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Les créanciers qui poursuivent l'expropriation des biens de leurs débiteurs, et les font vendre, peuvent être déclarés responsables du préjudice causé à ces derniers par le mode de vente auquel ils ont eu frauduleusement recours (Code Napoléon 1382).

Ainsi des dommages-intérêts ont pu être prononcés contre le créancier qui, aux Colonies, après avoir fait constater sa créance par les juges du pays (ile Maurice) a poursuivi la vente d'un navire appartenant à son débiteur, à l'insu de ce dernier, dans les circonstances les plus défavorables, et a profité de l'éloignement des armateurs pour se rendre adjudicataire du navire mis en vente, moyennant un prix inférieur à sa véritable valeur.

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Le bateau à vapeur le Glaneur, était la propriété d'une société anonyme établie à Saint-Denis, et destiné à faire le service de la Réunion à Maurice. Il en était à son huitième voyage dans le courant de février 1854, lorsque sa chaudière creva. Dans cet état, le Glaneur, aussi mauvais voilier qu'il était mauvais steamer, mit dix-huit jours pour arriver à Maurice.

Parvenu au lieu de sa destination, il fut désarmé et relégué dans un coin du dock. MM. Menon et Cie, négociants francais établis à Maurice, chefs d'une maison honorable et importante, se trouvaient à la fois actionnaires, consignataires du navire, et créanciers pour une somme considérable de la Cie du Glaneur. Ils attendaient patiemment que cette mauvaise affaire se liquidât, et que la vente du navire, qui était leur gage, vint les couvrir de leurs avances. Cette liquidation traîna en longueur, et ce ne fut que le 3 mai 1854, trois mois après le désarmement du navire, que M. Chassagne fut nommé liquidateur, par jugement du tribunal de commerce.

M. Chassagne, qui avait annoncé dans les journaux son prochain voyage à Maurice, pour y faire vendre le Glaneur, fut arrêté par la crainte du choléra, qui avait éclaté dans l'ile; le mois de juin arrivait, et M. Chassagne n'avait point encore paru: Ce navire souffrait; désarmé, presque abandonné, exposé aux rayons d'un soleil vertical, dépouillé d'une partie de son doublage, il y avait lieu de craindre qu'il ne fût rongé par les vers, qui fourmillent dans les eaux brûlantes du dock.

Dans cette situation, dont le péril fut immédiatement compris par le capitaine et l'agent général de la Cie, deux des plus forts actionnaires de l'entreprise, ils adressèrent, à la date du 8 juillet 1854, au consul français, à Maurice, une requête tendante à la vente du navire.

Ce magistrat, avant de prononcer, nomma trois experts pour lui faire un rapport sur l'état du bâtiment. Le résultat fut une autorisation donnée au capitaine Kersauté de procéder à la vente. Cette ordonnance est motivée sur ce que, « si ledit sieur » Chassagne, à la date du 8 juin, a pu » craindre de se rendre à Maurice, en rai» son de l'existence du choléra, il ne sau»rait faire valoir aujourd'hui les mêmes » motifs, puisque l'épidémie a presque >> complétement disparu de Port-Louis, et » que les affaires commerciales tendent, » de plus en plus, à y reprendre leur

» cours. >

Cependant, le consul, usant encore d'un ménagement dont la négligence de M. Chassagne était peu digne, suspendit, pendant trente jours, l'exécution de son ordon

nance.

MM. Menon et Cie, armés d'un droit qui ne comportait pas tous ces ménagements, n'y auraient pourtant pas eu probablement recours, s'ils n'y eussent été poussés par l'attaque immérité que M. Chassagne crut devoir diriger contre eux, dans sa réponse à l'ordonnance du consul, et contenue dans les lignes suivantes :

« Si MM. Menon et Cie veulent faire va>> loir leurs droits pour ce qui leur est dû, » je vous prie de ne les faciliter en rien. »

Cette lettre, communiquée par le consul. à MM. Menon et Cie, les détermina à prendre un parti qu'ils avaient ajourné jusque-là.

Ils se pourvurent devant la seule autorité compétente à Maurice, devant la Cour de la vice-amirauté, qui, après avoir condamné la société du Glaneur à payer la somme due, se montant à 17,000 francs, ordonna la vente du navire, sur la mise à prix de 15,000 francs.

Il fut adjugé, le 15 juillet, à MM. Menon et Cie, pour 27,500 francs.

Les adjudicataires ne poursuivaient que leur paiement; ne voulant, en aucune façon, bénéficier au détriment de la Compagnie, ils écrivirent le même jour, 45 juillet, à M. Chassagne, liquidateur de la Compagnie, pour lui offrir le navire aux conditions de son acquisition, plus les frais, ce qui est formellement constaté dans

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le Glaneur, le tout devant la Cour de la ⚫vice-amirauté anglaise, et pour le pré>> judice occasionné à ladite Société en fai"sant procéder à cette vente dans des » conditions défavorables, et en se ren

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dant adjudicataire de ce bateau, pour la » comme de 28,750 fr.; se fondant, ledit Chassagne, sur ce qu'il était défendu aux » nationaux français en pays étranger, d'y traduire des Français devant les tribu»naux étrangers. »

MM. Menon et Cie, ne déclinèrent pas la compétence du tribunal de la Réunion. En concluant au rejet de la demande, ils renouvelèrent, devant le tribunal, l'offre qu'ils avaient déjà faite par la lettre du 15 juillet

Sur ce, jugement du tribunal de SaintDenis, sous la présidence de M. Chrétien, qui accueille la demande, en vertu des articles 1, 2 et 4 de l'Édit de juin 1778, et condamne les exposants à 40,000 fr. de dommages-intérêts.

Voici les termes de ce jugement, en date du 10 janvier 1855.

>> En ce qui touche la question de savoir si le tribunal de Commerce de Saint-Denis est compétent pour statuer sur la demande, afin de dommages-intérêt, soumise à son appréciation, par le sieur Ulysse Chassagne, ès-qualité qu'il s'agit;

» Attendu que la compétence du tribunal est formellement acceptée par les défendeurs ; Au fond:

» Vu les articles 1, 2, et 4 de l'édit du mois de juin 1778;

» Attendu, en droit, qu'aux termes desdits articles, les consuls français, à l'étranger, connaissent en première instance, des contestations, de quelque nature qu'elles soient, qui s'élèvent entre des Français négociants, navigateurs et autres, dans l'étendue de leurs consulats;

» Que, comme sanction de cette disposition, il est défendu à tout Français, voyageant par terre ou par mer, ou faisant commerce en pays étranger, d'y traduire les Français, pour quelquc cause que

ce soit, devant les juges et autres officiers des puissances étrangères, à peine : 1o de 4500 livres d'amende, applicables, pour les Echelles du Levant, à la chambre du commerce de Marseille, et, pour les autres consulats, aux chambres du commerce, les plus proches du pays où les contraventions ont été commises; 2o et de dommagesintérêts envers les parties, s'il y a lieu, le tout exigible avec contrainte par corps;

» Attendu que s'il est vrai que la juridiction consulaire, telle qu'elle est définie et réglée, par le document législatif, ci-dessus analysé, a subi dans la pratique, notamment pour ce qui regarde les Etats chrétiens, d'importantes et nombreuses restrictions, il est incontestable aussi que lesdites restrictions, qu'elles quelles soient, ne s'appliquent nullement aux contestations commerciales, pour la décision desquelles les consuls ont con servé la plénitude de leurs attributions;

>> Q'il est à remarquer, en effet, que la compétence des consuls au point de vue des affaires sommaires, commerciales et de police, est universellement reconnue;

» Qu'il constitue, par suite, et en quelque sorte un principe de droit commun, dont il n'est permis à tout Français, voyageant ou faisant le commerce à l'étranger, de décliner les conséquences, qu'autant qu'il serait en mesure de justifier d'une dérogation formelle à ce principe, dans les lois du pays où il se trouve, soit momentanément, soit à demeure ;

» Attendu que tout concourt à démontrer qu'il n'existe aucune disposition de cette nature dans les lois anglaises;

» Que, loin d'apporter d'étroites limites à la juridiction de leurs consuls respectifs, la France et la Grande-Bretagne, dans les diverses conventions diplomatiques intervenues entre elles à Utrecht le 14 avril 1743, lors de la création des consulats, à Versailles le 26 septembre 1786, à Amiens le 25 mars 1802, enfin à Paris le 30 mal 1814, stipulent invariablement que les consuls-généraux, consuls et vice-consuls de chacune des deux nations contractantes auront tous les priviléges, droits et immunités que leur qualité suppose et qui sont donnés aux consuls-généraux, consuls et vice-consuls de la nation la plus favorisée ;

» D'où la conséquence manifeste que rien ne s'oppose à ce que l'édit de juin de 1778, qui n'a pas cessé d'être en vigueur, reçoive son application en pays anglais, au moins pour ce qui a trait aux contestations commerciales.

>> Attendu en fait, que les sieurs Menon et Comp. négociants français, établis à l'ile Maurice, possession anglaise, et consignataires du bateau à vapeur français le Glaneur, ont saisi directement et sans s'être pourvus, au préalable, devant le consul de France, la cour de vice-amirauté de cette île, d'une réclamation concernant des avances et fournitures par eux faites audit bateau;

» Qu'ils ont ainsi obtenu d'un tribunal étranger, une condamnation qui a été exécutée dans les trois ours de sa date, par une mise aux enchères publiques du navire à vapeur, leur gage, mise aux enchères à la suite de laquelle lesdits sieurs Menon et Comp. ont été déclarés moyennant une somme de 28,750 francs, adjudicataires d'un bâtiment qui, deux années auparavant, nécessitait à Nantes, pour sa construction et son armement, une dépense approximative de 162,000 francs;

» Que cette procédure a été suivie, il est vrai, d'accord avec les sieurs Fouque et de Kersauté, Je premier agent général de la Société anonyme, propriétaire du Glaneur, et le second capitaine dudit navire, mais à un moment ou ces derniers se trouvaient virtuellement dépouillés de leurs pouvoirs, et où les sieurs Menon et Comp. avaient été régulièrement informés que la qualité de liquidateur de ladite Société venait d'être judiciairement conférée au sieur Ulysse Chassagne, expressément chargé à ce titre de vendre le baLeau à vapeur le Glaneur, et de distribuer le prix à en provenir entre tous les ayants-droit, suivant la nature et les causes de préférence de leurs créances respectives;

» Qu'il faut donc reconnaître que lesdits sieurs Menon et Comp. ont contrevenu aux dispositions sus-visées de l'édit de juin de 1778, et que le principe des dommages-intérêts, réclamés contre eux par ledit sieur Chassagne, èsqualités qu'il procède, est pleinement justifié ;

» Attendu, d'ailleurs, que cette solution doit être d'autant mieux accueillie, que les défendeurs comme consignataires du bateau à vapeur susdénommé, étaient investis d'une mission de haute confiance, et qu'ils devaient, en conséquence, prendre toutes les mesures, tous les ménagements nécessaires pour sauvegarder la masse des intérêts engagés dans ledit navire;

»> Qu'il résulte, cependant, des explications échangées à l'audience, et des pièces et documents versés aux débats, qu'au mépris du vœu plusieurs fois exprimé et notifié dans ses lettres, par le liquidateur Chassagne, les sieurs Menon et Comp. ont fait vendre le bâtiment à eux consi

gnés, le 15 juillet dernier, trois jours après la condamnation par eux obtenue, sans publicité sérieuse, et enfin, il importe de le constater, dans des circonstances défavorables. puisque, s'il est exact que le choléra avait déjà diminué d'intensité à Maurice, à cette époque, il n'est pas douteux qu'il y paralysait encore, dans une proportion notable, le mouvement des affaires ;

» D'où il est logique de conclure qu'un préjudice a été occasionné à la société anonyme du bateau à vapeurle Glaneur, par la faute des sieurs Menon et Comp, et que ce préjudice doit être réparé ;

Attendu, en ce qui concerne l'évaluation des dommages-intérêts sollicités;

» Que dans une lettre en date à Port-Louis (ile Maurice) du 15 juillet dernier (laquelle, vu l'urgence, sera enregistrée en même temps que le présent jugement), les défendeurs, après avoir instruit le liquidateur Chassagne de l'acquisition qu'ils venaient de faire du Glaneur, sur l'enchère réduite de 28,750 francs, déclarent formellement qu'ils estiment ce navire 40,000 fr., et proposent à la société anonyme de lui en consentir la rétrocession, moyennant remboursement du prix, des frais et des faux frais;

» Attendu que, sans qu'il soit besoin de faire état de cette dernière proposition, que le sieur Chassagne, ès-nom, repousse de toutes ses forces, il est manifeste que l'estimation fournie par les défendeurs eux-mêmes, constitue pour le tribunal une base d'évaluation, sinon mathéma tique, du moins aussi satisfaisante que possible, relativement au chiffre des dommages-intérêts qu'il convient d'allouer à la société demanderesse;

» Attendu, enfin, que les sieurs Menon et Comp, en s'attribuant comme créanciers de la société anonyme du bateau à vapeur le Glaneur, une somme importante sur leur prix d'acquisition, n'ont versé au sieur Fouque fils, caissier de ladite société, qu'un solde de 7,204 fr.; qu'il ne leur appartenait point de procéder ainsi ; que le prix tout entier devait être remis au liquidateur, pour être distribué entre tous les intéressés et dans la mesure des droits de chacun d'eux;

» Que les défendeurs Menon et Comp. se seraient présentés comme les autres créanciers légitimes à cette contribution, pour y faire valoir les causes de préférence qui peuvent militer en leur faveur ;

» Que telle est la marche qui doit être suivie désormais; qu'il est juste toutefois, en fixant à 40,000 francs le chiffre des dommages-intérêts

dus par les sieur Menon et Comp., de ne les condamner à payer cette somme que défalcation faite des 7,204 fr. déjà touchés par le sieur Fouque fils, pour le compte de la société représentée par son liquidateur, U. Chassagne;

» Par ces motifs :

» Le tribunal se déclare compétemment saisi; » Et faisant droit à la demande;

Sans s'arrêter ni avoir égard aux fins de nonrecevoir et conclusions diverses formulées par les défendeurs;

» Condamne, même par corps, les sieurs Menon et Comp. à payer au sieur Ulysse Chassagne, ès-qualités qu'il procède, et à titre de dommages-intérêts, une somme totale de quarante mille francs, sous la déduction de sept mille deux cent quatre francs, déjà versée par eux au sieur Fouque fils, pour le compte de la société anonyme du bateau à vapeur le Glaneur, en liquidation;

» Le condamne en outre en tous les dépens. »>

Sur l'appel, la Cour impériale de la Réunion, présidée par M. Bellier de Villentroy, a confirmé par arrêt du 16 février 1855, ainsi conçu :

a Attendu que le bateau à vapeur le Glaneur était en état de désarmement dans l'un des bassins de Maurice, lorsque les actionnaires de la Société anonyme, propriétaires de ce navire, parmi lesquels figuraient Menon et Comp., le capitaine Kersauté et le subrécargue ou agentgénéral, Victor Fouque, ont obtenu devant le tribunal de commerce de Saint-Denis le jugement du 31 mai 1854, qui donne à Ulysse Chassagne tout droit pour procéder à la vente de ce bâtiment, soit à l'amiable, soit par telle voie qu'il avisera, et opérer ensuite la liquidation de ladite Société anonyme;

>> Attendu que les documents de la cause, notamment la requête adressée au consul de France par Kersauté, le 22 juin 1854; la lettre de ce capitaine et celle de Victor Fouque, des 27 et 29 du même mois, établissent suffisamment qu'Ulysse Chassagne s'est empressé de dénoncer ce jugement auxdits Kersauté et Victor Fouque, et à la maison Menon et Cie, et qu'ils connaissaient tous parfaitement le mandat judiciaire donné à Ulysse Chassagne, pour vendre le Glaneur, lorsque Kersauté, en faisant valoir son titre de capitaine et son devoir de veiller aux intérêts qui lui étaient confiés, a demandé luimême au consul de France de faire la vente pu

blique du navire à la chancellerie du consulat, faute de quoi il l'abandonnerait à la responsabilité de qui de droit;

» Attendu que les mêmes documents révèlent aussi que c'est d'accord avec Victor Fouque et Menon et Comp. que cette action aux fins de la vente du Glaneur a été portée devant la juridiction consulaire;

» Attendu que le consul de France, après avoir ordonné la constatation de l'état du navire par des experts qu'il a choisis lui-même et qui ont prêté serment entre ses mains, a fait droit à la demande de Kersauté et l'a autorisé, par une sentence du 26 juin 1854, à faire vendre ce bateau à vapeur par tous les moyens légaux qui lui paraîtraient convenables et pour compte de qui il appartiendra; que seulement il a suspendu l'exécution de sa décision, en ordonnant que la vente n'aurait lieu qu'après un délai de trente jours, et que Ulysse Chassagne et les autres ayants-droit en seraient préalablement avertis ;

» Attendu qu'au mépris de cette sentence, contrairement au mandat qu'elle avait donné comme actionnaire, et dans un moment où les autres intéressés ne pouvaient se prémunir contre l'exercice de ses droits, la maison Menon et Comp. s'est prévalue de son titre de créancière, pour demander à la cour de vice-amirauté de Maurice l'autorisation de saisir le bateau à vapeur le Glaneur et, avec le concours du capitaine Kersauté et du subrécargue Victor Fouque, elle en a fait ordonner et opérer la vente, dans les formes célères et expéditives de la procédure anglaise ;

» Attendu qu'il apparaît effectivement des actes et décisions de la cour de vice-amirauté que les juges anglais ne se sont décidés à ordonner cette vente que sur l'affirmation desdits Kersauté et Victor Fouque, que la somme réclamée par la maison Menon et Comp, lui était justement et véritablement due, et qu'il y avait intérêt pour lous à se soumettre au jugement qui procurait une pareille mesure; ce qui donnerait à penser que les juges anglais avaient besoin, pour admettre leur compétence, de constater que les demandeurs et les défendeurs étrangers, venaient d'accord invoquer la juridiction de la cour de vice-amirauté ;

>> Altendu que ces mêmes décisions et juge ments ont été rendus et exécutés dans le délai de quelques jours, malgré les instances du consul de France, renouvelées dans ses lettres des 13 ct 44 juillet 1854, pour déterminer le capitaine

Kersauté à s'efforcer de soustraire son bâtiment à l'action de l'autorité anglaise, et obtenir de la maison Menon et Comp., qu'elle différât au moins l'époque de la vente; que ce délai a été si court, et le temps de la vente si calamiteux et défavorable, qu'il n'a pas été évidemment possible d'attirer sur les lieux les spéculateurs et surtout les intéressés qui, presque tous, se trouvaient à la Réunion, et que, par une suite naturelle, la chose saisie a été adjugée au saisissant, c'est-àdire à la maison Menon et Comp., pour la modique somme de 28,750 fr.;

» Attendu que ces faits étant posés, il convient d'examiner les différentes questions soulevées par les parties;

» En ce qui concerne le défaut d'intérêt opposé à Ulysse Chassagne ;

» Attendu qu'aux termes de son mandat judiciaire, Ulysse Chassagne représente tout à la fois et les actionnaires et les créanciers du Glaneur; qu'en cette double qualité, il a un intérêt manifeste d'établir que les poursuites exercées devant un tribunal étranger par la maison Menon et Comp., à l'insu de ses mandants, leur a causé un préjudice réel; que s'il démontre, en effet, que cette maison de commerce, en saisissant à tort la cour de vice-amirauté, a fait vendre à vil prix ce bateau à vapeur et obtenu l'application, à son profit, de la majeure partie d'une somme qui, devant les juges nationaux, aurait été distribuée entre les véritables créanciers privilégiés, il justifiera indubitablement qu'un dommage a été occasionné à ses mandants et qu'il leur est dû réparation, conformément aux art. 4382 et 1383, Code Napoléon; que, par conséquent, son action a un but profitable et la maison Menon est mal fondée dans son exception;

» En ce qui concerne la fin de non-recevoir résultant de la comparution devant la cour de vice-amirauté du capitaine Kersauté et du subrécargue Victor Fouque, qui auraient ainsi valablement représenté les propriétaires et armateurs du Glaneur :

» Attendu qu'il a été jugé, comme cela se trouve déjà établi, qu'un seul agent serait chargé de la liquidation de la Société anonyme du Glaneur et qu'il aurait tous pouvoirs pour opérer la vente de ce navire; que cette décision, à laquelle Kersauté et Victor Fouque ont pris part en leurs qualité de capitaine et de subrécargue, et comme actionnaires de ladite Société, leur a virtuellement enlevé le commandement du Glaneur, déjà désarmé, et l'administration des affaires y rela

tives, et, par conséquent, les a privés de tous droits pour représenter les propriétaires et armateurs; que du moment, en effet, que Kersauté et Victor Fouque ont eu connaissance de cette décision avant tout acte de procédure de leur part, rien ne peut raisonnablement expliquer les poursuites qu'ils ont faites devant le consul, pour obtenir la vente dudit bâtiment, et encore moins le concours empressé qu'ils ont prêté à la maison Menon et Comp., et le rôle passif qu'ils ont ensuite adopté pour seconder son action devant la cour de vice-amirauté et faire réaliser la même vente avant le temps fixé par le consul et dans l'espace de trois jours; qu'il faut donc en conclure qu'au moment de leur comparution devant le tribunal étranger, ils avaient cessé d'être les agents et mandataires des propriétaires et armateurs du Glaneur, qui ne pouvaient plus être valablement représentés que par Ulysse Chassagne; que, dès lors, les jugements rendus contre eux ne l'ont été qu'à l'égard de personnes qui n'avaient plus ni titres ni qualités pour défendre lesdits propriétaires et armateurs, et que ceux-ci ne sauraient être liés par de pareilles décisions; que conséquemment elles sont à tort opposées à Ulysse Chassagne comme constituant la chose jugée, vis-à-vis de ses mandants, et la seconde exception de la maison Menon n'est pas plus admissible que la première.

>> Au fond:

» Adoptant les motifs des premiers juges, et attendu, en outre, que la juridiction des consuls, telle qu'elle est définie par l'art. 1er de l'édit de 1778, a été à diverses époques consacrée par la Cour de cassation et plusieurs autres Cours de l'Empire, et solennellement reconnue le 12 juillet 1836, par la puissance législative; que, s'il est vrai de dire avec l'ordonnance de 4684, que l'exercice et l'étendue de cette juridiction se trouvent subordonnés à l'usage et aux conventions diplomatiques intervenues entre la France et les différentes puissances près desquelles les consuls sont établis; il y a lieu aussi de reconnaitre que l'accomplissemeut de ces conditions. essentielles se constate au procès et détermine la condamnation de Menon et Comp.;

» Altendu, en effet, que dans les traités des 26 septembre 1786 et 15 janvier 1787, confirmés d'une manière virtuelle par ceux des 27 mars 1802 et 30 mai 1814, les rois de France et d'Angleterre, pour déterminer la nature et l'étendue des fonctions de leurs consuls, stipulant explicitement que les consuls-généraux, les con

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