceux « qui l'avaient précédé; » il fui peignait l'oppression « dans laquelle on on l'avait tenu; l'abus que l'on faisait «de la droiture de coeur et de la générosité de son « père; il lui demandait pour épouse une princesse « de sa famille, le priant d'aplanir les difficultés qui « pourraient s'élever, et finissait par affirmer que,

(1) No 3, App.

<< non-seulement il n'accèderait pas, mais qu'il s'op<< poserait même avec une invincible persévérance à << tout autre projet de mariage qu'on ne ferait pas précéder du consentement et de l'approbation po«sitive de S. M. I. >>

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Ces aveux spontanés, au moyen desquels le prince compromettait si gravement ses amis et ses partisans, lui nuisirent dans l'opinion de quelques-uns d'entre eux. Ferdinand avait alors plus de vingt-trois ans; et l'on eût voulu voir plus de fermeté chez un homme qui devait un jour régner sur de si vastes pays. Le décret expédié en faveur d'Infantado aurait entraîné à lui seul, en d'autres temps, la ruine de tous ceux qui étaient compromis dans la cause du prince; on aurait regardé comme nulles les excuses alléguées en leur faveur, et leurs craintes même sur la mort prochaine de Charles IV et sur les vues ambitieuses du favori auraient été considérées plutôt comme un indice aggravant que comme un moyen de les décharger de l'accusation portée contre eux. De pareilles précautions, d'une interprétation toujours douteuse, même entre particuliers, lorsqu'elles ne reçoivent pas leur pleine et entière exécution, sont, dans les cours, des crimes d'état. A plus forte raison aurait - on pu considérer comme tel la lettre écrite à Napoléon; mais cette lettre, dans laquelle un prince, un Espagnol, s'adresse, à l'insu de son père et légitime souverain, à un autre souverain étranger, lui demande son appui, la main d'une princesse de sa famille, et s'oblige à ne se marier en aucun temps sans son assentiment, cette lettre sauva Ferdinand et ses amis.

Il n'en fut pas ainsi dans le célèbre procès de Don Carlos de Viana: ce prince, âgé de quarante ans, sage et éclairé, l'ami de Ausias March, ayant un droit incontestable à la couronne de Navarre, crut ne pas se

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