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CHAPITRE IV.

DES RUES ET DES PLACES PUBLIQUES.

Les maisons, réunies sur un alignement donné et le même pour toutes, constituent les rues; celles-ci réclament une étude particulière sous le rapport de la salubrité.

§ 1. HAUTEUR des MAISONS.-Au point de vue hygiénique, une rue est un grand canal ouvert au passage de l'air, et dans lequel chacune des maisons qui le forment déverse ses foyers divers d'infection.

La largeur des rues ne doit point être abandonnée à l'arbitraire; elle importe beaucoup à la santé publique. Des rues démesurément larges livrent un accès trop facile au soleil ; elles sont extrêmement froides en hiver, et la chaleur y est insupportable en été. Rebâtie sur un plan régulier par Néron, qui l'avait brûlée, Rome avait de grandes places publiques et des rues que plusieurs chars pouvaient parcourir de front; cependant ses habitants se plaignirent beaucoup : ils souffraient extrêmement de l'ardeur du soleil dans les vastes espaces qui séparaient leurs demeures, et regrettaient leurs anciennes rues si sombres et si étroites. Il faut donc un moyen terme. Si des rues étroites sont bordées de hautes maisons, la ventilation s'y fait mal; elles deviennent humides, froides, malsaines, et pour les assainir il faut absolument les élargir. Il y a beaucoup de phthisies, de scrofules et d'hydropisies dans les quartiers de cette sorte, et il y regne, assez souvent, des maladies épidémiques qu'on ne voit jamais, ou presque jamais, dans les rues très larges.

Un rapport doit exister entre la largeur de la rue et l'élévation des maisons; cette relation de l'une à l'autre est un point essentiel pour la conservation de la santé publique. La déci

sion royale du 19 août 1783 règle la largeur des rues et la hauteur respective des maisons; on y lit les dispositions suivantes: « Article 1er. Aucune rue nouvelle ne pourra être ouverte qu'en vertu de lettres-patentes; elle ne pourra avoir moins de trente pieds de largeur; toutes les rues dont la largeur est au-dessous de trente pieds seront successivement élargies au fur et à mesure de la reconstruction des maisons et bâtiments situés sur ladite rue. » L'article 5 détermine la hauteur qu'on pourra donner aux maisons, et prescrit des peines sévères pour les cas de contravention. Le propriétaire paiera mille écus d'amende, sa maison sera rasée et l'emplacement réuni au domaine de l'Etat; les ouvriers maçons, charpentiers, etc., sont condamnés à mille livres d'amende et à la perte de la maîtrise. La hauteur des maisons en maçonnerie, de la ville et des faubourgs de Paris, autres que les édifices publics, sera et demeurera fixée, savoir : dans les rues de trente pieds de large et au-dessus, à soixante pieds lorsque les maisons seront construites en pierres et moellons, et à quarante-huit pieds seulement lorsqu'elles seront faites en pans de bois; dans les rues depuis vingt-quatre jusques et y compris vingt-neuf pieds de largeur, à quarante-huit pieds, et dans toutes les autres, à trente-six pieds le tout, et y compris les mansardes, attique, toit et autres constructions quelconques au-dessus de l'entablement. Il y a de sages dispositions dans cette ordonnance de 1783; mais plusieurs sont difficiles à comprendre. On ne voit pas pourquoi la largeur des rues est subordonnée, non à la hauteur de la maison, mais à la nature de ses matériaux, qui est ici un objet secondaire. Peu importe pour le but qu'on se propose d'atteindre, que la maison soit en bois, en moellons ou en pierres de taille; son élévation est le seul objet à prendre en considération lorsqu'il s'agit de déterminer la largeur absolue de la rue. La loi de 1792 fixe à cinquante-quatre pieds la hauteur des maisons dans les rues de trente pieds de largeur, et à quarante-cinq dans les rues moins larges. Elle est rarement observée, et peut-être serait-il nécessaire d'en revoir toutes les dispositions. La France a besoin d'une loi obligatoire, non-seulement pour Paris, mais encore pour toutes les villes; elle abandonne, à tort, l'une des questions les plus importantes de l'hygiène publique à l'in

curie et au peu de lumière, en matière de salubrité, de beaucoup d'administrations municipales.

Cette loi, commune à toutes les cités, mettrait un frein à la dangereuse cupidité des entrepreneurs: si elle paraissait nécessaire en 1783, qu'on juge de sa convenance, maintenant qu'un essor si extraordinaire a été donné aux constructions. Ce ne sont pas, en effet, des maisons que l'on bâtit à Paris et dans quelques autres grandes villes; ce sont des rues et des quartiers entiers. Tous les jardins disparaissent, toutes les grandes cours se rétrécissent, quand elles ne sont pas tout-à-fait supprimées tous ces nobles hôtels, entre cour et jardin, dont on admirait le confortable, sont abattus et transformés en ruches énormes, composées de six ou huit étages de cellules. Peu soucieux d'enlever à la rue l'accès du soleil et de la lumière, et de la changer en un couloir, l'entrepreneur élève sa maison aussi haut qu'il le peut sans trop compromettre la solidité de l'édifice. Ce qu'il veut, c'est retirer le plus d'argent possible de l'exploitation, en habitations quelconques, d'un emplacement donné.

Le Conseil de salubrité de la Seine a déterminé la meilleure proportion à établir entre la largeur de la rue et la hauteur des maisons la largeur de la rue doit être égale à la hauteur de la maison la plus élevée; en d'autres termes, on ne doit, en aucun cas, bâtir sur une rue une maison qui ait plus de hauteur que la rue n'a de largeur. Lorsque cette porportion a été observée, on a établi une ventilation fort convenable, non-seulement pour la rue, mais encore pour les maisons, qui reçoivent plus de soleil, d'air et de lumière, et qu'il devient dès lors plus facile de maintenir propres.

Ces règles de proportion ne sont point absolues, et elles ne conviennent pas également à tous les climats. Ainsi, plusieurs des villes principales de l'Italie, Milan et Gênes, par exemple, ont une rue centrale fort large, et des rues latérales extrêmement étroites, à dessein, bien qu'on y remarque de magnifiques palais. Le soleil est un ami dans les pays froids ou tempérés, et un ennemi dans les climats chauds : on fait tout ici pour le recevoir; là, au contraire, on l'évite autant qu'il se peut. Presque toutes les villes de l'Orient et de l'Afrique sont

ainsi, leurs rues sont étroites, sombres et sinueuses, tout exprès pour leur donner, comme qualité, ce qui serait un défaut chez nous. Malheureusement elles atteignent fort mal leur but, et l'insalubrité, dans leur enceinte, est portée à son comble.

Les places publiques importent aussi à la salubrité; lorsqu'elles sont vastes et multipliées, elles font pénétrer dans l'intérieur des villes beaucoup d'air et de lumière. Ce sont des promenades fort convenables pour toutes les classes d'habitants, pour les enfants surtout, qui peuvent s'y livrer aux amusements de leur âge en toute sécurité, à l'abri du mouvement des passants et des voitures. On leur donne ordinairement la forme d'un quadrilatère allongé ; il en est d'ovales: plusieurs ont une régularité parfaite, qui est un de leurs premiers avantages, quant à l'optique. On voit à Londres, au milieu de vastes squares, des jardins fermés par des grilles et réservés pour l'usage des habitants des maisons voisines; c'est un inconvénient peut-être : il ne faut pas de privilégiés sur le sol des places publiques. Des plantations d'arbres, dans ces promenades, sont un objet, nonseulement d'agrément, mais encore d'assainissement : elles concourent, pendant le jour, à rendre l'atmosphère plus salubre. Sous l'action de la lumière solaire, les parties vertes des arbres dégagent de l'oxygène et absorbent l'acide carbonique. Un autre avantage des arbres sur les places publiques, c'est de procurer de l'ombrage, toujours si désirable pendant les ardeurs de l'été. La plupart des places sont trop étroites; beaucoup sont de grandes cours qu'entourent de hautes maisons. Toutes peuvent être considérées, pour les rues qui viennent y aboutir, comme un fourneau d'appel à double courant, agissant d'une manière continue soit le jour, soit la nuit. Elles sont donc un puissant moyen de ventilation.

L'alignement des rues concerne la voirie, et nous ne le rappelons ici que pour mémoire.

Considérées dans leur ensemble, les rues sont divisées en plusieurs classes, selon qu'elles ont plus ou moins de largeur. Dans les grandes villes qui sont bâties avec quelque régularité, une rue centrale traverse la cité, presque en totalité, de l'une de ses extrémités à l'autre; c'est la grande artère centrale de la circulation. Des rues transversales, moins larges, la

coupent à angles droits, et divisent en compartiments tout le périmètre de la ville.

§ 2. PAVAGE DES RUES. Le pavage des rues est une question de commodité et de salubrité; il faut que la voie publique soit d'un parcours facile; qu'aucun obstacle n'y gêne la circulation des citoyens ou des voitures, et qu'enfin le sol uni, consistant et sec autant que possible, n'expose pas les passants aux chances d'une chute. Une rue qui n'est point pavée est couverte de boue dans les temps humides, et de poussière en été; des ornières profondes la sillonnent, et elle est souvent impraticable. Paver la voie publique, c'est la revêtir d'une croûte imperméable aux eaux pluviales, et assez compacte et solide pour résister aux frottements les plus répétés, ainsi qu'au choc des voitures les plus lourdement chargées. Cette couche de matériaux, extrêmement durs et très adhérents entre eux, est légèrement bombée au centre, et déprimée sur les parties latérales pour l'écoulement des eaux pluviales; elle a une pente légère dans le sens des égoûts qui s'ouvrent au dehors. Sa surface ne saurait permettre le séjour des flaques d'eau, des amas de boue diffluente ou des eaux stagnantes; elle doit être lisse sans être glissante. Quelques aspérités peu sensibles, formées par la nature de ses matériaux ou par leurs joints, facilitent la marche des passants, et offrent un point d'appui résistant aux pieds des chevaux. Malgré son extrême utilité, le pavage n'est pas d'invention très ancienne; il a commencé à être mis en usage sous le règne de Philippe Auguste: mais plusieurs siècles se sont écoulés avant qu'il devînt général; il est porté aujourd'hui à un très haut degré de perfection.

Il y a plusieurs systèmes de pavage, appropriés presque partout aux ressources que présentent les localités; comme tous sont fort coûteux, on emploie, pour diminuer les frais, ceux des matériaux qui sont à portée. On ne saurait donc accorder une préférence absolue soit à l'un, soit à l'autre; le problème à résoudre, c'est de combiner l'économie dans la dépense avec la durée du pavé.

L'un des systèmes les plus répandus, c'est celui du grès débité en cubes et placé sur une couche de sable; le grès a une

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