Page images
PDF
EPUB

les préparatifs de guerre, s'accroissant chaque jour, Napoléon arrêta enfin son attention sur Izquierdo, et lui donna à entendre qu'il prendrait un intérêt tout particulier au sort du prince de la Paix, si on lui venait en aide par des secours d'argent. Izquierdo, ravi de joie, livra sur-le-champ et sans y être autorisé, en vertu d'une convention qu'il signa le 10 mai, 24,000,000 de francs appartenant à la caisse de consolidation de Madrid. Le prince de la Paix approuva la conduite de son agent; et, comptant déjà sur sa prochaine élévation à un poste plus éminent pour prix du service rendu, il obtint que de pleins pouvoirs fussent conférés, le 26 mai, à Izquierdo, au nom de Charles IV, pour négocier et conclure un traité.

Mais Napoléon avait obtenu ce qu'il voulait, et, l'oeil fixé sur les nuages qui s'amoncelaient au Nord, il différa d'entrer en négociation jusqu'à l'arrangement de ses démêlés avec la Prusse et la Russie. Soupçonnant de tout temps la bonne foi de Napoléon, le prince de la Paix s'offensa de ce retard, et craignit de nouveaux artifices. Les différens avis que lui firent parvenir à la même époque les Espagnols résidant à Paris; les pamphlets et les brochures dont le nement français encourageait sous main la publication et dans lesquels était annoncé l'anéantissement de la maison de Bourbon; enfin le mot de l'empereur: << Si Charles IV ne veut pas reconnaître mon frère «< comme roi de Naples, son successeur le reconnaî<< tra», tout servit à confirmer ses soupçons.

gouver

A de si nombreux indices, qui venaient, l'un après l'autre, éveiller les inquiétudes et les craintes du favori espagnol, se joignirent encore les nouvelles et les informations que lui donna M. de Strogonoff, nommé ministre de Russie à la cour de Madrid, et qui arriva dans cette capitale au mois de janvier 1806.

Encouragé par les conseils de ce ministre, et for-tement irrité contre Napoléon, le prince de la Paix penchait pour faire cause commune avec les puissances belligérantes. Cependant il lui parut prudent, avant de prendre une résolution définitive, de chercher un appui dans l'alliance de l'Angleterre. L'affaire était épineuse, et demandait surtout le plus profond secret : il résolut en conséquence d'envoyer dans ce pays une personne qui, douée des qualités nécessaires, ne donnât pas d'ombrage au gouvernement français. Son choix tomba sur Don Agustin Argüellès, qui se distingua si avantageusement, quelques années plus tard, dans les cortès réunies à Ca

Celui-ci refusa d'abord cette nomination, comme venant d'un homme aussi décrié que l'était alors le prince de la Paix; mais, pressé de l'accepter par Don Manuel-Sixto Espinosa, directeur de la Consolidation, auquel l'unissaient des liens d'amitié et de reconnaissance, et entrevoyant aussi pour lui-même un nouveau moyen de contribuer à la chute de celui qui avait détruit en France les libertés publiques, il finit par accepter l'importante mission confiée à ses

soins.

On eut soin de cacher à Argüellès ce qu'on machinait avec Strogonoff, et on lui donna seulement à entendre qu'il était absolument nécessaire de faire la paix avec l'Angleterre, si l'on ne voulait pas perdre toute l'Amérique, où le général Beresford venait de prendre Buenos-Ayres. On recommanda en particulier le secret et la discrétion au commissaire, qui, partant en toute hâte de Madrid, à la fin de septembre, arriva à Lisbonne sans que personne, pas même l'ambassadeur comte de Campo-Alange, pût pénétrer l'objet véritable de son voyage. Don Agustin Argüellès se disposait à s'embarquer pour l'Angleterre, lorsqu'on reçut à Lisbonne une imprudente proclamation

du prince de la Paix, en date du 5 octobre (1), dans laquelle il faisait à la nation un appel à la guerre, sans désigner d'ennemi, ce qui éveilla l'attention des puissances étrangères, et surtout celle de la France. Dès lors, Argüellès regarda comme inutile de continuer son voyage, et écrivit dans ce sens à Madrid; mais on lui ordonna néanmoins de se rendre à Londres, où sa mission n'eut pas de suites, tant par la répugnance du gouvernement anglais à entrer en négociation avec un ministre imprudent et discrédité comme le prince de la Paix, qu'à cause des changemens que produisirent dans l'esprit de celui-ci les événemens du nord de l'Europe.

Là, Napoléon, ouvrant la campagne, au mois d'octobre 1806, au lieu d'essuyer des échecs, était entré victorieux à Berlin, après avoir, à léna, détruit l'armée prussienne. Alarmés au bruit de ses triomphes, la cour de Madrid, et surtout le favori, mirent tout en œuvre pour apaiser le courroux, alors juste et fondé, de l'empereur des Français. Napoléon, ne regardant pas la guerre comme finie aussi long-temps que la Russie n'en viendrait pas à des arrangemens, feignit d'être satisfait des excuses données, et reprit, quoique lentement, les négociations suivies avec Izquierdo.

Mais il ne laissait pas de méditer sur les moyens les plus aisés de s'emparer de l'Espagne, et d'éviter pour l'avenir la répétition de provocations semblables à celle du 5 octobre. Il s'aperçut tout d'abord de l'heureux incident qu'offrait à ses projets la désunion qui régnait à la cour de Madrid et la partageait en deux camps opposés, celui du prince des Asturies et celui de Don Manuel Godoy. Ces divisions étaient nées de l'ambition démesurée de celui-ci et des craintes

(1) No 1, App. N°

qu'elle avait jetées dans l'esprit du premier. Elles furent cependant au moment de s'effacer, lorsque le prince de la Paix résolut de se liguer avec l'Angleterre et les autres puissances du Nord. Il croyait avec raison que, dans cette conjoncture, il fallait réprimer l'essor des partis et se conformer aux idées et à la politique de ses nouveaux alliés. Dans ce dessein, et pour ne pas exposer sa propre fortune aux dangers d'une chute possible, le favori avait imaginé de marier le prince des Asturies (veuf depuis le mois de mai 1806) avec Dona Maria-Luisa de Bourbon, soeur de sa femme Dona Maria-Teresa, toutes deux cousines du roi et filles du défunt infant Don Luis. Ce projet fut poussé si loin qu'on proposa l'alliance au prince. Mais le capricieux et inconstant Godoy, les affaires du Nord une fois changées, changea également d'avis, et retourna à ses rêves d'ambition; et, comme pour les faire arriver à la réalité, le roi lui conféra, le 13 janvier 1807, la dignité de grand-amiral ( almirante) d'Espagne et des Indes, avec le titre d'altesse.

Pour Napoléon, rien ne venait plus à propos que de voir augmenter la division et le désordre dans le palais de Madrid. Attentif à profiter de tout germe de discorde, en même temps qu'il entretenait à Paris les espérances d'Izquierdo et du parti de Godoy, il expédiait en Espagne, pour sonder les partisans du prince des Asturies, M. de Beauharnais, lequel, en sa qualité de nouvel ambassadeur, présenta ses lettres de créance à la fin de septembre 1806. Le nouveau venu commença à faire des démarches; mais elles furent lentes, jusqu'à ce que, quelques mois après, la guerre du Nord ayant apparence de tirer à sa fin, Napoléon jugea que le moment d'agir approchait. Il s'offrit bientôt à lui, dans la personne de Don Juan Escoiquiz, un intermédiaire propre à seconder ses vues. Ancien gouverneur du prince des Asturies,

[ocr errors]

et occupant alors une place de chanoine dignitaire à la cathédrale de Tolède, Escoiquiz demeurait comme confiné dans cette ville, lorsque, par ordre de S. A. R., avec laquelle il conservait toujours une correspon dance secrète, il revint à Madrid, au mois de mars 1807. Plusieurs conférences eurent aussitôt lieu entre lui et ses amis, au sujet des moyens à prendre pour arrêter les projets ambitieux de Godoy, et tirer le prince des Asturies d'une position qu'ils réputaient pénible pour lui et même dangereuse.

Ils avaient imaginé de sonder les intentions de l'ambassadeur de France; et, en effet, ils apprirent de Don Juan-Manuel de Villena, gentilhomme du prince des Asturies, et de Don Pedro Giraldo, brigadier d'ingénieurs, maître de mathématiques du prince et des infantes, tous deux dans le secret, que M. de Beauharnais était prêt à entrer en relation avec la personne que désignerait S. A. On fut un instant dans le doute pour savoir si la proposition couvrait ou non quelque artifice; et, pour s'en assurer de part et d'autre, on convint d'une demande et d'un signe que se feraient réciproquement le prince et l'ambassadeur à la première réception de cour. Certains qu'il n'y avait pas de fausseté en jeu, et Escoiquiz ayant été choisi pour traiter, le duc del Infantado le présenta chez l'ambassadeur, sous prétexte de lui offrir un exemplaire de son poème sur la conquête du Mexique. La connaissance une fois faite, M. de Beauharnais et le gouverneur du prince, s'abouchèrent, un jour du mois de juillet, à deux heures après midi, au Retiro. L'heure, le lieu et la chaleur de la saison leur donnaient l'assurance de ne pas être remarqués.

Là, ils parlèrent tranquillement de l'état de l'Espagne et de la France, de l'utilité qu'il y avait pour les deux nations à resserrer l'alliance par des liens de famille, et par conséquent de la convenance d'unir le

« PreviousContinue »