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Deuxième Section.

ÉTABLISSEMENTS DE SECONDE CLASSE.

Les établissements de seconde classe n'ont rien d'insalubre; ils ne sauraient porter atteinte ni à la santé de l'homme ni à la végétation; cependant leur incommodité peut être fort grande, beaucoup plus même que celle d'un établissement de première classe. Leur éloignement des habitations n'est pas rigoureusement obligatoire; mais on ne peut, toutefois, les autoriser qu'après avoir acquis la certitude qu'ils ne sauraient incommoder les propriétaires ou locataires du voisinage. On a dit ailleurs quelles formalités devaient accompagner la demande en autorisation pour les fabriques de cette catégorie. Comme les inconvénients dont leurs procédés d'exécution s'accompagnent se réduisent à une incommodité supportable, quoique très réelle, très peu sont frappées d'interdiction.

§ 1. FOURS A CHAUX ET A PLATRE. La pierre à chaux est le produit de la calcination d'un carbonate calcaire; on chauffe le carbonate de chaux, à la pression de l'atmosphère, jusqu'à la température rouge; l'acide carbonique se dégage, et ce qui reste c'est la chaux, dont les arts, et surtout l'architecture, font une consommation si grande. Ce mode de fabrication a lieu ordinairement à l'air libre, soit qu'on brûle le carbonate en le plaçant par couches alternatives sur du menu bois, soit qu'on se serve d'un four construit pour cet usage. Tantôt le four travaille d'une manière continue, tantôt il ne fonctionne que par intermittence; dans les deux cas, la manière dont le feu est conduit et la condition de la chaux, plus ou moins chargée de silice, d'alumine ou d'autres substances, modifient beaucoup la nature du produit. Mais les inconvénients de l'exploitation de ce mode d'industrie sont les mêmes: la fabrication de la chaux donne lieu à un dégagement très abondant de gaz acide carbonique, et surtout d'une fumée noire et dense. Rangée

d'abord dans la première classe des établissements insalubres, elle a passé dans la seconde; c'est à la troisième qu'elle appartient lorsque le four ne travaille pas plus d'un mois dans l'année, ou quand on prépare la chaux à vaisseaux clos. Le combustible dont on se sert pour la cuisson du carbonate calcaire donne lieu, selon sa nature, à un dégagement de fumée plus ou moins considérable. On se sert presque toujours de la houille si on pouvait employer le coke, il y aurait peu de fumée; mais le coke coûte plus cher et ne fournit pas une grande quantité de chaux.

Les fours à plâtre dégagent aussi une très grande quantité de fumée. On nomme gypse, ou pierre à plâtre, du sulfate de chaux; soumis à la calcination dans un fourneau, le gypse perd son eau de cristallisation, se dessèche et devient pulvérulent : mais une opération est encore nécessaire pour que le plâtre puisse être livré au commerce; il faut le réduire en poudre fine. Aussi cette fabrication s'accompagne-t-elle de deux inconvénients qui sont étrangers à celle de la chaux, le bruit et beaucoup de poussière. Bien cuit, bien pulvérisé, et mis en contact avec de l'eau, le plâtre en absorbe une assez grande quantité, augmente de volume et forme une cristallisation solide. Sa préparation est incommode, non-seulement pour les habitations du voisinage, mais encore pour les ouvriers. On pulvérise le sulfate de chaux sur le sol avec des battes en bois; travail pénible, et qui produit un dégagement abondant d'une poussière tenue, dont les organes respiratoires sont bientôt imprégnés. Dans la plupart des bonnes fabriques, le gypse calciné est pulvérisé par des meules horizontales ou verticales; la pression d'un cylindre le réduit en poudre très fine et uniforme.

Le décret du 15 octobre 1810, et M. Chevalier, avec plus de détails, reconnaissent aux fours à chaux les inconvénients suivants: 1o l'odeur désagréable et incommode de la fumée du charbon de terre, odeur qui varie selon la nature des charbons employés; 2o la production d'une certaine quantité d'acide sulfureux, résultant de la combustion des sulfures qui existent dans les houilles ; 3° le dégagement d'une grande quantité de buée (vapeur d'eau), qui entraîne avec elle la décomposition des matières organiques du carbonate calcaire; 4° le dégagement

d'une grande quantité d'acide carbonique; 5° enfin, la continuité du travail, qui donne lieu à tous ces inconvénients et

qui les aggrave.

Ni l'acide carbonique ni la fumée de houille versés dans l'air atmosphérique par le four, ne sont préjudiciables, soit à la santé, soit à la végétation. Il n'y a rien d'insalubre dans la fabrication de la chaux, mais elle peut être d'un voisinage fort incommode pour des habitations ou pour une propriété d'agrément. C'est l'examen des conditions de localité qui décide du succès des demandes d'autorisation; elles sont, d'ordinaire, favorablement accueillies.

Parmi les plaintes auxquelles ils ont donné lieu, l'une des plus fréquentes; c'est l'action délétère des émanations des fours à chaux sur la qualité des vins. On a dit qu'elles brûlaient la fleur de la vigne, on a surtout assuré qu'au temps de la maturité du fruit, la fumée de la houille se déposait en couche sur le raisin et en altérait la qualité.

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Cette opinion se trouve exprimée en termes formels dans un rapport de MM. Aubergier et Lecoq, que les Annales d'hygiène ont publié (1843). Selon ces experts, la fumée des fours à chaux peut nuire en déposant sur le raisin des matières étrangères, susceptibles de se dissoudre dans l'alcool du vin. Selon eux, le mauvais goût et la mauvaise odeur des vins qu'ils ont examinés provenaient de la fumée de fours à chaux situés dans le voisinage des vignobles. Il paraîtrait résulter des expériences qu'ils ont faites que, pendant la confection de la chaux, la fumée de la houille dépose sur la pellicule des fruits des matières que le marc du raisin attaque difficilement, mais qui se dissolvent avec facilité dans l'alcool produit par la fermentation.

Les vins des alentours de Rive-de-Gier sont imprégnés de fumée à un degré infiniment désagréable. Très souvent reproduite dans les pays de vignobles, cette grave assertion a été l'objet de discussions fréquentes, qui n'ont point amené de solution définitive: à des faits plus ou moins authentiques, on a opposé des faits contradictoires. Des expériences décisives avaient été annoncées, elles n'ont point eu de résultats; nous croyons cependant la question complètement jugée dans le sens de la négative, et par un argument auquel nous ne pensons pas qu'on

puisse rien objecter de raisonnable. Il y a beaucoup de fours à chaux permanents dans les pays de vignobles, et, pour ne parler que de ce que nous connaissons, par de nombreuses enquêtes, dans le département du Rhône, on en voit à Bully, à St-Germain, à Fontaines, à Sain-Bel, à Belligny, à St-Try, à Belleville, à Givors, à la Demi-Lune, à Tassin, etc., etc. Si leur fumée altérait la qualité du raisin et du vin, cette action délétère ne serait pas un problème; elle aurait été démontrée par des observations, recueillies en très grand nombre et dans diverses localités. Tous les vignobles qui sont sous le vent des fours à chaux auraient éprouvés une dépréciation incontestable; leurs vins auraient manifestement perdu de leur qualité et seraient inférieurs au produit des vignobles voisins: or, c'est ce qui n'a point eu lieu. Des fours à chaux permanents sont en pleine activité, depuis grand nombre d'années, auprès de vignes dont la bonne renommée n'a pas faibli : nous croyons ce fait, général, beaucoup plus concluant que des assertions, dénuées de preuves, sur un fait particulier. Cédant au préjugé, nous avons souvent insisté, dans nos rapports, en faveur d'une demande en autorisation d'un four à chaux, sur cette clause, assez mal observée, qu'il ne fonctionnerait pas depuis le temps de la floraison de la vigne jusqu'à la maturité du raisin, c'est-à-dire depuis le 1er mai jusqu'au 1er novembre. Nous serions fort disposés à faire l'abandon de cette condition si, dans les cas où quelque incertitude se présente, le doute ne devait pas profiter à la salubrité.

Il est rare qu'une demande en autorisation d'un four à chaux soit rejetée; peu d'établissements sont plus utiles, et il faut absolument les tolérer quelque part. Presque tous sont situés dans des lieux isolés; enfin, leurs inconvénients se réduisent à l'incommodité de la fumée, très grande, il est vrai, pour les habitations. On ne peut pas les permettre lorsqu'ils sont environnés de maisons qui protestent contre leur voisinage, et situés, par exemple, à l'entrée d'une grande ville et dans un quartier populeux, comme on le voit dans une grande ville de province. Jamais établissement de ce genre ne fut plus mal placé des maisons l'environnent de toutes parts, excepté à l'est; sa fumée noire, lourde et épaisse, enveloppe tout un quartier et pénètre jusque dans l'intérieur d'un grand établissement public: peu de voisi

nages sont aussi désagréables. Nous avons dit autre part que l'Administration pouvait interdire un four aussi incommode, alors même qu'il existait antérieurement à la législation des établissements insalubres; elle a des moyens légaux, et peut en

user.

Des circonstances particulières amènent quelquefois la fâcheuse servitude d'un four à chaux, au centre d'un quartier très habité. Ce four, lorsqu'il a été bâti, était dans un lieu isolé; mais beaucoup de maisons sont venues se placer autour de lui, et il s'est trouvé enclavé dans un amas de constructions récentes, et protégé soit par d'anciens titres, soit par la prescription. On ne peut plus s'en délivrer que par des transactions fort onéreuses aux communes; c'est une éventualité à ne point perdre de

vue.

Cette grande incommodité de la fumée doit donc être prise en considération, lorsqu'il s'agit de permettre la construction d'un four à chaux sur un terrain nu, mais appelé à se couvrir de maisons. Certaines autorisations ne devraient point engager l'avenir; mais on n'a pas le droit de les accorder pour un temps déterminé. L'avis d'un Conseil de salubrité est nécessairement subordonné à l'appréciation des circonstances locales: il sera défavorable à un four à chaux qui demandera à s'établir dans un riant paysage, auprès de maisons d'agrément, dont il rendrait le séjour insupportable. L'incommodité portée à un certain degré suffit pour motiver le rejet d'une fabrique.

Un arrêté du Comité de police de la commune de Paris, du 20 octobre 1789, défend à tous plâtriers, chaufourniers et autres, d'établir des fours et de calciner de la pierre à chaux dans l'enceinte des nouvelles barrières de Paris, sous peine de mille livres d'amende. La commune ordonnait, en outre, que sous huitaine, tous les fours à chaux et à plâtre construits dans l'enceinte de ces nouvelles barrières seraient démolis.

Des conditions doivent être imposées aux fabricants de chaux; il faut que les fours soient éloignés de 150 mètres au moins de toute habitation et de 50 mètres d'une route. Le code forestier exige que les fours à chaux soient soumis à une autorisation, quand on veut les construire à moins d'un kilomètre des forêts. On aura soin de ne point diriger leurs ouvertures du

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