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mais ce qui garantit le plus sûrement l'empire français de toute crainte, c'est que s'il eût pu s'en former une, l'empereur l'eût attaquée, battue, dissoute, et après la victoire, il eût encore proposé la paix; il eût encore écrit an roi d'Angleterre cette lettre où il appelle l'humanité au secours de la raison et de l'intérêt du peuple anglais.

Redisous-le donc, Messieurs, un seul sentiment et le plus honorable de tous, a pu porter l'empereur à la démarche glo rieuse qu'il a faite envers l'Angleterre.

Ce sentiment est le même qui, dans une autre situation dicta à S. M. la dépêche qu'elle écrivit avant de passer la Saave et la Drave.

Il est le même qui inspira cette autre lettre au roi d'Angleterre quelques mois avant la bataille de Marengo.

Il est le même encore qui, après le gain de la battaille, fit offrir la paix à l'Autriche par le vainqueur.

Enfin, c'est le même sentiment qui, à la paix de Lunéville a décidé sa majesté à sacrifier d'immenses conquêtes, et plus de 20 millions d'habitans soumis par les armes françaises.

C'est l'amour de l'ordre social, l'amour de la patrie, le saint amour de l'humanité, si souvent professé dans de vains discours, si rarement mis en action, et qui toujours respecté par l'empereur, toujours pris pour guide dans ses démarches, a été le gage et la consolation de ses succès. Vous allez, Messieurs, en retrouver les touchantes et augustes expressions dans la lettre que je vais vous lire.

(L'orateur donne lecture de la lettre de S. M. l'empereur au roi d'Angleterre, et de la réponse du ministre anglais, Voyez l'art. sénat.

Comparerai-je à présent, Messieurs, les deux monumens dont l'histoire s'est déjà emparée ?

Vous ferai-je remarquer dans l'écrit français, la franchise, l'élévation, la force: dans l'écrit anglais, la ruse, la duplicité, la faiblesse ?

Ici, tout est précis et noble, tout est empreint de dignité et de grandeur: la guerre est menaçante mais généreuse; lą guerre est menaçante mais subordonnée à ce rare courage qui fait sacrifier l'attrait des conquêtes, l'éclat de la victoire, les allusions même de la gloire, aux cris de l'humanité, aux larmes de cent mille familles nationales ou étrangères qui demandent la paix aux cieux et à leurs monarques,

Là, tout est hésitation et incertitude: on répond par des suppositions à des réalités; on oppose un avenir équivoque à un présent hors de doute; on oppose à une ouverture franche la possibilité d'une coalition qui, existút-elle, n'épouvanterait ni la nation ni son empereur, qui, subsistante ou vaincue, ne ferait ni croître ni restreindre leurs prétentions, n'ajouterait ni ne retrancherait aux conditions de la paix écrites dans le traité d'Amiens,

Si, dans la communication qu'elle semble annoncer, l'Angleterre parle un langage plus digne de l'onverture qu'elle a reçue, la paix peut renaître.

Mais si cette occasion unique, qui semble offerte par le maître de tous les empires, de rétablir la paix de l'univers, est manquée par l'Angleterre, l'Europe entière reconnaîtra que le cabinet de Londres seul à voulu, qu'il veut, qu'il voudra seul la guerre

Et si la réponse par laquelle le roi d'Angleterre, en l'an 8, repoussa les nobles ouvertures de paix faites par S. M., est déjà jugée; si, pour la conduite des Anglais à cette époque, la génération actuelle est déjà la posterité; si une des parties des grandes prospérités de la France et de la crise où est l'Angleterre, résultent du refus fait d'entrer alors en négociation, j'ai lieu de penser, Messieurs, qu'une cause pareille produira de semblables effets; qu'un nouveau refus, non moins coupable que le premier, nous préparera de nouveaux avantages, et que la postérité qui, dans cette seconde circonstance, jugera le ministère anglais, prononcera entre l'empereur de France et le roi de la Grande Bretagne, n'est pas loin de nous.

D'nn autre côté, un si digne, un si honorable usage du pouvoir dont le peuple a investi Napoléon 1er, excitera dans l'empire un sentiment unanime de reconnaissance et d'amour. Cette fois au moins nous aurons des grâces à rendre à ce cabinet britannique, qui, par la publicité équivoque, donnée à la plus franche des communications, a nécessité cette expli cation solennelle, cet épanchement sans réserve de l'empereur envers son peuple. Nous féliciterons la France d'avoir acquis la preuve, qu'en donnant le trône à Napoléon, les citoyens se sont donné un père jaloux de leur bonheur, économe des trésors de l'étas, et avare du sang de leurs enfans.

M. le président répond en ces termes :

Messieurs les orateurs du gouvernement, le tribunat partage depuis long-tems, les sentimens d'indignation que doit inspirer à l'Europe la cupidité insatiable du gouvernement anglais, qui sans oser l'avouer d'une manière formelle, cherche à inettre au nombre de ses prérogatives, l'empire absolu et exclusif des mers, et le droit de s'emparer du commerce et de l'industrie de tous les peuples. On ne doit pas dès lors être étonné qu'il élude toute espèce d'ouverture de paix, qu'il accumule les abstacles, que les propositions les plus modérées lui paraissent inadmissibles, et que sa politique soit incertaine et vacillante.

Le gouvernement doit être bien convaincu que le tribunat concourra de tous ses efforts et de toute son influence, au maintien de la gloire du trône et de l'honneur national offensé.

Sur la proposition d'un grand nombre de membres, le tribunat donne acte à Messieurs les orateurs du gouvernement, de la présentation de la lecture et du dépôt sur le bureau

du message de S. M. l'empereur, et des pièces qui y sont jointes; arrêté que le tout sera inséré au procès verbal, impriméau nombre de six exemplaires, et distribué à ses membres.

Le tribuuat arrête aussi que le discours prononcé par M. Regnaud de Saint-Jean-d'Angely, l'un des orateurs du gouvernement, et la réponse du président seront également imprimés au nombre de six exemplaires.

Il nomme pour lui faire un rapport sur cette communication, une commission composée de M. Fabre (de l'Aude) président du tribunat, de MM. Mouricaut et Kock, secrétaires, de M. Faure, président de la section de législation, de M. Girardin, président de la section de l'intérieur, de M. Arnoud, président de la section des finances, et des tribus, MM. Gallois, Freville, Pietat et Dacier.

Cette commission fera son rapport dans trois jours en séance publique.

La séance est levée.

8 Février, 1805./

Sénat Conservateur.

Rapport fait au sénat dans sa séance du 18 Pluviose, au 13, par le sénateur François (de Neufchâteau) président du sénat, rapporteur d'une commission spéciale nommée dans la séance du 15 du même mois.

Messieurs,

"Dans votre séance extraordinaire du 15 de ce mois, S. M. l'empereur vous a fait présenter, par son ministre des relations extérieures, un rapport d'un haut intérêt. Vous l'avez écouté avec l'attention profonde qu'exgigeaitdu sénat une communication si importante et si auguste. Une commission de cinq membres nommés au scrutin a été chargée de présenter au sénat un projet d'adresse, pour exprimer à S. M. impériale les sentimens de gratitude, de respect et d'amour qu'a redoublés dans le sénat ce nouveau témoignage de sa confiance. C'est sur ce grand objet que je viens vous entretenir, au nom de la commission dont j'ai l'honneur d'être l'organe,

"Le résultat de l'examen ne pouvait pas être douteux; personne en France n'a pu lire sans une émotion profonde, la lettre que S. M. l'empereur a addressée, le 12 Nivose dernier, au roi de la Grande Bretagne,

"La politique tortueuse marche dans les ténèbres. Elle a obligé l'empereur de révéler au monde un secret qui honore tout à la fois son caractère et son gouvernement.

"Peut-être en éludant des offres si loyales, le cabinet de Londres ne s'est-il pas douté de l'avantage immense qu'il allait nous donner sur lui. Du moins, S. M. impériale a prouvé qu'elle ne craint pas la lumière; et comme elle n'est point

capable de combattre dans l'ombre, elle est digne en effet de négocier au grand jour.

"Une première idée nous est venue à ce sujet. Si c'eût été le roi de la Grande Bretagne qui eût provoqué l'empereur, afin de recourir aux voies de la négociation, peut-être sa démarche eût-elle été sujette à être mal-interprétée, car il a été l'agresseur: le public trop souvent complice de la mauvaise honte, accuse de faiblesse celui qui revient sur ses pas. Cependant d'autres circonstances pouvaient faire prévoir un autre résultat. On avait dit qu'on ne pouvait traiter en sûreté avec la République. A raisonner ainsi, on pouvait donc sans crainte se rapprocher de nous, quand nous vivons nous-mêmes avec plus de sécurité, sous un pouvoir héréditaire. On pouvait être sûr que S. M. impériale se serait empressée d'écouter des principes de modération, et qu'elle n'aurait eu d'autre regrets à cet égard que d'avoir été prévenue. Surtout elle n'eût pas voulu que l'on fit, en son nom, à une lettre franche et si bien motivée, une réponse vague, équivoque, évasive. A l'offre d'un traité direct, elle n'eût jamais répliqué par un appel à des puissances qui doivent y être étrangères. Mais nous n'avons point à partir de cette supposition. La pensée de la paix n'a pu éclore dans l'esprit des conseils du roi d'Angleterre. Quand ils en auraient eu l'idée, ils n'auraient pas cru inspirer assez de confiance pour paraître de bonne foi. Infracteurs du traité d'Amiens, ils n'auraient pas osé en proposer un autre. Voilà ce qui relève encore le prix de cette lettre à jamais mémorable écrite par Sa Majesté, c'est qu'il est impossible aux esprits les plus prévenus de ne la croire pas

sincère.

"D'ailleurs tout en est remarquable. Il n'en est pas jusqu'à la date qui n'ait dû faire naltre une réflexion frappante. C'était le 2 Janvier que S. M. I. préférait au droit du plus fort, la puissance de la raison et les tempéramens d'une mutuelle équité, pour régler la transaction entre l'Angleterre et la France. C'etait donc au milieu des hommages touchans de la nouvelle année; c'était bien peu de jours après les fêtes solennelles du sacre et du couronnement de S. M.; c'était après qu'au Champ de Mars, avait défilé sous ses yeux cette armée formidable qui lui répond de la victoire: c'était alors, Messieurs, que son humanité sublime a conçu cette grande idée en faveur de deux peuples, dont l'un s'est reposé aur elle du soin de son bonheur, et dont l'autre, quoiqu'ennemi, ne peut être insensible à la démarche spontanée qu'elle faisait pour son repos. Quelle conception vraiment royale et maghanime d'oublier toutes ses injures, de fouler à ses pieds tant de justes ressentimens, et d'immoler tout amour-propre afin de consacrer, par une paix universelle, l'époque fortunée de son avénement au trône impérial! Quel beau présent à faire à l'univers entier, que ce noble projet de réconcilier deux peu

ples dont les querelles le tourmentent, et pour qui toutefois, comme le. dit si bien S. M. elle-même, l'univers doit être assez grand! S. M. a bien lu dans le cœur des Français. Nous ne saurious douter que sa démarche ne réveille une estime cachée dans le cœur des Anglais. Qui, malgré les antipathies qu'on veut rendre nationales, les individus qui composent la famille du genre humain ont les mêmes affections. Le même sentiment jugera cette lettre à Paris, à Madrid, à Londres; et partout où seront des hommes susceptibles de s'attendrir sur les malheurs de leurs semblables, on doit apprécier la résolution d'un prince qui a voulu mettre sa gloire à faire cesser ces malheurs, ces saccagemens, ces pillages, ces incendies, ces catastrophes, ce vaste enchaînement d'atrocités et de désastres, suites inévitables du fléau de la guerre,

"On a vu des héros sensibles gémir sur leurs propres traphées; mais tout en pleurant leur succès, il n'en continuaient pas moins leur sanglante carrière. Napoléon est le premier qu'une pitié profonde pour les malheurs publics ait engagé à s'arrêter sur le chemin de la victoire. Qu'il est digne, Messieurs, de commander aux hommes, celui qui porte un cœur humain ! Celui qui sent si vivement que de tous les fléaux qui peuvent désoler ce globe, la guerre est le fléau que les peuples redoutent et détestent le plus! Comment leurs conducteurs peuvent-ils l'oublier? Quand le ciel commande la paix, quand les nations la désirent, par quelle impiété envers Dieu et les hommes peut-on vouloir la guerre? La paix est le devoir des rois, puisqu'elle est le besoin du monde.

"Que dis-je, Messieurs, cette paix est bien plus nécessaire encore aux bords de la Tamise qu'à tout le reste de l'Europe. La nation anglaise, si active et si éclairée, qui soumet tout à ses calculs, ne sait-elle donc plus calculer ses vrais intérêts ? Si elle veut compter pour le présent et l'avenir, que peut donc lui valoir la prolongation du fléau de la guerre ? Que peutelle gagner à ces calamités qui menacent de l'engloutir, qui n'ont de chances que contre elle, qui peuvent l'entraîner vers sa destruction, tandis qu'elles ne peuvent effleurer la solidité de notre immense territoire? Jamais la France ne s'est vue dans une situation plus tranquille et plus redoutable. Jamais elle n'eut moins à craindre des hasards de la guerre. Et lorsque c'est la France qui pourtant propose la paix, on se demande avec surprise quelle est donc la raison puissante qui porte l'Angleterre à ne pas l'accepter d'abord ?

"Une chose est à observer; c'est que dans la réponse à la lettre de l'empereur, le cabinet de Londres n'allègue rien qui ait rapport à la nation britannique. La guerre n'a pour les Anglais aucun motif qui leur soit propre. A en croire le lord Mulgrave, leur objet est de maintenir la liberté du Continent. Eh! qui donc les en a chargés? Si cette liberté pouvait être en péril, comment serait-elle affranchie en se mettant sous la

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