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vient en France, et qu'elle réclame son état contre sa mère qui la désavoue. Les héritiers de son père ne sont point appelés dans l'instance ; et.cependant, sur les conclusions de M. d'Aguesseau, l'arrêt du 21 avril 1693 n'en prononça pas moins qu'elle était maintenue et gardée dans sa qualité de fille légitime d'Honoré Chamois et de Jacqueline Giroud.

On ne finirait pas, si on voulait rappeler tous les arrêts, tous les monumens qui ont consacré la doctrine de d'Argentré, de Vinnius, de Duaren, de Covarruvias et de M. Pondhon. Mais c'en est assez pour éloigner tous les doutes qui avaient pu naître sur ce point.

De là il faut conclure que l'enfant qui réclame son état ne doit en poursuivre la reconnaissance que contre ses père et mère s'ils existent, contre le survivant si l'un d'eux est prédécédé, et qu'il ne doit y appeler les collatéraux que lorsque le père et la mère sont décédés.

Faut-il donner de cette doctrine, de cette jurisprudence, une raison satisfaisante? C'est que les droits de la paternité peuvent bien encore se partager entre les deux époux tant qu'ils respirent; mais ils se concentrent tout entiers et sans réserve sur la tête du survivant. C'est ainsi que les lois ont accordé peu de puissance à la

mère sur ses enfans pendant la vie de son mari; mais à sa mort, elle jouit de toute la plénitude de la puissance paternelle. Les héritiers de son mari ne partagent point cette puissance avec elle.

C'est donc à tort que l'on a soutenu qu'Auguste devait appeler en cause sa sœur, ses tantes, et tous ses collatéraux paternels.

D'abord ceux-ci étaient, par l'art. 745 du Code Napoléon, exclus de la succession.

Ensuite ils avaient reconnu l'enfant pour leur neveu; sous ce double rapport, ils étaient non recevables.

D'ailleurs, si tous les droits de successibilité appartenaient à la fille, comme elle était sous la tutèle, sous la puissance de sa mère, on peut dire que tous les collatéraux étaient non reccvables, et que la seule héritière était défendue, étant représentée par sa mère. Qu'on ne soit donc pas surpris de ce que les arrêts ne portent pas tant en son nom qu'en celui de sa fille. Cette forme n'était pas nécessaire. La représentation était de droit, la fille devait être condamnée dans la personne de sa mère; elle ne pouvait recueillir la succession maternelle sans subir le sort de la condamnation.

On a dit encore qu'il fallait appeler le pro

cureur

cureur général syndic du département, parce que le sieur Voyneau, émigré, devait en tous. points être représenté par la nation, qui s'était mise à la place des émigrés.

On a tiré cette conséquence d'une loi qui avait promis que le trésor public donnerait des secours aux enfans des émigrés.

Il n'est personne qui n'ait senti la faiblesse d'un pareil moyen. Depuis quand a-t-on imaginé et dans quelle loi a-t-on vu que la république s'était attribué les droits purement personnels des émigrés; qu'elle avait adopté leurs femmes, leurs époux, leurs enfans; qu'elle était devenue mari, épouse, père, mère, fils et fille? La nation, il est vrai, s'est attribué tous les droits des émigrés, mais en ce qui concernait leur fortune seulement, en tout ce qui tenait à leurs intérêts pécuniaires; et c'est là où s'est borné son droit de les représenter. Mais a-t-on jamais vu que, lorsqu'il s'agissait de former ou de briser les liens du sang et de la famille, on dût faire représenter l'émigré par le commissaire du département? Lorsqu'une femme d'émigré agissait en divorce contre son mari, y appelaitelle ce commissaire? le citait elle devant les tribunaux? demandait - elle son autorisation pour ester en jugement ou pour contracter? les Tome III.

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enfans allaient-ils requérir son consentement pour se marier lorsqu'ils étaient mineurs? assistait-il aux assemblées de famille? en un mot, était-il pour quelque chose dans tout ce qui concernait le personnel des émigrés? En vérité, il est par trop inutile de relever un pareil moyen.

Disons donc que le sieur Voyneau étant émigré, et par conséquent mort civilement, tous les droits de la puissance paternelle étaient passés sur la tête de son épouse: elle seule avait le droit de disputer à Auguste l'identité de sa personne et l'état qu'il voulait s'attribuer. Auguste, en réclamant le nom de Voyneau, se la donnait pour mère; et par cette seule raison, il se donnait le sieur Voyneau pour père. Elle seule avait donc le droit de lui disputer cette qualité, puisque le sieur Voyneau n'existait plus : la dame Voyneau était donc le seul légitime contradicteur d'Auguste; et par une conséquence inévitable, le jugement qu'il a obtenu contre elle a irrévocablement assuré son état ; et il l'a assuré contre tous, comme étant rendu, suivant l'expression de d'Argentré, avec légitime contradicteur et partie suffisante.

Il y a plus si, en thèse générale, il était possible de concevoir que la filiation fût divisible, et que le même enfant pût être légitime vis-à-vis de sa mère, sans l'être vis-à-vis de son

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père; si la règle is pater est, qui est l'égide des enfans, le fondement des sociétés, pouvait recevoir une atteinte aussi funeste, dans l'espèce qui nous occupe, cette divisibilité ne serait point

admissible.

Ne perdez pas de vue qu'il ne s'agit point ici de pénétrer le mystère impénétrable de la nature; de porter ses regards sur la conception, sur l'origine d'un enfant ; mais qu'il s'agit purement et simplement de la vérification d'un fait, de constater l'identité d'Auguste.

Or, ce fait est aujourd'hui éclairci, vérifié, jugé. Désormais on ne pourrait entendre que les mêmes témoins, que répéter les mêmes discussions, représenter les mêmes scènes scandaleuses; ce qui est dangereux et inadmissible.

En deux mots, il ne fallait, pour assurer à Auguste l'état d'enfant légitime, qu'un jugement rendu principaliter et super causâ status,

jugement existe; un jugement rendu contre un légitime contradicteur, et la dame Voyneau était ce légitime contradicteur; elle était la seule alors qui pût défendre à sa demande, la seule qui eût intérêt à le faire, la seule qu'il pût appeler devant les tribunaux pour agiter avec elle une question aussi importante. C'est là l'opi nion des auteurs les plus célèbres, de Vinnius,

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