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serait fait, des querelles entre les deux villes rivales, capables d'entraver les résolutions de la nouvelle autorité. Mais la junte montra une fermeté telle, que le vieux et rusé courtisan, alarmé de sa démarche, s'abrita sous le manteau pastoral de l'évêque d'Orense, pour n'être ni recherché, ni poursuivi.

Peu de jours après l'insurrection, le bruit subit et général, répandu dans toute la Galice, que les Français allaient y entrer, donna malheureusement occasion à des désordres, qui, bien que momentanés, ne laissèrent pas cependant d'être regrettables. Ainsi, à Orense, un gentilhomme de Puga tua d'un coup de feu un régidor, à la porte de la municipalité, parce qu'on lui avait dit qu'il était partisan des envahisseurs. Il est vrai que, dans les premiers temps du soulèvement, la Galice n'eut pas à regretter d'autre mort sur son territoire.

Mais elle eut à s'affliger, et elle affligea toute l'Espagne, par l'assassinat de Don Antonio Filangieri; il avait franchi les limites de la province, et fixé son quartier-général à Villa-Franca del Vierzo; de là, il prenait les plus actives mesures pour organiser et discipliner ses forces. Croyant convenable, aussi bien à ses desseins qu'à la nécessité de couvrir les avenues dù pays confié à son commandement, de faire quitter la Corogne à ses troupes, composées en grande partie * de recrues et de gens ramassés, il leur fit prendre position sur la cordilière limitrophe du Vierzo, étendant ses postés avancés jusqu'à Manzanal, et placé luiniême dans les gorges qui débouchent sur le territoire d'Astorga. La douceur du caractère de ce général, et la circonstance que la junte le rappelait à la Corogne, enhardirent quelques soldats du régiment de Navarre, qui ne lui avait point pardonné sa translation au Ferrol, à l'assassiner froidement et perfidement, le 24 juin, dans les rues de Villa - Franca. Ce fut un sergent

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qui les poussa au meurtre; mais quelques personnes cherchèrent plus haut la main cachée qui avait dirigé le coup mortel. Pendant long-temps, ce crime demeura impuni; mais enfin, au bout de plusieurs années, ceux qui l'avaient commis reçurent leur juste châtiment. Don Joaquin Blake, major-général de l'armée, et précédemment colonel du régiment de la Couronne, avait, dès les premiers jours, succédé dans le commandement à l'infortuné Filangieri. Il avait la réputation d'un militaire instruit et d'un profond tacticien ; la junte l'éleva au grade de lieutenant-général.

Des secours prompts et considérables arrivèrent aussi d'Angleterre à la Galice. Son envoyé, Don Francisco Sangro, fut accueilli avec honneur et distinction par le gouvernement anglais, et les prisonniers espagnols, qui gémissaient depuis longues années sur les pontons britanniques, furent renvoyés libres à la Corogne. Ce fut à ce port qu'aborda sir Charles Stuart, le premier diplomate anglais qui toucha, en cette qualité, le sol espagnol. La junte ne négligea rien pour lui faire une réception brillante, et pour lui donner des preuves du désir constant qu'elle avait de resserrer les noeuds d'alliance et d'amitié avec S. M. B. Les démonstrations de l'intérêt que prenait à la cause de l'Espagne une nation si puissante fortifièrent de plus en plus les changemens opérés, et donnèrent aux plus timides l'espoir d'un heureux succès.

La ville de Santander, toujours émuc et agitée, tenait les Français en continuel souci, parce qu'étant située à l'arrière-garde d'une partie considérable de leurs troupes, elle pouvait, en s'insurgeant, couper facilementles communications entre elles. Ils craignaient aussi que la sédition, une fois allumée, ne s'étendît dans les provinces basques, et qu'à la faveur d'un terrain montueux, elle ne les enveloppât dans des poDulations ennemies, qui ne cesseraient de les harce

ler. Aussi le maréchal Bessières ne tarda point de dépêcher de Burgos à cette ville son adjudant-général, M. de Rigny. Celui-ci portait des dépêches au consul de France, M. de Ranchoup, par lesquelles on avertissait la municipalité que si la tranquillité n'était pas sévèrement maintenue, une division passerait à Santander pour châtier le moindre exeès avec la dernière rigueur. De semblables menaces ne firent qu'accroître le mécontentement et la fermentation. Ils étaient au comble, quand une légère dispute entre M. Paul Carreyron, Français établi dans la ville, et le père d'un enfant qu'il avait réprimandé, attira du monde, et le peuple s'échauffant par degrés, finit par éclater et demander à grands cris qu'on arrêtât les Français.

Aussitôt, les cloches de la cathédrale sonnent le tocsin, les tambours battent la générale, et l'on entendrésonuer dans les rues les cris de: Vive Ferdinand VII! mort à Napoléon et à l'adjudant de Bessière ! Armés comme par enchantement, les habitans arrêtèrent les Français, mais avec le plus grand ordre, et lorsque les prisonniers eurent été conduits au château de SanFelipe, on mit des gardes aux portes de leurs maisons, pour qu'ils n'éprouvassent aucun dommage dans leurs propriétés. Ce jour-là, 26 mai, était la fête de l'Ascension, et une nombreuse populace, s'ameutant autour de la maison du consul français, éclata bientôt en injures et en menaces contre sa personne et celle de M. de Rigny. Leurs vies auraient couru grand danger, si les officiers du bataillon provincial de Laredo, qui tenait garnison à Santander, ne les eussent sauvés en s'exposant eux-mêmes à la mort. Ils les tirèrent de la maison consulaire à onze heures du soir, et les plaçant au centre d'un carré formé de leurs soldats, ils les emmenèrent au même château San-Felipe, et les laissèrent sous la garde des miliciens qui s'y trouvaient casernés.

Le lendemain, 27, une junte se forma des membres de la municipalité et de notables du pays, lesquels élurent pour leur président l'évêque du diocèse, Don Rafaël Menendez de Luarca: celui-ci se trouvait alors à sa maison de campagne de Liaño, et n'avait pu prendre aucune part aux événemens de la veille. Cependant le gouvernement français, qui ne voulait voir dans le soulèvement de l'Espagne que J'oeuvre des prêtres et des moines, accusa le révérend évêque de Santander de l'insurrection de la province cantabrique. Mais cette accusation était si peu fondée, que, dans le principe, ce prélat refusa obstinément la présidence que lui offrait la junte, et ce ne fut qu'à force d'instances et de prières qu'on parvint à vaincre son refus. Cet évêque de Santander était un ecclésiastique de moeurs austères, que le peuple vénérait comme un saint; il était certainement doué de qualités recommandables, mais qu'obscurcissaient un fanatisme entêté et des égaremens qui touchaient presque à la folie. Il donna sur-le-champ des preuves de son esprit déréglé, en se parant du titre de régent souverain de Cantabrie, au nom de Ferdinand VII, avec la dénomination d'altesse.

Bientôt après, on apprit l'insurrection des Asturies, ce qui décida le soulèvement de toute la montagne de Santander et les plus timides prirent de l'assurance. On procéda immédiatement à un enrolement général, et, sans plus de délai, ces troupes, encore sans discipline, s'avancèrent sur les confins de la province pour en garder les passages. Le commandement militaire avait été remis à Don Juan-Manuel de Velarde, qui de colonel fut promu au grade de capitaine-général; il alla aussitôt camper à Reynosa avec de l'artillerie et cinq mille hommes, paysans pour la plupart, mêlés à quelques miliciens de Laredo. Son fils, Don Emeterio, mort depuis glorieusement à la

La

bataille de la Albuéra, occupa l'Escudo avec deux mille cinq cents hommes, paysans aussi. Un millier d'autres, ramassés dans les districts de Santoña, rédo et d'autres petits ports, se placèrent sur les hauteurs de los Tornos. Par ces mouvemens rapides, nons voyons comment Santander, malgré sa plus grande proximité des Français, osa se hasarder à tenir tête à leurs injustes prétentions, et à tourner contre eux les faibles ressources que sa situation lui prêtait.

Ce fut sans doute une grande audace de la part de cette province; mais, à l'abri derrière ses chaînes de montagnes, elle n'en montrait pas une égale à celle des villes et des bourgs du pays plat de Castille et Léon. Là, les habitans, sans écouter l'inégalité de leurs forces et les dangers de leur position, suivirent aveuglément les inspirations de leur patriotisme, et cette honorable, mais imprudente hardiesse, coûta cher aux communes voisines des troupes françaises. A peine la ville de Logroño avait-elle élevé le drapeau de l'insurrection, que le général Verdier, accourant de Vitoria avec deux bataillons, défit facilement, le 6 juin, des paysans indisciplinés, et ne se retira qu'après avoir fait fusiller ceux qui furent pris les armes à la main, et que l'on crut les principaux auteurs du soulèvement. La ville de Ségovie ne fut pas plus heureuse dans une semblable tentative. Trop confiante en l'école d'artillerie établie dans son vieux château-fort, elle essaya de faire face avec ce secours aux forces françaises, et ferma l'oreille aux propositions que Murat lui envoya faire par deux gardes du corps. D'après son refus, le général français Frère s'approcha de la ville, le 6 juin, et les artilleurs espagnols placèrent aux portes et aux avenues les canons destinés aux exercices des élèves de l'école. II n'y avait, pour les soutenir, d'autres troupes que des

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