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>> minent ses forces : il n'a jamais joui complètement de l'exis

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tence, et pour lui vivre, c'est souffrir (1). x

Ce qui est vrai pour un pays marécageux, l'est aussi pour un autre. Il y aurait beaucoup à dire sur l'influence pernicieuse des émanations des eaux stagnantes; mais cet Essai doit traiter spécialement de la salubrité dans les grandes villes.

Nous avons indiqué les conditions sanitaires que présentent les lieux divers dont l'homme peut faire son séjour; étudions maintenant les habitations en elles-mêmes.

§ 2. DES GRANDES VILLES.-Les grandes villes ne seraient pas habitables si elles n'étaient soumises à une police sanitaire; c'est pour elles surtout que la législation sur la salubrité a été créée. Tous les genres d'infection sont accumulés dans leur enceinte ou dans leurs alentours; s'ils ne sont soumis à une surveillance sévère, la santé publique est gravement compromise. Rien n'est plus dangereux que l'habitation des villes, lorsque rien ne protége leur population contre les émanations incommodes ou délétères dont l'atmosphère est chargée si souvent. Il n'y a pas de police de salubrité dans les capitales de l'Orient ni dans quelques grandes cités de l'Amérique du Sud, mais aussi des épidémies meurtrières sont permanentes dans ces villes. Toutes les fois qu'un grand nombre d'hommes se réunissent ensemble pour vivre en commun, ils apportent avec eux, par le fait même de leur agglomération, des causes de maladies et de mort, qui ne tardent pas à se développer, si elles ne sont anéanties, au moment où elles se produisent, par une hygiène bien entendue. En effet, des immondices, d'espèce diverse et plus ou moins délétères, sont la conséquence nécessaire de l'existence des grands centres de population. Aux boues déposées sur la voie publique par la circulation des passants et par les pluies, s'ajoute le produit des déjections stercorales de chaque jour : plus malfai

(1) MONFALCON (J.-B.). Histoire médicale des marais et Traité des fièvres intermit. tentes causées par les émanations des eaux stagnantes. Seconde édition. Paris et Lyon, 1827, 1 vol. in-8°.

santes encore, les émanations de grand nombre d'ateliers et de fabriques altèrent, à chaque instant, la pureté de l'air. Nos ménages fournissent continuellement leur contingent d'infection sous les formes les plus variées : ce sont tantôt les résidus des aliments, tantôt des eaux de lavage corrompues, ou des matières organiques en fermentation. Chaque maison, chaque étage, chaque appartement est un foyer de vapeurs plus ou moins fétides; la chance de la viciation de l'air est partout. Nos hôpitaux versent incessamment dans l'air une quantité énorme de miasmes dangereux; d'autres effluves presque aussi malfaisants sont dégagés par le sol, qu'imprègnent profondément des liquides putrides. Mal contenues par le ciment éraillé des fosses, les matières fécales filtrent à grande distance et vont corrompre les eaux des puits. Nous n'avons rien dit encore des boucheries, boyauderies et tanneries, des cadavres d'animaux qui se putréfient à l'air libre, des dépôts permanents de fumier dans nombre d'habitations, etc., etc. Tels sont quelques-uns des ennemis contre lesquels la santé doit être défendue par une sollicitude infatigable; il n'en est point contre lesquels la salubrité n'ait des armes suffisantes, mais tous existent, tous sont en pleine activité, et la police sanitaire n'a pas le droit de dormir un seul moment.

Rien, sous ce rapport, n'est indifférent dans une grande ville l'air, le sol, les eaux, tout y réclame la plus sérieuse attention. Il faut d'abord tenir compte de sa position topographique; sa situation relativement au voisinage des fleuves et des chaînes de montagnes a beaucoup d'importance, et son exposition est l'une des premières considérations dont il faut tenir compte. Un juge bien compétent, Hippocrate, assigne une physionomie particulière aux villes qui sont ouvertes aux vents chauds et à celles que balaient les vents froids; elles ne sont pas dans les mêmes conditions de salubrité. De toutes les expositions, la meilleure est celle de l'est. Une grande cité bâtie en amphithéâtre, sur une colline qui regarde le soleil levant, est de toutes la mieux située; son exposition est de beaucoup préférable à celle du nord ou du midi.

On improvise rarement des villes; il est facile de tracer sur le papier leurs conditions de salubrité, et de donner des règles

pour le percement des rues, l'alignement des constructions, ou l'exposition des établissements publics. Mais, si on fait rarement des villes de toutes pièces, on peut du moins rectifier les vices de leur plan primitif, ou de l'absence de plan dans leur aménagement, et ce n'est point une occupation et une dépense médiocre pour les conseils municipaux. Nos pères avaient peu de goût et de prévoyance dans la construction de leurs habitations ; ils étaient profondément ignorants ou insouciants en matière de salubrité, et s'ensevelissaient dans des masures humides et sombres, beaucoup plus mal tenues que certaines écuries. Chacun construisait son habitation à sa manière, et empiétait sur la voie publique à son gré, sans souci du voisin et surtout de la régularité de l'ensemble. Ils ont légué une lourde tâche à leurs enfants; bien des siècles s'écouleront avant que la régénération sanitaire de nos maisons soit opérée. Cette réforme n'est guère possible que dans les grandes villes, qui peuvent seules affecter une somme considérable à leurs travaux publics.

Il faut avoir égard à beaucoup de circonstances pour déterminer les conditions de salubrité d'une ville quelconque: on doit d'abord, nous l'avons dit, tenir compte de l'exposition. Celles-ci sont assises sur un sol très élevé au-dessus du niveau de la mer; celles-là se déploient en éventail sur le versant d'un coteau ; d'autres s'étendent dans une plaine, et ont leurs murs baignés par une rivière. Toutes sont ouvertes aux vents d'une manière particulière; les unes reçoivent principalement le vent du sud et du sud-ouest, les autres le vent d'est ou le vent du nord. Des modifications de l'organisation humaine correspondent à chacune de ces dispositions. Toutes les cités vivent sous l'influence des circonstances locales qui leur sont propres, et reçoivent une empreinte profonde et de ces agents modificateurs et du climat. Celles que baignent de grands cours d'eau, sous un ciel froid ou tempéré, sont ordinairement plongées dans d'épais brouillards, auxquels correspondent des maladies d'une espèce déterminée; d'autres, qui couronnent le sommet de hautes collines, ont une autre allure qui leur est spéciale. Il en est qui ont le malheur d'être à proximité d'eaux stagnantes sous un ciel brûlant; empoisonnée par des effluves malfaisants, leur atmosphère chaude et humide devient la cause périodique de

maladies qui sont très meurtrières. Quelques villes souffrent à un haut degré de la sécheresse; elles manquent d'air frais, et leurs habitants, pour respirer, sont obligés de passer une grande partie de la nuit sur des terrasses. Placées sous une latitude différente, d'autres comptent, dans l'année, un grand nombre de jours de pluie.

Et cependant l'homme s'habitue à toutes ces conditions si diverses; son organisation flexible se fait au mal comme au bien. Couverts de vermine et renommés par une malpropreté historique, certains Orientaux nous inspirent à cet égard une commisération profonde : ils ne se plaignent cependant pas, et n'envient en aucune façon le confortable de nos grandes cités. On sait que les rues de Constantinople sont dévouées à des boues phénoménales; elles ne sont point pavées, mais peu importe au Turc: il les parcourt comme il peut, après s'être affublé de bottes en cuir qui remontent jusqu'au milieu des cuisses. Dans plusieurs villes considérables de l'Amérique méridionale, les cadavres des grands quadrupèdes, des chevaux, par exemple, se putréfient en plein air sur la voie publique; mais personne n'en prend le moindre souci, et ce sont les oiseaux de proie qui sont chargés du nettoiement des rues, soin dévolu dans d'autres cités à des bandes de chiens affamés. Mais ce ne sont point de tels exemples que nous devons imiter; nous les avons suivis pendant trop longtemps.

Il faut en quelque sorte du courage pour habiter une ville; on s'y déterminerait bien difficilement si on prenait en considération le grand nombre de foyers d'infection dont il faut braver l'activité malfaisante et journalière. Mais l'habitude atténue le mal, et la nécessité empêche d'y prendre garde. Tout le monde ne peut pas vivre aux champs; au reste, une bonne police sanitaire rend parfaitement supportables les agents d'insalubrité, si elle ne les détruit pas tout-à-fait. S'il y a de grandes différences d'une ville à l'autre sous le rapport des conditions de salubrité, il n'y en a pas moins entre les quartiers divers d'une même ville, et c'est ici le lieu de placer une observation importante. On est souvent malade et beaucoup de gens meurent dans les villes insalubres; la vie est plus longue et plus facile dans celles dont les conditions sanitaires sont satisfaisan

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tes. Même observation pour les quartiers divers d'une même cité. Des observations d'une exactitude rigoureuse et faites en grand nombre ont établi cette vérité. On a comparé, à Paris, la mortalité dans le quartier riche de la Chaussée-d'Antin, à celle des quartiers pauvres de l'Hôtel-de-Ville ou du faubourg St-Marceau la différence est frappante. Dans l'un, il y a une agglomération moins grande d'individus en un même point; chaque rue, chaque maison à une part plus large de lumière et de soleil; enfin tous les foyers d'infection y sont pourchassés et surveillés avec le plus grand soin. Dans l'autre, une multitude de familles habitent de misérables galetas obscurs, humides, malsains, et abandonnés à tous les genres d'émanations malfaisantes; il y a peu de places publiques, les maisons n'ont que des cours très petites, et les rues étroites et tortueuses, couvertes pendant neuf mois de l'année d'une boue diffluente, sont constamment imprégnées d'une atmosphère insalubre. A un chiffre égal de population correspondent des différences énormes dans le nombre des maladies et des morts: partout où il y a de l'aisance et un air sain, la vie est plus facile, plus complète et plus longue; partout où se trouvent réunies la misère et l'habitation d'une demeure malsaine, végète une population rabougrie, que mettent en coupe réglée les scrofules, le marasme et la phthisie.

Les conséquences de cette observation sont bien importantes: il faut assainir les quartiers malsains et rajeunir les vieilles cités; il faut démolir les masures et les maisons décrépites; il faut construire pour les ouvriers des maisons amplement baignées par le soleil et la lumière; il faut élargir et redresser les rues étroites et anguleuses. Un maire de grande ville qui régénère un vieux quartier, et fait entrer abondamment la lumière et la chaleur solaire dans des lieux qui en étaient privés, rend à ses concitoyens un service plus signalé que s'il faisait construire un palais. La gloire véritable pour un conseil municipal, c'est de rendre meilleure la condition matérielle des ouvriers, en mettant à leur disposition des demeures salubres. Au reste, pauvres et riches sont en droit d'exiger, des magistrats de la cité, un air sain, de bonnes eaux potables, une circulation commode sur la voie publique, enfin une bonne

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